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Macron « maqué » avec McKinsey : l’envers du décor de « la Firme »

ByLouis Gravêthe

Mai 21, 2022
Macron « maqué » avec McKinsey : l’envers du décor de « la Firme »

Lors du débat d’entre-deux-tours le 20 avril, un sujet et non des moindres, n’a fait l’objet que d’une simple allusion par Marine Le Pen, aussitôt moquée par Emmanuel Macron : « Je l’attendais celle-là. Vous avez mis du temps, Madame Le Pen ». Alors qu’il s’agit d’un scandale qui aurait dû davantage fragiliser la candidature du président sortant. Le 27 mars dernier, aux accusations portées concernant les nombreuses missions confiées aux cabinets de conseil et particulièrement au groupe McKinsey, Emmanuel Macron a répondu, agacé : « S’il y a des preuves de manipulation, que ça aille au pénal ». De la campagne électorale de 2017 à la gestion de la stratégie vaccinale et de plusieurs réformes, il existe cependant des soupçons de copinage et un budget faramineux, pour lequel les Français ont le droit de demander des comptes… L’atout reste visiblement pour l’instant dans la poche du président maintenant réélu qui a bénéficié, d’une part du traitement tardif de « l’affaire McKinsey » par les media gorgés de subventions publiques et, d’autre part de la lenteur de la justice, le Parquet national financier (PNF) n’ayant ouvert une enquête à ce sujet que le 31 mars dernier, à dix jours du premier tour des élections !

McKinsey : oui, mais qui ?

C’est en 1926 que James O. McKinsey, enseignant à l’université de Chicago et expert en comptabilité de gestion, crée la société de conseil en stratégie qui porte son nom. De 1951 à 1960, celle-ci s’exporte de l’autre côté de l’Atlantique, notamment par l’ouverture d’un bureau à Londres. Et c’est en 1964 que McKinsey, en avance sur ses principaux concurrents, s’implante en France, profitant du climat politique favorable à son développement (sous l’ère Pompidou). Le cabinet compte actuellement en France deux bureaux, l’un à Paris et l’autre à Lyon. Son actionnariat au niveau mondial s’appuie sur plus de 2 500 directeurs associés, et compte plus de 30 000 collaborateurs. Les secteurs d’activité dans lesquels il intervient sont vastes dans le domaine privé autant que public (pôles de compétences sectoriels – une vingtaine – et fonctionnels – une douzaine). Son chiffre d’affaires connu est de 10,5 milliards de dollars (2018), « McKinsey ne [publiant] pas – à la différence de ses concurrents directs – de points d’activité annuels et se [montrant] encore plus que discret sur les membres de ses différentes instances de gouvernance », communiquant peu et contrôlant « beaucoup ce qu’il distille »  [1].

Sur le site internet global de McKinsey (en anglais), on découvre que, dans l’esprit du temps, le groupe promeut la diversité et l’égalité dans ses offres de carrières : « égalité des genres », « inclusion » (hommes, femmes, LGBTQ+) ; diversité ethnique (plus de 140 nationalités parlant plus de 135 langues, présent dans plus de 65 pays, avec des groupes d’expression propres aux Noirs, aux Asiatiques, aux Hispaniques et Latinos).

Dans le contexte actuel du conflit ukrainien, il est bon de savoir que McKinsey, « critiqué par le passé pour ses liens troubles avec certains régimes autoritaires dont la Turquie, l’Arabie saoudite ou encore la Chine », avait clairement demandé en janvier 2021 à ses employés basés en Russie de ne pas participer aux manifestations en faveur de l’avocat Alexeï Navalny, opposant à Poutine, avant de rétropédaler face à l’écho international. Début mars dernier, les principaux cabinets de conseil installés en Russie, auxquels il « a dans l’ensemble été reproché de ne pas prendre leur distance avec la Russie assez clairement », ont décidé de suspendre leurs activités dans ce pays, et surtout « pour le compte d’entités gouvernementales russes ». Selon le New York Times, le cabinet McKinsey était lié depuis longtemps par des contrats « avec des compagnies liées au Kremlin, dans tous les secteurs […] même quand elles étaient sous sanctions occidentales ». Le bureau de Moscou a finalement transféré fin mars son équipe dans ses bureaux du Kazakhstan [2].

« La Firme » : les conseillers qui murmurent à l’oreille de Macron…

Ce surnom de « la Firme » donné à McKinsey fait référence à l’œuvre éponyme du romancier américain John Grisham, adaptée au cinéma en 1993, mettant en scène un jeune avocat qui découvre que le cabinet pour lequel il travaille est lié avec la mafia et pratique le blanchiment de fraude fiscale.

C’est en 2007 qu’Emmanuel Macron, alors inspecteur des finances, dans le cadre de la « commission Attali » [3] dont il est le rapporteur adjoint, croise le chemin d’Éric Labaye, président de la branche française du cabinet, que Macron nommera en 2018 directeur de Polytechnique, et de Karim Tadjeddine, alors chef des consultants de McKinsey France, mis « bénévolement » à disposition de la commission par le cabinet. Avec ce dernier, Macron intègre en 2010 le conseil d’administration d’En temps réel, qui se présente comme le « think tank [4] du débat progressiste ».

Des soupçons de conflits d’intérêts

Dans cette même commission Attali, siège aussi Thomas Cazenave qui, neuf ans plus tard, deviendra directeur adjoint de cabinet du ministre Macron, chargé de l’Économie, puis contribuera à la campagne du candidat. C’est pendant cette période que paraît un ouvrage collectif, L’État en mode start-up [5], co-dirigé par le même Cazenave, préfacé par Emmanuel Macron, et auquel a contribué également Tadjeddine.

En novembre 2017, le nouveau président crée une « direction interministérielle à la transformation publique » (DITP) qui « regroupe plus de 80 consultants et experts » et dont la « mission est double : assurer le suivi des réformes prioritaires du gouvernement et leur territorialisation, et accompagner directement les acteurs publics dans leurs projets de transformation » (sic). C’est encore Cazenave qui est nommé à la tête de cette institution (jusqu’en novembre 2019), faisant appel aux services de McKinsey France dont le co-directeur du département du secteur public est un certain… Karim Tadjeddine.

Une vingtaine de salariés de McKinsey ont participé à la campagne électorale d’Emmanuel Macron pour 2017, sans qu’il n’y ait trace d’aucune facture, l’adresse courriel professionnelle de Tadjeddine ayant été utilisée dans ce cadre. Et après l’élection qui a suivi, l’on verra « beaucoup d’allers-retours entre “la Firme” et la Macronie, que ce soit au sein des cabinets ministériels ou de La République en marche » [6]. Autre soupçon de conflit d’intérêts dans le cadre de la gestion vaccinale : Victor Fabius, directeur associé chez McKinsey France, dont le père n’est autre que Laurent, président du Conseil constitutionnel, qui a validé la constitutionnalité du passe sanitaire et vaccinal élaboré par… son fils [7].

Sans vouloir lier de matière systématique des noms dans un organigramme à des conflits d’intérêts, on ne peut que convenir que « cela démontre de façon éclatante et spectaculaire, la proximité idéologique qui existe entre tous ces différents acteurs », « élites unies par l’idéologie mondialiste » [8].

Campagne vaccinale, réformes gouvernementales… l’heure des comptes a sonné

Que reproche-t-on au gouvernement, sinon d’avoir passé, depuis mars 2020, une trentaine de commandes auprès de sept cabinets de conseil. Motif : la gestion de la stratégie sanitaire face à l’épidémie de Covid-19. Le nom de McKinsey est particulièrement mis en avant, car à lui seul il a, dans ce cadre, encaissé entre novembre 2020 et le 4 février 2022 environ 11,63 millions d’euros. Ce cabinet dont le siège social français est domicilié aux États-Unis est accusé notamment de ne pas avoir payé l’impôt sur les sociétés pendant dix ans. Karim Tadjeddine, entendu par la commission d’enquête du Sénat fin janvier de cette année, a affirmé sous serment le contraire. Ce qui a déclenché, le 25 mars, la saisie de la justice par le Sénat « pour une suspicion de faux témoignage », l’enquête sénatoriale démontrant le bien-fondé de l’accusation : « Ces faits ont été étayés par deux contrôles sur pièces et sur place menés au ministère de l’Économie et des Finances » [9].

Au-delà de la campagne du Covid, le gouvernement a requis encore les services de McKinsey sur le sujet des réformes : aides personnalisées au logement (APL, près de 4 millions d’euros), assurance-chômage (327 060 euros), retraites (près de 957 674,20 euros pour une prestation sans suite, si ce n’est l’abandon de la réforme par Macron !), Éducation nationale (près d’un demi-million d’euros versés pour l’organisation d’un colloque sur l’avenir du métier d’enseignant, ledit colloque ayant été finalement annulé pour cause de Covid !), etc. La coupe est pleine !

La réélection d’Emmanuel Macron va-t-elle enterrer le scandale McKinsey ? Affaire à suivre…

Louis GRAVÊTHE

[1] – Le cabinet a été mis en difficulté en Arabie saoudite, soupçonné d’avoir contribué à l’incarcération d’opposants actifs sur Twitter et en Afrique du Sud (où McKinsey a été accusé d’avoir été partie prenante dans une corruption d’État de large ampleur). Source : www.consultor.fr.

[2]Idem.

[3] – Commission pour la libération de la croissance française, instituée par Nicolas Sarkozy le 27 août 2007.

[4] – NDLR : Laboratoire d’idées.

[5] – Éditions Eyrolles, mai 2016.

[6]Valeurs actuelles, no 4454 (7 avril 2022).

[7] – Source : Contribuables Associés.

[8] – Tribune de Virginie Joron sur le site de Valeurs actuelles (01/04/2022).

[9] – Source : « Impôts du cabinet McKinsey : le Sénat saisit la justice pour faux témoignage devant la commission d’enquête » (https://www.senat.fr/).

La lecture de cet article extrait du numéro 781 (mai 2022) de Lectures Françaises vous est offerte en intégralité. Pour découvrir le  sommaire du numéro et le commander, c’est ICI !

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