Lu dans Minute n°2876 du 13 juin 2018. Par un récent arrêté du 5 mai la France a décidé d’autoriser l’importation de cerises turques. Or, en plus d’être ottomanes, elles pourraient bien être traitées avec un insecticide que le ministère de l’Agriculture interdit aux producteurs français !
Depuis 2016, les agriculteurs français n’ont plus le droit d’utiliser le diméthoate, le seul insecticide vraiment efficace pour éliminer « drosophila suzukii », un sale moucheron d’origine asiatique qui attaque les cerises. A défaut, ils sont invités à employer des produits plus chers et moins efficaces. Pour justifier l’interdiction du diméthoate, le gouvernement, au nom du sacro-saint principe de précaution, avance que cette formule pourrait nuire gravement à la santé des consommateurs. Et fort logiquement, l’importation des cerises en provenance de pays autorisant l’emploi du diméthoate a été prohibée.
Le bain turc nuit à la santé
Dans le « Journal officiel » du 10 avril dernier, un nouvel arrêté, signé du ministre de l’Agriculture, Stéphane Travert, et du ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, a ainsi confirmé une clause de sauvegarde nationale pour interdire la commercialisation en France des cerises suspectes : « L’introduction, l’importation et la mise sur le marché en France de cerises fraîches destinées à l’alimentation produites dans un Etat membre de l’Union européenne ou un pays tiers, dans lequel l’utilisation de produits phytopharmaceutiques contenant la substance active diméthoate est autorisée en traitement, des cerisiers, sont suspendues pour une durée d’un an à compter de l’entrée en vigueur du présent arrêté. »
Or, cette suspension d’un an va pour certains durer… un mois. En effet, drôle de cerise sur ce gâteau, dans le « Journal officiel » du 5 mai suivant a été publié un « avis relatif aux introductions en France de cerises fraîches produites dans un pays tiers ou un État membre de l’Union européenne ».
Il y est précisé que les cerises en provenance d’Autriche, de Croatie de Roumanie, de République tchèque, du Canada et des États-Unis (tous pays qui ont recours au diméthoate) sont interdites ; en revanche sont autorisées les importations en provenance du Chili, d’Argentine et de… Turquie, pays où l’emploi du diméthoate est légal et systématique !
Comment le ministre de l’Agriculture peut-il expliquer un tel travers ? Il paraît que les Turcs auraient fourni des échantillons attestant que leurs cerises ne portaient aucune trace de l’insecticide incriminé. Mais les experts sont sceptiques, car, sur quelques échantillons, il est facile de tromper son monde en plongeant au préalable les cerises dans un bain qui les lave de tout soupçon.
« On veut nous liquider ! »
Du coup, dans le monde agricole, on n’apprécie pas beaucoup d’être pris pour des poires. La Coordination rurale a publié un communiqué qui dénonce « une nouvelle fois, la politique commerciale du gouvernement ; laquelle privilégie une multiplication et une libéralisation des échanges extérieurs (après la signature des nombreux accords de libre-échange) au détriment de l’agriculture nationale et de la santé des consommateurs.» Le Modef (Confédération syndicale agricole des exploitants familiaux) est également très remonté.
« Minute » a contacté Gilles Bernard, président du Modef-Vaucluse et membre du bureau national. Le noyau a du mal à passer: « Une fois de plus Emmanuel Macron, après plusieurs annonces destinées à protéger l’agriculture française, prend des positions qui vont à l’encontre de son discours officiel. » Et il dénonce une concurrence déloyale : « Alors qu’à nous agriculteurs français, le gouvernement impose des normes draconiennes, dans le même temps on importe d’un pays hors de l’Union européenne des cerises qui ne respectent ces normes ! On veut nous liquider ! Car il faut savoir que la Turquie produit à elle seule plus que tous les pays de l’UE réunis. C’est un scandale ! »
La Turquie est effectivement le plus gros producteur mondial et, comme le temps des cerises est arrivé, elle va inonder le marché, nos marchés et supermarchés. Au détriment des producteurs français qui, victimes d’un incroyable « deux poids deux mesures » en seront réduits à bouffer des queues de cerise.
Par Pierre Tanger