Elle était restée un peu en retrait mais elle s’est rattrapée en passant sur le devant de la scène plusieurs mois après, à l’occasion de la présentation du projet de la loi de financement de la Sécurité sociale. C’est en grande partie pour ce chantier considérable qu’Agnès Buzyn a été choisie comme ministre de la Santé. Son poste est encore plus vaste, il englobe en réalité la santé, la famille, les jeunes, les pauvres, les personnes âgées. Elle a donné quelques renseignements sur ses objectifs.
Nécessité d’une gestion rigoureuse
Le déficit de la Sécurité sociale sera de 3 milliards d’euros contre 4,4 milliards pour 2017. L’équilibre est prévu pour 2020 et pour cela, le ministre, estimant que 30 % des dépenses de l’assurance maladie ne sont pas « pertinentes », a en vue des réformes structurelles dont les media ont parlé : favoriser l’ambulatoire, fermer des lits, encourager la mutualisation des établissements, lutter contre les déserts médicaux en tablant plus sur des propositions de postes ou de déplacement que sur la coercition. Mais aussi poursuivre la lutte contre la fraude à l’assurance maladie (arrêts de travail…). En 2016, la fraude avait atteint 1,2 milliard d’euros « et les chiffres ne cessent de croître ».
Elle a aussi confirmé les choix macroniens à l’encontre des familles des classes moyennes et supérieures. 4 % de ces familles ne percevront pas les allocations « Prestation d’accueil du jeune enfant » ; plus inquiétant, elle a laissé entendre la suppression des allocations familiales pour les plus aisées… alors, a-t-elle reconnu, que la natalité française est « en baisse pour la première fois depuis la guerre »…
Mais il n’y a pas de confusion, il n’est pas question de ralentir les avortements. Elle est là pour imposer le plan du « chef » : elle est d’accord avec le paiement de la CSG par les retraités et elle a bien montré son inflexibilité pour les vaccins obligatoires des enfants.
Famille et carrière
De formation, elle est hématologue ; ceux qui ont travaillé avec elle, ne peuvent faire autrement que de lui reconnaître des qualités : travailleuse, brillante, empathique. Cette femme active, âgée de 54 ans, n’a pas caché d’avoir « toujours voté à gauche » et vient d’adhérer à La République En Marche. Le conformisme est, comme toujours, le meilleur moyen d’être désigné pour les promotions.
Ce serait d’ailleurs Nicolas Revel, patron de l’assurance maladie, ex-secrétaire général adjoint de l’Élysée sous Hollande en tandem avec Emmanuel Macron, qui aurait glissé le nom de Mme Buzyn au nouveau président. Elle n’avait pas participé à la campagne, mais présentait toutes les qualités pour être au ministère. Une carrière exemplaire en tant que spécialiste de la greffe de la moelle osseuse ; et surtout ses responsabilités de direction dans des hautes institutions : Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire, Institut national du cancer, Haute autorité de santé. C’est dire qu’elle connaît de l’intérieur le système français de santé.
Les gazettes ont rituellement brossé son héritage familial. Il a indéniablement joué un rôle important. Son père, Élie Buzyn, chirurgien orthopédiste, fut déporté à Auschwitz et revint seul rescapé de la famille. Sa mère, Etty, d’origine juive polonaise, fut cachée pendant la guerre et devint psychanalyste. Agnès est l’aînée de trois enfants. A 22 ans, en 1985, elle épouse Pierre-François Veil, fils de Simone.
Ils eurent deux enfants et se séparèrent au bout de huit ans. Elle a, dans la lutte contre le cancer, travaillé avec l’industrie pharmaceutique, ce que certains lui ont reproché [1]. Elle s’est plainte d’avoir dû faire face aux rivalités de grands patrons d’hôpitaux, ce qui n’a rien d’exceptionnel et ne concerne pas seulement les femmes. Ce qui expliquerait, qu’ensuite, elle s’employa à promouvoir des femmes dans les réunions et colloques. Il apparaît que sa venue au ministère a changé le climat interne. Elle a renoué le dialogue avec les médecins libéraux. Des responsables syndicaux du monde médical le disent « c’est le jour et la nuit par rapport à Marisol Touraine ». Disons qu’il était difficile de faire pire.
Une batterie de vaccins pour enfants
Las ! les grincheux et contestataires ont trouvé un autre angle d’attaque contre Agnès Buzyn. C’est qu’elle envisage d’élargir le nombre de vaccins obligatoires pour les nourrissons et enfants et y parvient avec l’aide du Premier ministre. Suivons le parcours. Jusque-là, il y avait trois vaccins obligatoires pour les enfants : rougeole, oreillons, rubéole (ROR). Il va y en avoir onze ! Obligatoires dès le 1er janvier prochain ! Applicables en théorie car l’Assemblée nationale avait voté.
Pour calmer les opposants, le gouvernement lâcha une petite concession. Ces injections seront testées pendant cinq ans, ce sera une période d’essai. Cependant dans le projet de loi, les peines à l’encontre des parents réticents, n’y allaient pas avec le dos de la seringue : six mois d’emprisonnement et 3750 euros d’amende ! Ce fut un tollé devant un tel autoritarisme. Le ministre de la Santé s’en rendit compte et il semble que le gouvernement ait renoncé aux dites sanctions… du moins sous cette forme.
Avec un président qui veut prouver sa poigne, les ministres doivent donner l’exemple mais habilement. Mme Buzyn a laissé, en effet, entendre que le gouvernement abandonnerait les peines prévues, mais l’inoculation des onze vaccins serait obligatoire… pour l’inscription des enfants en crèche ! Le tour sera joué. Les gazettes ont précisé les noms des vaccins et donné largement la parole aux spécialistes qui sont favorables à la manœuvre.
Par exemple dans le Figaro du 10/11/2017, le Dr Daniel Lévy-Bruhl, épidémiologiste à Santé publique France, répond aux critiques faites par un groupe de généralistes [1]. Il reconnaît que le vaccin contre l’hépatique B rendu obligatoire pour les « groupes à risques » (homosexuels) et les professionnels de santé, a été un échec dans le premier cas (groupes à risques) mais aurait contribué à la presque disparition (?) des hépatites B nosocomiales. Ce qui n’a pas grand-chose à voir avec les enfants en bas âge. Il n’empêche que le gouvernement a bien fait un « passage en force et coupé court au débat » sur ces questions (de rejet, d’allergies et effets secondaires de médicaments…) en dépit de la défiance de nombreux concitoyens.
Pierre Romain
[1] – Parmi les arguments des opposants, notons les remarques sur la pression des lobbies pharmaceutiques qui, avec ces millions de vaccins, en tireront vraisemblablement de gros bénéfices. Sur ce point, voir – avec un esprit critique car il y a des exagérations non fondées – le livre de Michèle Rivasi (biologiste agrégée, député écologiste) Le Racket des laboratoires pharmaceutiques et comment en sortir (Éditions Les Petits Matins, 2015).
[1] – Les critiques – confraternelles – visaient un conflit d’intérêts possible avec son mari, Yves Lévy, père de son dernier fils et actuel patron de l’Inserm.