C’est la grave question qui s’est déjà posée aux « heures les plus sombres de notre histoire » et sous l’ère soviétique, et qui revient aujourd’hui sur le devant de la scène.
En février 1936, Wilhelm Furtwängler, qui avait démissionné deux ans auparavant de son poste de directeur général de la musique du Reich allemand, est pressenti pour prendre la direction de l’orchestre philharmonique de New York par son célèbre chef Arturo Toscanini qui souhaitait que Furtwängler lui succède, mais à condition qu’il ne dirige plus en Allemagne. Cette succession sera empêchée par la propagande du régime hitlérien qui fit courir le bruit que le chef allemand avait repris son poste de directeur musical de l’orchestre d’État. Le 10 février 1937, il retrouve officiellement son orchestre pour un concert à Berlin. La même année, il participe pour la première fois au festival autrichien de Salzbourg où Toscanini l’accuse d’être devenu un partisan du régime national-socialiste : « Quiconque dirige dans le IIIe Reich est un nazi ». Furtwängler lui répond :
« Vous supposez que l’art n’est rien d’autre que de la propagande pour le régime qui est déjà au pouvoir. Si je vous comprends bien, le régime nazi étant au pouvoir, je suis donc un chef nazi ; sous un régime communiste, je serais un chef communiste ; sous un régime démocrate, un chef démocrate… Non, mille fois non ! L’art appartient au monde entier » [1].
Et il déclare à la presse :
« Où irions-nous si nous autres, musiciens, devions perdre de vue l’importance supranationale de nos grands compositeurs ? Il faut que le monde reste libre pour les artistes car, peut-être aujourd’hui plus que jamais, le libre-échange des intérêts culturels peut aider à faciliter l’entente souhaitée par toutes les nations » [2].
Louis GRAVÊTHE
[1] – Audrey Roncigli, « Wilhelm Furtwängler, une illusion face au nazisme », dans la revue Guerres mondiales et conflits contemporains, no 227 (2007/3, Presses Universitaires de France).
[2] – Le Figaro, 9 septembre 1937.