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L’affaire Benalla offre un sursis à la Constitution

ByLectures Françaises

Août 1, 2018

Lu dans Minute du 26 juillet 2018. Dans la construction du nouveau monde voulu par Emmanuel Macron, après la loi « pour la confiance dans la vie politique » de 2017, la réforme constitutionnelle était une deuxième étape. La discussion aurait dû terminer le week-end dernier. Elle a été suspendue sine die.

C’est peut-être la première victoire de l’opposition à l’Assemblée nationale. Une victoire temporaire, certes, mais une victoire tout de même, obtenue à coups de rappels au règlement et de suspensions de séance. De sorte que dimanche 22 juillet en fin de matinée, le gouvernement a fini par baisser les bras. Prenant le micro depuis le banc des ministres, Nicole Belloubet, garde des Sceaux et seule ministre présent dans l’hémicycle depuis le début de l’affaire Benalla, a annoncé que « le gouvernement a décidé de suspendre l’examen de la révision constitutionnelle, mais souhaite que celui-ci puisse reprendre dans des conditions plus sereines ». Fin du premier round !

Les députés suspectés d’antiparlementarisme !

Il est vrai que depuis quatre jours — et la révélation de l’affaire Benalla —, l’Assemblée nationale était sur les charbons ardents. L’opposition ne lâchait pas le morceau et souhaitait interroger le gouvernement sur l’affaire Benalla. Dès jeudi matin, le premier à dégainer avait été Eric Ciotti, député (LR) des Alpes-Maritimes. Quelques minutes seulement après le début des débats, il effectuait un rappel au règlement, qui allait être suivi de beaucoup d’autres… Le rappel au règlement ? Il s’agit d’une disposition du règlement de l’Assemblée nationale qui permet, en gros, à chaque parlementaire d’intervenir à peu près quand il le souhaite dans les débats.

Mais c’est réellement à compter de l’après-midi du jeudi 19 juillet que l’hémicycle s’est enflammé. Les députés LR, communistes et France insoumise, s’en sont donné à cœur joie, réclamant tour à tour la suspension des travaux, la venue d’un ministre, la venue du premier ministre, la création d’une commission d’enquête parlementaire, etc. Du jeudi 19 au dimanche 22, la discussion de la réforme constitutionnelle n’a donc pas avancé, plus du tout.

De son côté, la majorité ne souhaitait pas épiloguer sur l’affaire Benalla… Richard Ferrand, président du groupe LREM, parlait alors de simple « fait divers ». « Vous faites feu de tout bois pour nous empêcher de travailler », tonnait-il. Sous les applaudissements des députés macronistes, Nicole Belloubet évoquait même… une « affaire individuelle » ! Pour les députés macronistes, l’opposition cherchait juste à faire de l’obstruction pour empêcher la réussite de la réforme constitutionnelle !

Le débat est ensuite devenu fou. « Vous cherchez à faire un coup, à instrumentaliser notre assemblée, à empêcher le déroulement de nos travaux », a reproché l’ancienne juppéiste Marie Guévenou, désormais député LREM. « L’usage de la tribune à des fins médiatiques entretient un antiparlementarisme », a même osé Marie-Pierre Rixain, député de l’Essonne ;

Arrivée au beau milieu des débats, Aurore Bergé, la médiatique député des Yvelines — ex-fillonniste, ex-juppéiste, ex-sarkozyste et provisoirement macronienne —, s’est énervée au micro en dénonçant un « sabotage », reprochant à l’opposition d’affaiblir le parlement et de « transformer notre hémicycle en théâtre, à défaut de pouvoir en faire un tribunal populaire ». « Nous, nous sommes là, a-t-elle conclu, nous sommes au travail et nous voulons reprendre les travaux dans la sérénité », avant de… quitter l’hémicycle en vitesse sous les quolibets de l’opposition : elle était attendue par BFM TV !

Panique à bord dans le camp macroniste

En réalité, dans le camp macroniste, c’était « panique à bord ». Les réunions de crise se succédaient, les suspensions de séances étaient prolongées. Les proches du président de la République, comme Sacha Houlié, député de la Vienne, entouraient leurs collègues, plutôt sceptiques sur cette affaire, et distribuaient les éléments de langage. Il s’agissait de ne surtout pas déraper ; il fallait faire bloc.

Assistants parlementaires et députés d’opposition postaient sur les réseaux sociaux des photos des conciliabules des responsables de la majorité. On y voyait notamment, dans la cour du Palais-Bourbon, François de Rugy, le président de l’Assemblée, Richard Ferrand, le président du groupe LREM, et Yaël Braun-Pivet, la présidente de la commission des lois, en pleine discussion avec Nicole Belloubet et surtout avec Christophe Castaner, le président du parti majoritaire et ministre des relations avec le Parlement. Ça discutait, ça téléphonait…

Christophe Castaner, justement, très présent à l’Assemblée nationale ces derniers jours, cherchait à entourer les députés de la majorité, répondait à la presse, il était partout, sauf… dans l’hémicycle ! Au grand désespoir des députés d’opposition qui cherchaient à se mettre un ministre sous la dent. Cette absence dans l’hémicycle lui vaudra d’ailleurs une sévère prise de bec avec Marine Le Pen, filmée par toutes les chaînes de télévision, dans la salle des Quatre Colonnes.

L’opposition avait décidé de ne pas lâcher le morceau, et, peu à peu, elle a obtenu ce qu’elle voulait : la création d’une commission d’enquête parlementaire, plus exactement la tenue de la commission des lois siégeant en commission d’enquête. Pas assez toutefois pour les députés d’opposition, qui attendaient toujours la venue d’un ministre dans l’hémicycle. En vain. Dimanche matin, Christian Jacob, le patron des députés LR, tonnait encore : « Le gouvernement doit nous répondre. Depuis trois jours, le gouvernement est en fuite. » Un peu plus et on plaçait des vigies sur la route de Varennes !

Bref, pour le gouvernement, cela devenait intenable. Samedi 21 juillet, François de Rugy réduisait la séance de l’après-midi à 37 secondes montre en main, expliquant qu’il ne croyait « pas qu’il soit utile de consacrer une séance à enchaîner les rappels au règlement ». Dimanche matin, l’étude de la réforme constitutionnelle était suspendue. Le texte était enterré, au moins provisoirement, son examen étant finalement repoussé à la rentrée.

Comme quoi à quelque chose, malheur est bon.

Quand la France insoumise ne voulait pas en parler

Tout au long des débats, Jean-Luc Mélenchon a été particulièrement offensif sur l’affaire Benalla. Pourtant, au début, les députés de la France Insoumise ne souhaitaient pas en parler. En témoigne la remarque d’Ugo Bernalicis, député LFI du Nord, au premier rappel au règlement d’Eric Ciotti :

« Pour la bonne tenue de nos débats, il serait préférable que M. Ciotti en discute avec moi et un membre du groupe La République en marche sur un plateau de télévision, plutôt que dans cet hémicycle. »

La suite a montré qu’il a changé d’avis…

 

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