Le livre : mémoire et pensée des hommes sous le regard éternel de Dieu. Devant le foyer familial rougeoyant et crépitant, je lis, ce soir. Assis sur un vieux Louis XVI au velours passé, l’assise défoncée par les générations d’ancêtres précédents, j’ai posé sur le guéridon un Fronton rosé, fierté des hommes au labeur de pénitent dont les embruns contournent mon livre et incitent l’âme à s’élever par-dessus les bruits de la pauvre masse de mes frères les hommes-qui-ne-lisent-pas, le temps de quelques pages.
Assis-là, je regarde ce livre, puis ce vin, et je constate qu’il faut à cette génération un acte de volonté plus important pour s’asseoir et lire, que pour travailler à la vigne ! Le livre alimente la mémoire et l’intelligence, lesquelles enfin montrent l’action à mener et déclenchent la volonté, puis l’acte. Ma génération y apprendrait les raisons pour lesquelles elle ne lit pas, à commencer par une réelle atrophie de la matière cérébrale et musculaire nécessaire pour… ouvrir un livre.
Le livre est fait pour l’âme, immortelle réalité de la race humaine toujours souffrante, tantôt stupide, souvent médiocre, parfois héroïque. Erreur que de ne pas lire ; l’odeur nauséabonde de la trahison programmée émane du cerveau sous-alimenté du paresseux intellectuel.
Ce profil-là, l’esprit mauvais va le choisir pour être récepteur et vecteur de la contamination du bien commun, puis inciter malheureusement son prochain à ne jamais pouvoir dépasser le stade de la première de couverture, encore moins de faire le bon choix entre deux ouvrages. L’arrière train est fait pour supporter le poids d’un corps dont l’âme se forme : les coudes sur les accoudoirs, la tête dans les cieux.
Lu pour vous ce matin dans « SACHEM » :
On peut dire des livres ce que Pascal disait des hommes : il n’est que les gens du commun pour ne point reconnaître entre eux des différences. Cent livres me tentent à la devanture du libraire, et chacun d’eux est une tentation différente.
Avez-vous remarqué comment votre lecture prenait aussitôt plus de relief quand vous connaissez personnellement l’auteur ? Il vous suffira d’un peu d’effort – pas même : de curiosité simplement – pour découvrir derrière un simple nom toute une personnalité. Quelques secondes passées à regarder une photographie de Saint-Exupéry sur un terrain d’aviation, et Terre des Hommes vous parlera davantage. Et ne trouvez-vous pas que Les Hommes de bonne volonté sont plus savoureux quand on sait que Jules Romains s’appelait réellement M. Farigoule ?
Mes amis soigneux recouvrent leurs livres. C’est une bonne manière de les protéger. Je ne crois pas être moins jaloux de la propreté des miens. Je les imiterais volontiers si je ne souffrais de voir mes livres couverts comme d’un ami s’il venait me visiter le visage bandé.
On m’invite à vous recommander de ne pas lécher vos doigts pour tourner plus facilement les pages, et ne pas les « corner quand vous interrompez votre lecture. Ne savez-vous pas que les livres ont une âme et que leur corps souffre quand on les maltraite ?
Un intérieur sans livre me réfrigère autant qu’une pièce sans feu en plein hiver. Un simple rayonnage, quelques romans entre deux serre-livres, et mieux encore : un unique album contenant de belles reproductions, placé sur un guéridon, et la pièce reprend vie.
Ne cachez pas vos livres. Sans doute dans un placard seront-ils à l’abri de la poussière, mais vous vous privez alors de tant d’échanges entre eux et vous dont votre regard sera l’instrument. Oserais-je dire que le pouvoir des livres est tel qu’ils cultivent par leur seule présence ?
Couper un livre (ou pour mieux parler : en découper les pages) constitue pour moi un plaisir particulier. Je me sers d’un couteau de table car je me méfie des coupe-papier : celui-ci est trop épais, avec celui-là je risque à chaque instant d’érafler les pages. Quant à mon couteau, je veille à ce qu’il ne coupe pas trop bien, car, risquant de déraper.
« Ne prêtez pas vos livres » me dit-on souvent. Je sais que ce serait sagesse car ils me reviennent (quand il reviennent … ) noircis, déchirés, débrochés, flétris … Pourtant je ne veux point cesser de les prêter. Je ne me sens pas le droit de les garder pour moi seul et d’en priver un frère moins favorisé qui ne pourra se les procurer.
Je souffrais, étant plus jeune, lorsqu’on m’offrait un livre recouvert d’une dédicace. (Je ne parle pas de celle de l’auteur qui me comblait de joie, mais de celle du donateur). Je pense aujourd’hui que j’avais tort. Car s’il est vrai que l’ouvrage en est alors commercialement déprécié, mais il n’en vaut que plus à mes yeux puisque l’amitié de qui me l’a offert, par ces quelques lignes écrites, l’a doté à la fois de plus de prix à mes yeux et de moindre valeur à ceux des marchands.
Il se dégage des vastes salles de lecture que peuvent offrir les bibliothèques parisiennes, une étrange atmosphère de curiosité intellectuelle, quelque chose qui pousse à la lecture comme une cathédrale incite au recueillement, et qui vous fait trouver les « appariteurs » assommants comme des chaisières ( s’il en reste encore …)
J-F. MORONI