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Sanctions anti-russes : à qui profite le crime ?

Sanctions anti-russes : à qui profite le crime ?

Nous allons aborder la délicate question de l’intérêt des belligérants impliqués directement et indirectement dans le conflit en Ukraine. Dans cet environnement, les ambitions russes sont bien résumées par les propos du savant bulgare Ivan Krastev :

« L’Amérique et l’Europe ne se disputent pas sur ce que veut M.  Poutine. Quelles que soient les spéculations sur les motifs, une chose est sûre : le Kremlin veut une rupture symbolique avec les années 1990 et souhaite enterrer l’ordre de l’après-guerre froide. La mise en place d’une nouvelle architecture de sécurité en Europe doit reconnaître une sphère d’influence russe au sein de l’espace post-soviétique et rejeter l’universalité des valeurs occidentales. Ce n’est pas la restauration de l’Union soviétique qui intéresse M.  Poutine, c’est le retour de la Russie historique. » [1].

Ainsi, pour reprendre un propos de Pierre Hillard sur TV Libertés, il semble que dans ce dernier conflit la Russie négocie âprement sa place au sein du Nouvel Ordre mondial.

L’ambition russe s’oppose directement à la doctrine historique américaine de domination mondiale, qui n’hésite pas à précipiter le « déclassement » des concurrents potentiels pour préserver sa primauté. Au lendemain de 1945, avec l’effondrement de l’Europe, la puissance concurrente devient principalement l’URSS. Les faucons américains utiliseront contre l’ours russe la stratégie de l’endiguement ou containment avec la guerre froide, puis la stratégie du reflux ou roll back dès la chute du mur de Berlin dans les années 1990. Il est significatif de regarder l’éclosion des bases militaires de l’OTAN ou le renforcement de la présence de ses troupes dans les ex-républiques des pays de l’Est et anciens pays signataires du pacte de Varsovie pour comprendre la manœuvre américaine d’encerclement. L’un des hommes à la manœuvre n’est autre que Zbigniew Brzezinski (1928-2017), membre éminent de l’État profond américain [2], politologue et conseiller plus ou moins direct et influent sous Lyndon B. Johnson, Jimmy Carter, Ronald Reagan et George H. W. Bush ; il sera considéré comme « le doctrinaire » de la politique étrangère américaine jusqu’à l’ère Obama. Partisan du leadership mondial américain, il exprime clairement ses priorités, dans son livre, Le Grand Échiquier, pourtant publié en 1997 :

« Sans l’Ukraine, la Russie ne peut être qualifiée d’empire eurasien… En revanche, si Moscou reprend le contrôle de l’Ukraine, avec ses 52 millions d’habitants, ses importantes ressources naturelles et son accès à la mer Noire, alors la Russie se retrouve automatiquement en position de construire un État impérial puissant, couvrant l’Europe et l’Asie ».

Plus concrètement, comme le commente L’Humanité,

« Le cœur de la doctrine Brzezinski est le contrôle des pivots géopolitiques, les républiques stratégiques de l’ex-URSS. Elle vise l’instauration dans l’espace postsoviétique d’un pluralisme géopolitique favorisant l’émancipation des ex-républiques de la tutelle moscovite et bloquant le retour impérial d’une Russie nostalgique de son passé, encline à recouvrer son espace politique. Pour Brzezinski, cette configuration géostratégique fait de l’Ukraine une priorité de la diplomatie américaine justifiant toutes les “manipulations”. En vue de verrouiller toute velléité russe, le contrôle de l’Ukraine est devenu une obsession stratégique, justifiant la “révolution” de 2004 (“orange”) et celle de 2013 (Maïdan), sanctionnée par le putsch du 22 février 2014. » [3].

Dans la logique de souveraineté mondiale américaine, l’OTAN joue clairement le rôle de bras armé de l’impérialisme américain en Occident : l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord, signé en 1949, a pour but de mettre en place une alliance militaire défensive alliée sous la direction des Américains pour contrer l’expansionnisme de l’URSS. Pourtant n’ayant plus de sens avec la dissolution de l’URSS en 1991, l’OTAN a non seulement perduré, mais s’est même progressivement renforcée avec la participation de la Pologne, la Tchéquie, la Hongrie (en 1997) rejoints par la Bulgarie, la Roumanie, la Slovaquie et la Slovénie et les Pays baltes dès 2004, pour finir à 30 pays en 2021. Il est aussi important de faire remarquer qu’en vertu de l’article 5 dudit traité, celui-ci ne concerne que la sécurité des parties signataires du traité. L’OTAN ne peut donc légitimement intervenir en Ukraine qui est non signataire.

Pour comprendre qui commande effectivement, il suffit de regarder le rapport de force des parties en présence… comme le faisait judicieusement remarquer Le Figaro [4] :

« Le budget américain représente plus de 70 % du total du budget militaire des pays de l’OTAN. Ce qui pose plusieurs problèmes politiques. Outre la question du juste financement à réclamer pour chaque pays, l’influence accordée à la puissance américaine, démesurée de facto, peut déséquilibrer le choix et le contenu des missions au détriment des pays européens ».

De fait, lorsque l’Allemagne annonce le financement exceptionnel d’un milliard d’aide militaire à l’Ukraine, les Américains parlent de débloquer 33 milliards [5](lire la suite dans notre numéro).

Erwan FABER

 

[1]Nytimes.com, 03/02/2022 : «Europe thinks Putin is planning something even worse than war ».

[2] – Membre du Council of Foreign Relations (CFR), Bilderberg et membre co-fondateur de la Trilatérale avec David Rockefeller (Sklar, Holly, « Founding the Trilateral Commission : Chronology 1970-1977 ». Trilateralism : The Trilateral Commission and Elite Planning for World Management » (Boston South End Press, 1980)… probable 33e degré.

[3]Humanite.fr, 11/01/2019 : « La doctrine Brzezinski et le contrôle des “pivots géopolitiques”. Kertch : un défi ukrainien, sur le grand échiquier mondial ».

[4]Lefigaro.fr, 26/05/2017  : « OTAN : qui finance quoi ? ».

[5]Cnews.fr, 15/04/2022 : « Direct – Guerre en Ukraine : L’Allemagne va débloquer plus d’un milliard d’euros d’aide militaire » et lesechos.fr, 28/04/2022 : «La Maison-Blanche demande 33 milliards de crédits au Congrès pour l’Ukraine ».

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