Les échos médiatiques d’automne

Les échos médiatiques d’automne

Cette année, la rentrée a été claironnée dans tous les domaines : pour les écoles, les politiques, la justice, et particulièrement les media. Dans ces derniers, s’est répété le jeu habituel des chaises musicales. Son but est toujours de trouver l’oiseau rare qui va attirer les auditeurs sans toucher à l’essentiel, sans varier de ligne politique ni de références « correctes » ou autres a priori, que ce soit dans les chaînes publiques ou les groupes privés.

La « matinale » de Patrick Cohen sur Europe 1, a été confiée à Nikos Aliagas « épaulé » par Jean-Michel Aphatie et David Abiker. M. Cohen remplace ce dernier pour son émission du samedi et du dimanche. Autre tic énervant des journalistes-animateurs, celui d’encenser leurs collègues qui leur renvoient la balle. Il faut voir la vidéo des louanges données à M. Cohen par Mme Laurence Bloch. Oui, à bien regarder, nous retrouvons les mêmes ou les semblables d’une chaîne à l’autre. Avec les mêmes expressions, les mêmes analyses, les mêmes a priori. Avec un petit côté de copinage.

Pierre Haski

Ainsi à France Inter, dirigée par Laurence Bloch, Pierre Haski, né à Tunis en 1953, remplace Bernard Guetta pour la rubrique de géopolitique dans le journal de Nicolas Demorand. M. Haski a été cofondateur et collaborateur du site Rue 89, créé en 2007. Il a tenu une chronique sur Europe 1 tout en travaillant à Libération (de 1981 à 2007) puis dans L’Obs. En 2017, il devient président de Reporters sans frontières. Il s’est signalé récemment en annonçant sa volonté de créer une « certification pour lutter contre les fausses informations » (sic), en souhaitant « définir des principes et des processus de fabrication d’information de qualité » (selon Le Nouveau Magazine littéraire cité par notre confrère Présent) ! Autrement dit M. Haski propose que soit mise en place une administration qui délivrerait des brevets d’information « correcte ». Ce qui induit une mise au pilori et des sanctions pour les informations jugées « fausses » ou mal pensantes. Comment ne pas penser à « 1984 » d’Orwell ? Et aux propagandes totalitaires ? On trouvera sans peine les kapos nécessaires pour ces délations.

Changements à Marianne
Natacha Polony
Natacha Polony

Dans les premiers jours de septembre, a été annoncée l’arrivée de Natacha Polony au poste de directrice de la rédaction de l’hebdomadaire Marianne. Cette journaliste de 43 ans, travaillant jusque-là au Figaro, s’est fait connaître ces dernières années en intervenant avec pertinence sur des questions d’éducation et de société, dans la presse et dans l’audiovisuel. Elle est une des rares journalistes qui n’hésitent pas à rétorquer aux pontes de la pensée « correcte ». Attitude qui entraîna son éviction d’Europe 1 et de Paris Première [1]. Elle prend donc la succession de Renaud Dély, âgé de 49 ans, qui, lui, est resté dans les « clous » de gauche en passant par Libération, Le Nouvel Observateur avant d’arriver à Marianne en 2016.

Pour nos lecteurs les plus jeunes, il n’est pas inutile de rappeler quelques caractéristiques du Marianne actuel qui fut créé en 1986 – comme mensuel – par des journalistes de « droite libérale » (Jean-Claude Valla , Éric Roig, J. Macé-Scaron, Michel Marmin, Pierre Vial, Dominique Venner…) puis il y eut des changements. Ainsi en 1997, ce fut un « magazine d’actualité hebdomadaire » que lancèrent Jean-François Kahn et Maurice Szafran, pour un lectorat de gauche. À l’époque il se disait « contre les soixante-huitards et le mondialisme capitaliste ». Ce qui ne l’empêcha pas d’apprécier les soutiens financiers confortables versés par des firmes capitalistes !

Jusqu’en 2005, le principal actionnaire fut Robert Assaraf (49,8 % du capital) haut conseiller juif marocain du gouvernement de son pays, il est décédé cette année à l’âge de 81 ans. Aujourd’hui, le capital de Marianne est détenu (à 57 %) par un dirigeant de media, Yves de Chaisemartin, 70 ans. Cet ancien régent du groupe Hersant, joue un grand rôle dans les milieux de presse. Il vient d’annoncer qu’il désirait « sortir » de Marianne. Les autres actionnaires de l’hebdomadaire sont : Maurice Szafran, âgé de 63 ans (31 % du capital), Paul Lederman (78 ans) , Guy Sitbon (84 ans), Franck Ullmann… tous hommes d’affaires liés au monde des media, du cinéma, des spectacles.

Comme un grand nombre de titres de la grosse presse, Marianne a connu des modifications de caps. Certains ont un peu étonné. En 2008, l’hebdomadaire défendit une ligne soutenue par Nicolas Dupont-Aignan, François Bayrou, Dominique de Villepin et même Ségolène Royal !

En 2012, Marianne voulut faire un « scoop » (pour gonfler les ventes) : l’hebdo publia les intentions de votes de ses journalistes, ce qui a donné : 40 % pour Hollande, 31,7 % pour Mélenchon… Ce qui s’est retrouvé dans d’autres journaux se flattant eux aussi d’objectivité. La même année, Marianne perçut 1,5 million d’euros d’aides de l’État. En 2013, R. Szafran et Laurent Neumann furent écartés. En 2016, Renaud Dély devenait directeur de la rédaction et en 2017, le magazine fut mis en redressement judiciaire. En 2017, il tirait à 143 476 exemplaires, ce qui le plaçait en quatrième position des magazines d’information. Finalement (?), nous avons appris qu’il a été racheté par un groupe de presse tchèque que nous avions présenté dans notre n° 734 : Czech Media Invest dirigé par Daniel Kretinsky qui détient à présent 91 % des parts. La presse indépendante à tendance, « déviante », nationale, aura du mal à trouver des commanditaires aussi aisés.

Conflits au Média
Sophia Chikirou
Sophia Chikirou

Il s’agit d’un site « alternatif », de gauche, lancé en janvier, très proche de La France insoumise et de Jean-Luc Mélenchon. Depuis cet été, une ex-directrice de communication de l’homme politique, Sophia Chikirou, a été, il y a quelques mois, l’objet de vives critiques de membres du parti. Ils lui reprocheraient des mouvements de fonds réalisés fin juillet avant son départ de la direction. Cette petite entreprise de 35 salariés (dont une douzaine de journalistes), avait connu des polémiques internes. Notamment à propos du départ de la première présentatrice, ou de « l’affaire de Tolbiac ». Arrêtons-nous un instant sur cet « incident ».

L’université Tolbiac était, au printemps, un centre stratégique pour les durs des multiples grèves parisiennes, une tête de pont des mouvements étudiants les plus violents surexcités par l’actualité : l’évacuation ferme de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes, les manifs avec accrochages… Le 20 avril, des CRS interviennent à 5 heures du matin et « libèrent » les bâtiments. À six heures, la préfecture publie un communiqué selon lequel l’évacuation de Tolbiac s’est déroulée dans le calme sans aucun accident, brutalités, gazage, injures, blessures. Restés dans la rue, les « résistants » protestèrent auprès de reporters venus sur place. Se présenta un témoin de violence. Un SDF, « Désiré », logeait depuis le début dans la faculté. Il prétendit avoir assisté à des violences dont la chute d’un étudiant depuis le toit. Du sang, a-t-il précisé, coulait de sa tête. Les reporters tenaient du « chaud » ! Certains firent leur travail, cherchant d’autres témoignages, les traces de sang… en vain. Cependant la presse de gauche s’empressa de prendre pour argent comptant les racontars de « Désiré ». Marianne, Le Média, Paris Luttes, publièrent la version sanglante : un jeune homme poursuivi par un CRS était tombé d’un toit, il a été transporté dans un hôpital parisien, dans le coma. Il fallut que d’autres journalistes et policiers vérifient auprès de tous les hôpitaux ; pas de mort, ni de blessé grave. Le Média et Marianne avaient bonne mine.

Précisons que Le Média a été fondé par Mme Chikirou aux côtés du psychanalyste Gérard Miller, 70 ans, et Henri Poulain, producteur. Le site ne marcherait que grâce aux contributions de 19 000 militants, cependant Mme Chikirou annonçait un plan de développement. Le séminaire de juillet la ramena à plus de modestie. Elle quitta ses fonctions de présidente de la société de presse (elle y est remplacée par Aude Lancelin) et celle de la société de production (attribuée à Stéphanie Hammou). Parmi les conditions qu’elle avait posées à son départ, elle demandait le paiement des salaires et des factures. La nouvelle direction a déclaré avoir constaté des transferts d’argent malvenus. M. Miller a démissionné de la présidence de l’association.

Durant tout le mois d’août, les prises de positions contradictoires se sont multipliées. Mme Chikirou devrait rejoindre la campagne de La France insoumise (LFI) pour les élections européennes (mai 2019) aux côtés de Mélenchon. En attendant, le paysage reste opaque pour Le Média. Il a été décidé de supprimer le journal télévisé quotidien qui prenait trop d’énergies. Les oppositions demeurent (certains parlent de « purge anti-LFI). Choqué par ce qu’il appelle de la partialité et de la brutalité, Noël Mamère a démissionné également. Jusqu’où ira la patience des derniers « sociétaires » contributeurs ?

Tempête dans un verre d’eau
Raphaël Glucksmann
Raphaël Glucksmann

Un autre titre de la gauche bobo vient d’être secoué par des dissensions internes. Là aussi les choix personnels l’emportent sur la pérennité de l’entreprise. Le Nouveau Magazine littéraire, lancé en décembre 2017, était dirigé par Raphaël Glucksmann, âgé de 38 ans (fils d’André Glucksmann, le philosophe décédé en 2015). Il vient de claquer la porte pour désaccord avec Nicolas Domenach, 68 ans (journaliste politique actif dans les media audiovisuels), mais surtout parce que l’actionnaire majoritaire du mensuel a critiqué sa « radicalisation ». Il s’agit de Claude Perdriel, un millionnaire de 91 ans qui, depuis plus de cinquante ans, est un des principaux patrons de la presse socialiste (Le Nouvel Observateur, L’Obs…) et autres titres [2]. En 2017, il a racheté 100 % de Sophia Publications [L’Histoire, Historia, La Recherche, Le Magazine littéraire, Challenges].

Il y a eu un désaccord à propos d’Emmanuel Macron. Selon M. Glucksmann, ancien soutien de Benoît Hamon, ses critiques contre Macron se voyaient taxées par le propriétaire de « faire le jeu des populistes » ! Perdriel, Domenach, ainsi qu’un autre dirigeant de poids du magazine d’influence, Maurice Szafran qui suit la position de Perdriel, reprochaient à R. Glucksmann d’être trop à gauche ! S’est ajoutée, dans le débat, l’annonce de la sortie (en octobre) d’un livre du même essayiste traitant du libéralisme, mais « très anti-Macron et cela va poser un problème au journal » aurait reconnu M. Glucksmann, qui trouvera rapidement d’autres patrons de presse pour l’embaucher.

Pierre ROMAIN

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[1] – Notre confrère Le Salon beige a souligné (03/09/2018) qu’en janvier 2018, « elle n’avait pas craint de répondre à l’invitation des Éveilleurs d’Espérance pour débattre face à Élisabeth Lévy ; elle était déjà venue en 2016. ». Quatre ans plus tôt, Bruno Roger-Petit, aujourd’hui bombardé (malgré ses lacunes) chargé de communication d’Emmanuel Macron à l’Élysée, s’en était pris aux défenseurs de la famille en désignant « Natacha Polony et Éric Zemmour, hérauts de la France morte contre le mariage gay » !

[2] – En 1965 , alors que les chroniqueurs s’étonnaient de l’origine des grosses sommes investies dans Le Nouvel Observateur par un inconnu, ce fut Lectures Françaises qui révéla le nom de celui qui était considéré comme le fidéicommissaire du baron Edmond de Rothschild. L’information fut reprise par plusieurs journaux. M. Perdriel a fondé le groupe industriel SFA spécialisé dans les sanibroyeurs et les techniques sanitaires. Ce n’est pas d’hier que le « gros argent » se complaît à faire vivre les brûlots de gauche.

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