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SWIFT : arme de guerre pour débrancher la Russie…

ByErwan Faber

Avr 15, 2022
L'actualité en bref

Alors que depuis l’invasion de la Crimée en 2014, les sanctions européennes contre la Russie étaient limitées aux gels d’actifs de personnalités russes et proches collaborateurs de Poutine, ainsi que quelques sociétés liées au commerce avec la Crimée, l’annonce de l’invasion de l’Ukraine a entraîné une surenchère sans précédent de sanctions alignées sur celles des États-Unis.

La dureté des sanctions depuis le 22 février 2022, s’apparente clairement à une guerre économique :

En plus du gel des avoirs et saisie de biens sur plus de 700 fortunes russes, celui du gel des actifs de la Banque centrale russe localisés en Europe et aux États-Unis, pour la bagatelle de 643 milliards de dollars est un hold-up sans précédent. Ces actifs représentaient l’accumulation des réserves de changes réalisées ces dernières années par les exportations de matières premières. Elles étaient principalement utilisées pour maintenir la liquidité des échanges et soutenir le rouble en cas de crise. Cette manœuvre de guerre de la part des Occidentaux a provoqué la chute du rouble de plus de 40 % [1], augmentant mécaniquement le coût des produits importés, tout en supprimant momentanément la liquidité sur le rouble.

En supplément, le G7 s’est entendu pour pratiquer l’exclusion d’un certain nombre de banques internationales russes du système de règlement international « SWIFT » (Society for Worldwide Interbank Financial Telecommunication). Le réseau SWIFT comprend plus de 11 000 institutions financières dans pas moins de 200 pays. Il fonctionne H24 et opère des transactions financières en tout genre (virements, couvertures de changes, de SWAP…). Les 7 grandes banques visées représentent à elles seules plus de 70 % des échanges bancaires russes [2] et cette mesure revient à isoler financièrement la Russie du reste du monde.

S’ils ont réfléchi un tant soit peu, cette décision est elle-même à double tranchant pour les Européens :

L’Europe exportait environ 30 milliards de biens à la Russie en 2021 (en 5e position)… que les Chinois seront heureux de remplacer [3].

Le blocus sur le gaz et pétrole va nous contraindre de rompre nos engagements d’achats avec la Russie et nous obliger à régler au tarif spot [4] et en dollar nos futurs approvisionnements au risque de voir le prix doubler.

Nous prenons des risques bancaires sur toutes nos « opérations à terme » sur les matières premières impliquant de près ou de loin la Russie comme contrepartie finale !

Pour ceux qui ont de la mémoire, il existe un précédent en la matière qui ne concernait pas moins que le Vatican, dont le code SWIFT et les distributeurs de billets avaient été bloqués six semaines à la suite d’une décision de la Banque d’Italie. « Miraculeusement », le 14 février 2013, lendemain de la démission du pape Benoît XVI, les paiements étaient débloqués !

Depuis 2014 et les évènements liés à la Crimée, les Russes avaient déjà pensé à une alternative à SWIFT en développant leur propre réseau de paiement « SPFS » devenu opérationnel en décembre 2017. Celui-ci compterait actuellement environ 400 membres et représentait 20 % des paiements intérieurs russes en 2021. D’autres solutions sont également possibles comme le CIPS système de paiement transfrontalier avec la Chine, les API bancaires [5], la blockchain [6] et les cryptomonnaies. Il permet aux banques russes et leurs alliés présumés, chinois, indiens, iraniens, vénézuéliens, l’ensemble des pays de l’EAEU (Union économique eurasiatique : Biélorussie, Kazakhstan Kirghizistan, Arménie, Russie) de passer des ordres de mouvement sans risquer de se faire bloquer.

De plus, en obligeant le règlement en rouble des nouveaux achats de matières premières, Poutine peut momentanément soutenir sa monnaie ; tout comme il maintient ses cours de bourse domestique en interdisant les ventes des étrangers.

Cela suffira-t-il pour autant à éviter l’asphyxie de son économie ? À moyen terme le départ des grandes firmes d’exploitation pétrolière et gazière étrangères comme Haliburton, Schlumberger, BP, Shell, Total, obère d’environ 50 % la capacité de production russe, au risque de tarir sa principale source de richesse [7].

Que l’on soit d’accord ou non, la réponse radicale et sans appel des sanctions occidentales rappelle combien le superpouvoir américain maintient le monde en otage, tant à travers la globalisation des échanges, sa suprématie technologique et financière que sa maîtrise du 4e et 5e pouvoir, les media et Internet.

Erwan FABER

[1] – « Salaires des fonctionnaires, soutien du rouble, retraites… Vladimir Poutine présente sa contre-attaque face aux sanctions » (latribune.fr, 16/03/2022).

[2] – « Quelles sont les sanctions économiques prises contre la Russie ? » (lafinancepourtous.com, 02/03/2022).

[3] – « Les échanges commerciaux entre la Russie et l’Europe repartent à la hausse » (Russia Beyond, fr.rbth.com, 21/06/2021).

[4] – Prix fixé sur le moment et au comptant.

[5]Application Program Interface : Applications informatiques développées par des sociétés de fintechs [qui développent une technologie numérique innovante pour optimiser un service financier] : « Are there alternatives to SWIFT? Yes and No » (https://www.finlync.com/blog).

[6] – Technologie qui permet de stocker et de transmettre des informations de manière transparente, sécurisée et sans organe central de contrôle (Source : journaldunet.fr).

[7] – « The End of Russian Oil Source », par Peter Zeihan (https://zeihan.com/).

La lecture de cet article extrait du numéro 780 (avril 2022) de Lectures Françaises vous est offerte en intégralité. Pour découvrir le  sommaire du numéro et le commander, c’est ICI !
 

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