Touchez pas au grisbi (bitcoin etc.)

L'assignat, ancêtre du bitcoin
L'assignat, ancêtre du bitcoin

Voilà qui renvoie la cassette d’Harpagon et les cinq cents millions de la Bégum au crétacé supérieur : le 30 novembre, vive l’évasion fiscale ! la plateforme de locations saisonnières en ligne AirBnB créait de Gibraltar sa propre carte de crédit abondée par le montant des loyers dus à ses abonnés propriétaires, qui n’auront donc pas à les déclarer.

Lu pour vous dans Présent.

Gloire au bitcoin…

La veille, on avait appris que le bitcoin, monnaie virtuelle inventée par un énigmatique Japonais et régie par un consortium tout aussi mystérieux, qui était coté en février 2011 à parité avec le dollar, était désormais estimé à 10 000 US$. En raison de la multiplication des transactions mais aussi de sa relative rareté : lors de son lancement, le nombre maximal de bitcoins (de bit, unité informatique, et coin, pièce de monnaie) avait été fixé en effet à 21 millions.
Les heureux titulaires de comptes n’étant identifiés que par des pseudonymes, le crime organisé fut évidemment le premier à profiter de l’aubaine, raison pour laquelle le Maroc et la Russie notamment ont interdit cette cryptomonnaie. Mais il paraît que le ménage a été fait (pensée magique ?) et que les amateurs de bitcoins sont aujourd’hui d’honnêtes spéculateurs ou des citoyens postmodernes prêts à se jeter sur tout ce qui bouge, du moment que c’est nouveau et inaccessible au péquenaud.
Ces modernes enfants du siècle, dont la fibre écologique est si sensible qu’ils ne supportent pas le diesel ou les rejets de CO2 émis par les bovins (les millions de vaches sacrées de l’Inde n’étant évidemment pas concernées car il s’agit là d’une pratique culturelle et que toute culture est également sacrée du moment qu’elle est exotique), savent-ils que la folie du bitcoin engendre une pollution considérable ? Toutes les transactions, sept par seconde, sont enregistrées et gérées par de gigantesques « fermes » d’énormes ordinateurs dont la consommation d’électricité dépasse 30 térawatts/heure. Soit plus que la consommation individuelle des habitants de 19 pays de l’Union européenne ou celle de l’Irlande, Ulster compris !
Mais avez-vous jamais entendu M. Macron, apôtre d’une planète grande parce que propre, et les Verts déplorer ce gaspillage insensé ? Evidemment non. Le bitcoin étant l’une des caractéristiques du « monde nouveau » dont ils sont les chantres, pas question de le remettre en cause, même si l’éclatement de sa « bulle » peut être aussi catastrophique que celle des subprimes, alors qu’on nous enjoint d’isoler nos logements et de prendre les transports en commun afin de mieux économiser l’énergie.

… Mort aux biftons !

C’est également sous prétexte de préserver la nature que la polytechnicienne Valérie Pécresse a fixé « à l’horizon 2021 » la mort des tickets de métro dans les transports parisiens, dont les « valideurs » accepteront tous alors la « carte bancaire sans contact » et le paiement par smart-phone, dont devront donc être équipés tous les Franciliens.
Après l’élimination des « poinçonneurs des Lilas », alors même que le métro devenait de moins en moins sûr, il fallait sans doute s’attendre à la disparition des tickets, qui reviennent cher à la RATP et « obligent à sacrifier des forêts entières ». Mais que fait la présidente de la région capitale, récente fondatrice du mouvement Libres !, de la liberté des voyageurs ainsi sommés de posséder carte bancaire et smartphone ? Quant à l’alibi écologique, il est pour le moins fallacieux vu le nombre de composants, extrêmement nocifs pour l’environnement et que l’on ne sait comment recycler, des « téléphones intelligents »… et si propices au flicage. Enfin, si le nombre d’agressions pour s’emparer d’un ticket de métro est égal à zéro, Mme Pécresse est-elle sûre qu’il en ira de même une fois sa «révolution » enclenchée, alors que force affichettes dans les wagons et les autobus nous incitent déjà à « la plus grande vigilance » en ce qui concerne nos objets de valeur et nos téléphones ? Il est vrai que, roulant en carrosse de fonction depuis quinze ans maintenant, Mme la présidente est excusable d’avoir perdu le contact avec une sordide réalité.
A notre époque plus que jamais régie par l’argent roi, les gouvernants entendent paradoxalement, à tout prix et dans tous les domaines, le dématérialiser, comme s’ils partageaient la détestation de Mirabeau qui, en 1789, voulait « bannir de la langue cet infâme mot de papier-monnaie », d’où la création des assignats gagés sur les Domaines nationaux (c’est-à-dire la confiscation des biens du clergé) et dont, en 1793, la non-acceptation entraînait la peine de mort avant que trois ans plus tard, devant la faillite, le système ne soit à son tour enterré. Pas assez révolutionnaire, donc, le bon vieux bifton. Et trop concret dans une société marchande. Car le citoyen lambda fait chauffer sa carte bien plus volontiers qu’il ne rédige un chèque et surtout ne claque de grosses coupures — ce qui, entre parenthèses, contribue à cette plaie qu’est l’endettement croissant des ménages.
Et puisqu’on s’excite tant, M. Macron tout le premier, contre le gang du GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon — introducteur en Europe du prurit consumériste du Black Friday), ne faudrait-il pas s’insurger aussi contre la dictature du mammouth Visa ?
Titulaire d’une Visa depuis 1978, je confesse ma « cartodépendance », que le géant américain s’acharne à encourager, sans réaction des « décideurs », bien au contraire — voir le Diktat Pécresse. Ainsi The Wall Street Journal annonçait-il en juillet que, dans « un plus large effort pour détourner les Américains du papier-monnaie rétrograde », Visa Inc. offrait aux petits restaurants et détaillants jusqu’à 10 000 dollars pour « moderniser leur technologie de paiement », les bénéficiaires devant « s’engager en revanche à ne plus accepter de cash ».
A qui profite cette offensive généralisée des opérateurs et des banques, bien sûr, mais aussi des banques centrales théoriquement chargées de réguler et de protéger les échanges monétaires et la bonne santé des Etats ? Et, sans tomber dans le complotisme, je ne parle pas seulement du profit matériel…
Et puis, il y a l’arrogance de cette société qui, convaincue d’avoir tout inventé et sûre de son bon droit à nous propulser dans l’avenir bon gré mal gré, foule aux pieds tout ce qui l’a précédée. Ce qui pourrait se payer très cher. Certains lecteurs se souviennent peut-être du roman Ravage, publié en 1943 par René Barjavel qui décrivait le naufrage d’une société hyper-technicisée mais dans laquelle, un jour, l’électricité disparaît. Du coup, plus d’eau courante, plus de lumière, plus de moyens de se déplacer. Ajoutez-y, près de trois quarts de siècle plus tard, plus d’ordinateurs, plus de bitcoin, plus de Visa, plus de smartphones, et serait complet un chaos dont les bugs informatiques de la SNCF ne donnent qu’une faible idée.

Camille GALIC

* Je m’autorise ce titre après le supplément littéraire de Présent sur le polar et surtout du fait qu’Albert Simonin (1905-1980), auquel je l’emprunte, était de la famille, très copain avec François Brigneau connu après la Libération à la geôle de Fresnes, et Antoine Blondin avec lequel il accompagna en 1951 les premiers pas de Rivarol, avant ses grands succès d’édition.

Présent n°9004 du 8 décembre 2017

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