L’invasion du territoire ukrainien, le 24 février dernier, a divisé le monde de la musique. D’une part les grandes institutions musicales européennes ou américaines ont sommé les membres de nationalité russe de leurs ensembles (chefs d’orchestre, instrumentistes, chanteurs, danseurs…) de prendre position contre l’action entreprise par Vladimir Poutine. Plusieurs connus comme proches (ou non) du maître du Kremlin ont préféré renoncer aux concerts auxquels ils devaient participer ou démissionner de leurs fonctions, pour ne pas avoir à se prononcer ou ont été tout simplement écartés. Inversement, certains artistes russes ont quitté des institutions de leur pays pour afficher leur solidarité avec l’Ukraine.
Parmi les soutiens de Vladimir Poutine, citons Valery Gergiev avec lesquels plusieurs orchestres et festivals en Europe et aux États-Unis ont décidé de cesser toute collaboration, le chef d’orchestre s’étant muré dans le silence pour toute réponse aux demandes qui lui étaient faites d’exprimer sa position sur le conflit. Autres victimes des « sanctions », le pianiste Denis Matsuev et la soprano Anna Netrebko qui a préféré se retirer de la scène pour ne pas céder aux pressions, déclarant sur son compte Instagram :
« Tout d’abord, je suis opposée à cette guerre. Je suis Russe et j’aime mon pays, mais j’ai beaucoup d’amis en Ukraine et la douleur et la souffrance actuelles me brisent le cœur. Je veux que cette guerre prenne fin et que les gens puissent vivre en paix ».
Et elle a ajouté :
« Il n’est pas juste de forcer les artistes, ou toute autre personnalité, à exprimer leurs opinions politiques en public et à dénoncer leur patrie. Cela devrait être un choix libre. Comme beaucoup de mes collègues, je ne suis pas une personne politique. Je ne suis pas un expert en politique. Je suis un artiste et mon but est d’unir les gens au-delà des clivages politiques » [1].
Dernière minute : fin mars, la diva russe a annoncé, tout en rappelant sa position sur le conflit ukrainien, qu’elle reprendrait ses concerts fin mai, d’abord en Europe, déclarant sur sa page Facebook n’être « membre d’aucun parti politique » et « alliée à aucun dirigeant de la Russie ». Alors que selon les sites d’information russes, elle a bien fait partie en 2012 et 2018 des soutiens officiels de Poutine aux côtés, entre autres, de Valery Gergiev [2] et Denis Matsuev. Le souci de sa carrière l’emporterait-il sur ses convictions politiques ?
Autre figure russe du monde musical, le chef d’orchestre Tugan Sokhiev, qui a abandonné simultanément, début mars, la direction du Bolchoï, et de l’orchestre du Capitole de Toulouse, déclarant « devant faire face à un choix impossible entre mes chers Russes et mes chers musiciens français », ajoutant : « Je ne peux supporter de voir mes collègues […] menacés, méprisés et victimes de la “cancel culture” ».
De son côté, le pianiste Boris Berezovsky a résolument soutenu à la télévision russe, le 10 mars, l’invasion russe en Ukraine, s’appuyant sur le politologue américain John Mearsheimer selon lequel « l’Occident et les États-Unis sont seuls responsables de la situation actuelle ». Il s’est vu écarté de représentations auxquelles il devait participer en France et en Europe et lâché par son agent artistique.
Certaines institutions sont allées plus loin dans les « sanctions » : le concours international de piano de Dublin est allé jusqu’à exclure tous les candidats de nationalité russe sans discernement, et le concert d’un pianiste russe a été déprogrammé à Vancouver (Canada).
Du côté du gouvernement français, le ministre de la Culture, Roselyne Bachelot, a déclaré que « nous ne sommes pas en guerre avec la Russie. Donc il n’y a aucune raison d’avoir une démarche punitive vis-à-vis de ses artistes », mais a précisé que seront « annulées ou reportées, des manifestations organisées par : un, les institutions culturelles officielles russes, deux, les artistes qui ont pris clairement position pour le régime de M. Poutine et cela de longue date », déclarant également que « si des artistes russes, des artistes dissidents qui ont pris position contre le gouvernement de M. Poutine et tout ce qu’il représente, étaient obligés de s’exiler, nous serions à leurs côtés pour leur assurer l’aide qui est nécessaire » [3].
Louis GRAVÊTHE
[1] – Source : Diapasonmag.fr, 28/02 et 01/03/2022.
[2] – Le chef d’orchestre s’est vu proposer fin mars par Vladimir Poutine, de prendre la direction du Bolchoï, ce qui ferait de lui le pilote des deux principaux Opéras du pays et, du coup, un personnage omnipotent de la vie musicale russe.
[3] – Source : Diapasonmag.fr, 11/03/2022.