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La guerre en Ukraine ou la douloureuse naissance d’un monde nouveau

La guerre en Ukraine ou la douloureuse naissance d’un monde nouveau

Deux ans après le début de la guerre en Ukraine, la réalité contredit les prévisions hasardeuses du camp occidental qui annonçait la mise en échec de la Russie. En fermant la porte à la diplomatie, les États-Unis et les pays de l’Union européenne n’ont fait que prolonger la guerre en entretenant l’illusion que l’Occident avait les moyens de la soutenir et de la gagner, contribuant ainsi à imposer au peuple ukrainien des souffrances effroyables. On peut tirer des évènements et de la situation actuelle un certain nombre d’observations et d’enseignements. Pour qu’un tel exercice puisse être utile, il faut éviter toute forme de simplification et de manichéisme. Nous en sommes loin. Toute position qui s’écarte de la doxa officielle en replaçant cette guerre dans son contexte historique et géopolitique, et en soulignant les erreurs et les fautes qui nous incombent, est combattue et disqualifiée. On ressort alors les mots qui tuent pour discréditer ceux qui ont un regard différent sur la guerre. Ce sont des traitres et des collabos contaminés par l’esprit de Munich. Jamais, peut-être, l’opinion n’a été manipulée à ce point. Triste réalité d’une époque médiocre dans laquelle l’intelligence a cédé la place à l’idéologie.

Avec la distance prise par les États-Unis dans le soutien à l’Ukraine, l’Europe et particulièrement la France, seule puissance nucléaire, se retrouvent en première ligne. Emmanuel Macron s’est saisi de cette « opportunité » pour durcir son discours de façon outrancière et adopter une position belliciste. Celle-ci pourrait faire prendre au conflit une tout autre dimension, infiniment plus tragique encore.

Il ne s’agit pas de présenter ici une analyse exhaustive du conflit ukrainien et de ce qu’il nous dit des bouleversements qui s’annoncent. Il s’agit plus modestement de développer quelques réflexions dictées par la recherche honnête de la vérité en ayant conscience que celle-ci ne se laisse pas enfermer dans une vision qui distingue le camp du bien et le camp du mal. La réalité est beaucoup plus complexe.

La faute historique de l’Occident

L’effondrement du monde soviétique, la dissolution du pacte de Varsovie et la dislocation de l’URSS représentaient une occasion historique pour mettre en place en Europe une nouvelle architecture de sécurité incluant la Russie. C’est dans cette perspective que Mikhaïl Gorbatchev avait parlé de la « maison commune » Europe-Russie, vision qui s’est heurtée au veto catégorique des États-Unis, hostiles depuis toujours à l’idée d’une Europe unie de « l’Atlantique à l’Oural ». Quant aux Européens, ils se sont alignés et sont restés sourds à la proposition russe par manque de lucidité, de courage et d’unité. Ils ont donc fait le choix de continuer à dépendre des États-Unis pour leur sécurité par le biais de l’OTAN. Malgré tout, l’heure étant à la détente, l’engagement fut pris par George Bush père, de ne pas étendre l’OTAN aux anciens satellites russes et de ne pas déployer des moyens militaires aux frontières de la Russie, c’est-à-dire dans les pays baltes, la Moldavie, la Biélorussie et l’Ukraine. James Baker, le secrétaire d’État américain et Roland Dumas son homologue français ont clairement rappelé la réalité de cet accord [1] qui est niée par de nombreux commentateurs sous prétexte que celui-ci n’a pas fait l’objet d’un document écrit.

Peut-on imaginer que les dirigeants soviétiques aient accepté le démantèlement de leur empire sans obtenir certaines garanties concernant la sécurité de la Fédération de Russie dans sa zone d’influence ? Cet engagement n’a pas été tenu. La Russie s’est sentie trahie et humiliée. En 1999, l’OTAN en bombardant Belgrade, alliée de Moscou et en envahissant la province serbe du Kosovo, a violé délibérément le principe d’intangibilité des frontières. C’est son premier grand péché. À l’époque, la Russie qui venait de subir 10 ans de chaos, n’était pas en mesure de riposter, mais elle n’a pas oublié. L’Occident est donc mal venu aujourd’hui de donner des leçons de morale à la Russie dans ce domaine. Vladimir Poutine lui a pourtant tendu la main au début de son mandat. En 2000, il envisageait la possibilité pour la Russie d’adhérer à l’OTAN. En 2002, Moscou a accepté la mise en place d’un conseil OTAN/Russie. En 2003 et 2005, des négociations entre l’Union européenne et la Russie ont cherché à définir des espaces de coopération entre les deux parties dont l’un concernait la sécurité extérieure.

La responsabilité de l’échec de cette voie de coopération ne peut être imputée aux seuls Occidentaux, mais l’enchaînement de nombreux actes perçus comme autant d’agressions ont convaincu Vladimir Poutine de mettre un terme à ses relations avec l’Occident et de se tourner vers l’Asie. Il n’est pas inutile de rappeler ces actes : extension de l’OTAN au plus près de la frontière russe ; ingérence américaine et soutien lors de la révolution Orange [2] (2004-2005) et de la révolution de Maïdan (2014) ; non application des accords de Minsk (février 2015), pourtant garantis par la France et l’Allemagne, qui prévoyaient notamment un large statut d’autonomie pour les régions séparatistes russophones d’Ukraine de Donetsk et de Lougansk ; déploiement de bases américaines en Ukraine [3] ; projet d’intégrer ce pays dans l’Union européenne et dans l’OTAN [4]. Si de tels faits se produisaient aux portes des États-Unis, ceux-ci réagiraient militairement avec l’approbation de tous les pays occidentaux.

En 1997, le géopoliticien américain Brzeziński identifie trois actions prioritaires qui permettraient aux États-Unis de conserver leur rôle à l’échelle mondiale : « contenir la poussée » de la Chine, « maintenir la division de l’Europe » et… « couper la Russie de l’Ukraine [5]». Cette guerre est donc avant toute chose une guerre entre les États-Unis et la Russie. Sans l’Ukraine, la Russie cesse d’être un empire eurasien ce qui est l’objectif des Américains. Après une longue agonie, la Russie est redevenue une grande puissance soutenue par une grande partie du monde qui rejette le modèle occidental. Avoir ignoré cette réalité et poussé la Russie dans les bras de la Chine constitue la grande faute de l’Occident.

Les mensonges
Cette guerre nous concerne directement

Le sens donné à la guerre entre la Russie et l’Ukraine par les démocraties occidentales pour justifier leur implication repose sur un certain nombre de mensonges. Le premier, celui qu’il est interdit de remettre en cause, consiste à affirmer que « cette guerre est notre guerre », qu’elle concerne directement notre sécurité et notre avenir. Il s’agit de faire de la Russie un épouvantail : celle-ci voudrait reconstituer son empire et menacerait notre liberté. Aujourd’hui l’Ukraine, demain la Moldavie, la Roumanie et la Pologne et après-demain les chars russes seront à Brest [6]. Tout le discours officiel va dans ce sens. (LIRE LA SUITE DANS NOTRE NUMÉRO)

Général (2S) Marc PAITIER

[1] – L’économiste Jacques Sapir qui travaillait comme conseiller de Roland Dumas au ministère des Affaires Étrangères confirme la réalité de cet accord.

[2] – Révolution soutenue par les Américains pour contrer l’élection de Viktor Ianoukovitch appuyé par les Russes.

[3] – Dans un article paru le 25 février 2024, le New York Times, peu suspect de complaisance envers la Russie, a reconnu l’existence de 12 bases de la CIA mises en place en Ukraine depuis 2016. Une telle affirmation avant la parution de cet article était taxée de complotisme.

[4] – Réunion commission OTAN/Ukraine des ministres de la défense, Bruxelles, le 8 juin 2006.

[5] – Zbigniew Brzeziński, Le Grand échiquier.

[6] – Une note du renseignement américain du 5 février 2024 reconnait que la Russie ne cherche pas la guerre avec les puissances de l’OTAN.

 

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