Ce livre arrive à point pour approcher au plus près le dramatique destin d’ « une des grandes plumes du journalisme français » (H. Coston).
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L’auteur, le docteur Jean-Pierre Cousteau, son fils, a puisé dans les archives familiales des documents et des témoignages, des lettres, notamment les 701 lettres quotidiennes envoyées par sa mère à son époux en prison, des textes rédigés par son père ou quelques-uns de ses camarades du plus grand intérêt. Le titre exact du livre « Pierre-Antoine, l’Autre Cousteau » permet sans doute d’attirer les chalands qui s’étaient émerveillés devant le Monde du silence, mais n’a aucun rapport avec le pamphlétaire, ses choix, ses combats, si ce n’est pour l’auteur de dire sa reconnaissance pour ce que fit le marin pour son frère, sa belle-soeur et leurs enfants dans une période terrible. Dans les milieux de droite, « le plus grand journaliste de la collaboration », selon Galtier-Boissière, fut, parmi les condamnés à mort (en 1946), un des ceux qui montrèrent le plus de panache dans l’adversité. Ses amis et ses ennemis reconnurent son courage, sa droiture, sa loyauté, sa franchise. Il fut le seul des « indignes nationaux » à faire rire ses juges. Une des qualités de ce livre de piété filiale est précisément de faire saisir la complexité des raisons paternelles dans les positions de plus en plus extrêmes. Comme nous l’avions déjà compris par Coston, Brasillach, Brigneau, Charbonneau, etc., il y eut une forte solidarité entre amis. En période de guerre civile, la passion des engagements ne laisse aucune place aux nuances. Ils avaient pris parti, ils ne lâchaient rien comme on dit aujourd’hui. Fusse jusqu’au poteau. Aussi n’ai-je-pas compris l’intérêt, dans le livre, d’une préface de Franz-Olivier Giesbert.
Est-ce un hommage à la vérité officielle, au manichéisme bien-pensant ?
IL est vrai que trouver des qualités littéraires à des écrivains qui pensaient très mal – même 75 ans après – relève presque du crime contre l’humanité. Peu importe, nous entrons au début dans les détails d’une famille bourgeoise du Bordelais qui voyagea.
Pierre-Antoine suivit des bonnes études à Bordeaux, à Paris (à Louis-le-Grand, à New-York). Jusqu’à la troisième, il se dira « catholique et Français ». A l’entrée en seconde « tout changea : je découvris le libre examen et je m’installai avec une remarquable aisance dans la négation…». Plus tard il fera la distinction entre un « scepticisme fécond » qui sera un de ses ressorts mentaux et « ces insurrections saisonnières de jeunes chiens qui n’ont pas d’autres fondements que l’ignorance et la présomption ».
Il obtint son baccalauréat (philosophie) puis se laissa un peu aller, fit du sport et des « petits boulots ».
Après un nouveau séjour difficile à New-York en 1929-1930, il revient en France parlant parfaitement l’anglais.
Recommandé par l’écrivain, grand reporter, Titaÿna (Élisabeth Sauvy, soeur aînée d’Alfred Sauvy), il entre dans le journalisme… et tombe amoureux de la secrétaire de Titaÿna. Elle deviendra sa femme et la mère de ses deux premiers enfants.
Journaliste politique
D’après ce qu’il a écrit et d’après ses amis, ce sceptique aurait été tenté par diverses tendances politiques, au gré des années, des amitiés et des situations diplomatiques et intérieures de la France : anarchiste, révolutionnaire, pacifiste, nationaliste, « fasciste », communiste. Il lisait ses confrères, les rencontrait, mais ce fut quand, à partir de 1932, il entra à Je Suis Partout, qu’il fut lui aussi séduit par le directeur, Pierre Gaxotte. Normalien, agrégé d’histoire-géographie, très cultivé, brillant, ce secrétaire de Maurras fut un modèle pour toute son équipe.
L’écrivain prisonnierPierre-Antoine Cousteau fut sensible aux arguments nationalistes, y compris au fascisme et il ne suivit pas ses amis venus de l’Action française sur l’hypothèse royale. Son talent s’imposa vite : en 1934, il avait accès à la première page de JSP, généralement sur des questions de politique étrangère. Durant « l’avant-guerre », le ton des articles monte ; celui que ses familiers appellent PAC, devient violent. Mais il est apprécié des lecteurs. En 1937, il assiste au congrès de Nuremberg ; en 1938, il se rend à Madrid avec Robert Brasillach et Maurice Bardèche. En 1940, il est mobilisé et sa compagnie est faite prisonnière : il passera quatorze mois dans un stalag en Thuringe avant de revenir. Il reprit sa place au journal, produisit jusqu’en 1944 maints « papiers » pour JSP et Paris-Soir sans retenue, insistant sur la nécessité de renforcer la collaboration. Il méprisait la prudence et fut vite considéré comme un des collaborateurs qui appuyaient les mesures les plus dures. En 1946, il expliqua au juge qu’il avait eu cette position car, dit-il, la défaite de l’Allemagne entraînerait la soviétisation de la France. Lui et son épouse purent échapper aux arrestations en 1944 ; ils gagnèrent l’Allemagne puis l’Autriche et furent arrêtés par la police française en 1945. En novembre 1946, PAC fut condamné à mort, et, enchaîné, attendit dans le « couloir de la mort » durant 141 jours 4. En 1947, il fut gracié par Vincent Auriol mais ne sortit de sa geôle qu’en 1953. Depuis son emprisonnement, et même après il fit des traductions (de l’anglais) mais sa famille connut de grosses difficultés matérielles. Le survol de cette vie (une centaine de pages dans le livre) était nécessaire pour éclairer les positions de PAC. Précisons que Cousteau ne fut encarté dans aucun parti, ne fut pas membre de la Milice (contrairement à ce qu’on lit ici ou là).
Le reste du livre me semble littérairement encore plus intéressant. Ses emprisonnements successifs, à Fresnes avant le procès, puis au bagne : Clairvaux, Eysses, vont donner à ce journaliste sans travail, cet écrivain au verbe fleuri, abondant, l’occasion de pouvoir se livrer à la liberté la plus recherchée des rédacteurs : pouvoir lire, écrire, penser sans être dérangé. Il fit moult recherches, rédigea ses mémoires, et produisit de nombreux manuscrits dont seulement quelques-uns ont été publiés. Mais puisque ses articles de Je Suis Partout sont inaccessibles ou du moins légalement non publiables – en tout il a écrit environ quatre mille articles –, que les conflits et les protagonistes ont disparu, ce sont ces textes de la « survie » qu’il faut absolument déguster : les travaux par thèmes ou auteurs, les mémoires, auxquels appartient « En ce temps-là » publié par Coston en 1959…
Puis il y eut les percutants éditoriaux publiés par l’hebdomadaire Rivarol et édités par Coston en 1956 sous le titre Après le déluge (réimprimé par les Éditions Dualpha en 2007) ainsi que les éditoriaux de PAC pour Lectures françaises, mensuel qu’il avait fondé avec Henry Coston en mars 1957. Bien que très malade, suite aux conditions de sa captivité, il publia jusqu’à son décès des éditoriaux acides et forts (du n° 1 au n° 19-20) que devrait étudier tout aspirant au journalisme… ou les esprits non conformistes pour se détendre et réfléchir. Céline en prend à nouveau pour son grade. Mais aussi les anticolonialistes, les communistes français, le personnel politique français en particulier De Gaulle et Malraux. Son dernier éditorial « Petit portrait du Figaro », traite de l’évolution rapide des « lignes » politiques suivies par Le Figaro depuis le XIXe siècle et depuis 1940 : comme tant d’autres, après avoir encensé jusqu’au bout le Maréchal, il vira de bord et il soutint De Gaulle et ses alliés de gauche. La direction du Figaro de l’époque mérite sa place dans le dictionnaire des girouettes que PAC avait toujours stigmatisées.
Dans ce livre, Jean-Pierre Cousteau a remarquablement fait oeuvre didactique. A plusieurs reprises, il tient à rendre hommage à son oncle le « comman – dant » Jacques-Yves Cousteau qui est toujours intervenu pour PAC, ses enfants, sa femme. L’auteur rappelle notamment qu’au procès de Pierre-Antoine, le jeune officier de marine que ses amis avaient pourtant mis en garde, tint à venir déposer en uniforme pour défendre son frère. Cela déplut à De Gaulle et il semble que la carrière militaire du futur explorateur des fonds marins, en ait pâti. Toute allusion à un événement, tout nom propre peu connu du grand public sont documentés. Surtout l’auteur n’a pas omis de publier en annexes, des extraits de lettres ou d’éditoriaux parmi les plus enlevés, les plus caustiques qui donnent furieusement l’envie de lire d’autres textes. Le dernier chapitre se termine par le très émouvant « Testament et tombeau de Pierre-Antoine Cousteau » (de Lucien Rebatet, Rivarol, 25 décembre 1958).
Jugements littéraires, politiques, religieux
On suit les goûts et dégoûts littéraires de Cousteau. A plusieurs reprises il explique n’en vouloir à personne sauf à Gaxotte pour avoir poussé, dit Cousteau, ses rédacteurs au « fascisme » puis les avoir « lâchés ». La colère l’aveugle et l’amène à contester toute valeur aux synthèses de l’historien par exemple L’Histoire des Français de Pierre Gaxotte, fort estimée par de très nombreux lecteurs et historiens, rééditée pendant des années. Le prisonnier puisait comme il l’entendait des livres dans les 7 000 volumes de la bibliothèque de Clairvaux, sans compter les prêts de ses voisins. Il prenait beaucoup de notes, remplissant de gros carnets en vue d’hypothétiques parutions. Parmi ceux qu’il n’aime pas citons en tête Céline (après sa lecture de « Mort à crédit »). Les raisons données par Cousteau contre l’auteur du « Voyage au bout de la nuit » semblent en partie recevables mais n’évitent pas la mauvaise foi à la Voltaire : « Céline est scatologique pour le plaisir d’être scatologique »… « Son oeuvre est destinée à être le chantre des crasseux, des médiocres, des lâches, des ratés… ». PAC dit aussi avoir le dégoût de l’emploi de l’argot systématique et de la vulgarité. Bref les deux hommes ne s’entendirent pas. Sur les écrivains qui furent, un temps, proches des mouvements « fascistes », il s’emporte. Pour lui Céline, Malaparte, Ernst von Salomon se reniaient (par des nuances mises dans leurs derniers ouvrages) !
Il reconnaît avoir des lacunes et son jugement est fréquemment scellé sur un coup de tête immédiat. On comprend que ce voltairien ait aimé l’esprit du XVIIIe siècle. Son agnosticisme se réduit parfois à des plaisanteries de potaches qu’il faut comprendre comme un exutoire à son amertume. Après avoir relu le « Sermon sur la montagne », il a trouvé utile d’écrire un sermon sur la plaine…: « heureux ceux qui n’ont ni faim, ni soif de justice car ils ne seront jamais déçus ». Sur cette question intime de la foi, face au cynisme, il faut être prudent. Il est rationaliste devant les explications catholiques, il a tendance à simplifier certains épisodes, par exemple les guerres de religion mais il fut très édifié par la charité des religieuses et des aumôniers des prisons. Pour le deuxième anniversaire de l’ « assassinat de Robert » [Brasillach] : « J’ai demandé qu’on dise une messe ce jour-là
à son intention dans la cellule qui sert de chapelle aux condamnés à mort ». Si tous les voltairiens avaient ce genre d’intention… on pourrait espérer. Au moment de rendre l’esprit, il tint à dicter son testament à son grand ami Lucien Rebatet : il dit, quant à ses dispositions philosophiques, n’avoir que « celles qui ont été les miennes, c’est-à-dire dans un agnosticisme total ». Il répète ce qu’il avait expliqué à son juge d’instruction, à savoir désirer la victoire de l’Alle magne… « parce qu’elle représentait à l’époque… la dernière chance de l’homme blanc ».
Ayant recueilli les boursouflures les plus épaisses chez Hugo, il en fit un de ses meilleurs ouvrages, L’Hugothérapie (à conseiller aux neurasthéniques). Mais nous pouvons regretter des faiblesses de jugement dans son emportement contre de grands écrivains aux cadences inoubliables. Je ne peux laisser passer, pour les « Mémoires d’Outre-tombe » les foucades du genre : Chateaubriand… « est un abruti d’une rare qualité ! » Ni son emportement sur les « Oraisons funèbres » de Bossuet. Cela vient sans doute des études secondaires lacunaires. Il le reconnaissait et cherchait à approcher des auteurs provisoirement ignorés ou oubliés. Ainsi il a découvert en prison, avec une grande satisfaction, Rivarol et Machiavel. Il avait gardé un piètre souvenir d’une courte lecture de Stendhal. Il ouvre « La Chartreuse », est émerveillé et ravise son premier jugement. Il relira, parmi d’autres, Stendhal jusqu’à sa mort ainsi que des auteurs anglais dont Oscar Wilde.
Le vrai pac ?
Àsa mort les éloges furent nombreux. Tous insistèrent sur son courage (entre autres Jacques Perret qui était devenu un ami), sa droiture, sa « fidélité à soi-même et à ses amis »… Ceux de ses proches et ses lecteurs qui l’ont le mieux compris, ont souligné, comme Brasillach, son « pessimisme souriant » ; d’autres ont insisté sur son style et son humour froid qui déclenche le rire ou la fureur. Le talent de PAC a sans doute joué un poids supplémentaire dans la balance finale de son jugement. Il avait épinglé trop de médiocres, de profiteurs, de parvenus, de champions du changement de veste… Les éloges les plus précis, les plus littéraires, de l’écrivain me semblent ceux de Saint-Paulien et de Coston. Du premier : « La fougue, la véhémence de ses écrits, sont tempérées par une sorte d’humour froid, par une impassibilité passionnée qui, souvent, produisent un effet prodigieux. Pas de haine ; un mépris écrasant, une ironie âcre, cinglante, qui double l’insulte »…
L’analyse la plus exacte me semble être celle d’Henry Coston, dont le premier souci ne fut pourtant pas de décortiquer la littérature. Ici il va droit au but ; parlant de cette « grande plume », il écrivit : « Ses phrases équilibrées, nerveuses et claires sont traversées d’un humour ravageur et d’une ironie souvent amère. Cousteau fait penser à Voltaire et aux polémistes du XVIIIe siècle, comme aux vaudevillistes du XIXe siècle ou aux humoristes britanniques… » Parmi les auteurs avec lesquels il eut des liens de grande estime, on peut trouver des proximités littéraires : Marcel Aymé, Antoine Blondin, Albert Paraz et surtout le cher Jacques Perret… Ce qui rejoint ce que PAC avait confessé dans une lettre :
« Il y a évidemment une contradiction flagrante entre mon engagement politique, si absolu, extrême et violent et le goût inné que j’ai du scepticisme souriant, de l’épicurisme, de l’hédonisme fleuri des gens du dix-huitième siècle. Il est vrai que cet incomparable dix-huitième siècle s’est abîmé dans des flots de sang et qu’il s’est achevé par des galopades de sabreurs au front bas, imperméables à l’humour et à la philosophie…
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