Les escrocs du CO2
J’avais évoqué cette affaire il y a six ans. Les ramifications des réseaux m’avaient laissé dubitatif sur la possibilité d’un procès. Je me suis trompé, le procès a débuté en mai dernier à Paris. Il est nécessaire de rappeler les règles du jeu lancé en 2008 pour atteindre les objectifs du protocole de Kyoto en ce qui concerne les réductions des émissions de gaz à effet de serre.
Tout fait, en effet, penser à une « usine à gaz ». Les industriels européens se virent allouer un quota annuel d’émissions de CO2. Ceux qui dépassaient leur quota devaient acheter sur le « marché du carbone » des droits à d’autres sociétés n’ayant pas atteint leur plafond. Ce sont donc des tonnes virtuelles qui sont échangées. Deux points faibles furent immédiatement repérés par des petits malins : les intervenants dans ce marché n’étaient l’objet d’aucun contrôle et la perception de la TVA restait floue puisque elle serait payée dans le pays d’arrivée mais pas dans celui de départ. Ces failles devinrent les martingales de certains escrocs qui sautèrent dans le train vert de l’écologie.
Une fraude à grande échelle
La fraude au marché du carbone est la plus importante montée en France, elle a coûté à l’État 1,6 milliard d’euros entre 2008 et 2009. Les fraudeurs qui avaient créé des sociétés dirigées par des hommes de paille, achetaient hors taxe à l’étranger, des quotas de CO2, et les revendaient en France sans reverser la TVA (à 19,6 %) à l’administration fiscale. Ils réinvestissaient aussitôt leurs gains dans une nouvelle opération, etc. Ce ne fut qu’à l’automne 2008 que les régulateurs du marché (la bourse Bluenext et la Caisse des dépôts) commencèrent à avoir des soupçons.
Et ce ne fut qu’en juin 2009 qu’il fut mis fin à ces montages. Les masses d’argent récoltées firent exploser les complicités au sein des bandes, tout spécialement celles de la « voyoucratie franco-israélienne » qui avait lancé le système. Quelques-uns d’entre ces responsables se réfugièrent un temps en Israël. D’autres n’eurent pas le temps. Un des organisateurs, Samy Souied, fut tué dès septembre 2010 à Paris. Quatre autres assassinats commis en Ile-de-France seraient reliés à ces querelles de partages.
Faute de mieux, douze personnes devraient être jugées. Parmi lesquels Arnaud Mimran, désigné comme étant un des organisateurs. Il avait pu investir dans l’affaire entre 8 et 9 millions d’euros avec succès : « pour un rendement de 477 % ». Il est considéré comme un flambeur, joueur de poker, fier d’avoir des connaissances au sein du gouvernement israélien. Grâce à ses gains importants, il mena la « grande vie » que les enquêteurs ont décrite : un appartement dans le XVIe arrondissement acheté 4 millions d’euros, un compte de 7 millions d’euros, une Mercedes Mc Laren SLK (une des voitures de sport les plus chères) ; des montres de grands bijoutiers… M. Mimran passait aux yeux de certains de ses comparses comme un personnage impitoyable… Mardoché Mouly, dit « l’élégant Marco », est, lui aussi, un habitué des palaces de Las Vegas et de Cannes, lui aussi est un joueur de poker. Il a été impliqué dans d’autres escroqueries à la TVA (notamment dans la téléphonie), a fait de la prison. Mouly, Mimran et Souied auraient empoché dans l’affaire du CO2, près de 300 millions d’euros. Mais le fisc aurait été escroqué de bien plus.
Le milieu marseillais
Toujours dans cette spécialité (TVA des quotas de carbone) a été identifiée une autre équipe, marseillaise cette fois. Vingt-et-une personnes ont été écrouées. Elles auraient détourné et blanchi 385 millions d’euros. Le « cerveau » serait un ancien professeur de mathématiques, Mme Melgrani, condamnée pour des fraudes à la TVA sur la téléphonie. L’organisme Tracfin a trouvé assez de preuves pour dérouler la pelote des étrangetés : des sociétés très actives sur le marché (du CO2) réalisant un C.A. de 1 milliard d’euros, mais dirigées par des hommes de paille, anciens condamnés, retraités, dont ni les formations ni les ressources déclarées ne correspondaient, et de loin, avec leurs titres « officiels » ni avec la trésorerie gérée.
Deux autres responsables appuyaient Christiane Melgrani : Gérard (Gad) Chetrit qui vivait entre Monaco, Londres, Israël et un Marseillais surnommé simplement « Extrême onction ». Les comptes semblent répartis dans les paradis fiscaux en ayant suivi des entrelacs de relais jusqu’à Hongkong, des investissements immobiliers à Beverly Hills, à Los Angeles, dans des appartements rapidement vendus puis l’argent rapatrié à Marseille. Aux dires des enquêteurs sur les saisies réalisées, malgré un yacht de 8 millions, des voitures de luxe, des montres et du liquide, « l’essentiel du butin n’a pas été récupéré » (Le Monde, 02/05/2016). Il est dur de voir les efforts des « défenseurs de la planète » aussi mal récompensés.