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Léon Daudet – Un verbe et une plume oubliés

Léon Daudet – Un verbe et une plume oubliés

Naissance à Paris le 16 novembre 1867 : on remarquera qu’en 2017, l’anniversaire de la naissance (150 ans) n’ayant été mentionné nulle part, il n’y eut pas de controverse !

Mort à Saint-Rémy-de-Provence le 1er juillet 1942, voilà quatre-vingts ans : rendons-lui l’hommage qu’il mérite  [1]!

Léon Daudet, fils d’Alphonse connut une enfance heureuse entre des parents chéris, une jeunesse brillante dans un Paris fin de siècle où le salon familial le mit très jeune au contact du monde des arts et des lettres.

Il fit de solides études au lycée Louis-le-Grand, ses talents ne passèrent pas inaperçus des intellectuels de l’époque. D’ailleurs il se faufila dans leurs rangs par son amitié avec Georges Hugo puis son mariage (civil) avec Jeanne.

Ses études de médecine s’arrêtèrent au seuil du doctorat et il embrassa la carrière littéraire avec les encouragements de son père. Après un roman inspiré par le personnage de Victor Hugo L’Astre noir, on peut dire en quelque sorte, son brouillon, son talent va éclater avec Les Morticoles (1894) puis Le Voyage de Shakespeare (1896).

Conversion et rencontre de Maurras

Mais il n’entra pas dans le parti dreyfusard. Mis en relation avec Maurras et Vaugeois par l’intermédiaire du journal Le Gaulois, son mariage en 1903 avec Marthe Allard aida à son évolution vers la monarchie à laquelle il adhéra dans un article du 3 septembre 1904. Sa décision est irrévocable, son engagement au service de la patrie définitif.

Il fut le directeur du quotidien d’Action française, il fut le journaliste qui démasqua le défaitisme et la trahison pendant la Guerre de 1914-1918, il fut le député de Paris capable de dominer à lui seul l’hémicycle, il fut le père du pauvre Philippe jeté en prison parce qu’il dénonçait un crime de basse police, l’évadé de la Santé qui fit rire la France entière ou l’exilé de Bruxelles. Oui il fut tout cela et bien plus encore !

L’homme

Pour présenter la personnalité de Léon Daudet, nous demanderons à sa chère « Pampille » (nom de plume de Marthe Daudet) de nous dresser son portrait :

« Et… maintenant avant de revivre des jours de ténèbres (la disparition de leur fils Philippe) je veux encore en quelques traits, peindre la nature et le caractère de mon mari tant de fois calomnié.

« Léon Daudet est un grand vivant. Il possède non seulement une intelligence magnifique, élevée, multiple, presque géniale, une intelligence toujours en mouvement, qui va, vient, vole, s’élève, jusqu’à la limite de la connaissance, tel un oiseau aux ailes puissantes qui vole au plus haut des airs et contemple à la fois les montagnes, les fleuves, les plaines couchées à ses pieds, et la solitude effrayante du ciel ; et en même temps il aperçoit sur la terre dans un champ une petite musaraigne craintive qui se sauve et sur laquelle il fond, et qui fera le petit hors-d’œuvre de son dîner. Ainsi, Léon Daudet, s’intéresse-t-il à toutes les choses de la vie et de la terre ; il fait siennes toutes les pensées, toutes les connaissances, toutes les joies de l’esprit. Il ne méprise rien. Il donne leur valeur aux petites comme aux grandes choses ; un plat bien réussi, une bonne bouteille de vin le mettent en joie autant qu’une belle lecture, une belle conversation, une observation juste et pénétrante. Il n’est pas un pharisien hypocrite ne s’attachant qu’à l’extérieur de la vertu, observant la lettre et méprisant le fond.

« C’est un cœur généreux qui se place toujours au point de vue élevé, et qui magnifie tout parce que lui-même est grand. » (La vie et la mort de Philippe)

Toutes les qualités que décrit si bien Marthe Daudet se retrouvent dans l’œuvre de son mari, comme nous essaierons de le montrer.

Prenons maintenant le témoignage de ses amis :

Citons d’abord, à tout seigneur, tout honneur, Jacques Bainville… 

« Je crois que si nous avons montré quelque chose, c’est que l’amitié n’est pas une chimère.

« Ce n’est pas non plus un mérite. C’est la plus grande douceur de l’existence. Jeudi dernier, quand Léon Daudet est venu m’embrasser, il m’a dit un mot qu’il me permettra de vous citer, parce que c’est tout lui, avec son cœur, sa bonne humeur, son magnanime détachement de lui-même : “Voilà le plus grand plaisir que j’aie eu depuis longtemps dans ma chienne de vie.” (…).

« Il y a vingt-huit ans, depuis la fondation du journal, que nous sommes assis, Léon Daudet et moi, à la même table de travail. Rue de la Chaussée-d’Antin, rue Caumartin, rue du Boccador, cette table est toujours revenue. Je crois que si on voulait la scier elle résisterait comme du granit, bien qu’elle ne soit que de bois blanc.

« Nous sommes tous différents ici. Nous avons nos façons de voir les choses, nos goûts personnels, nos manières de penser et de travailler et nous ne nous chicanons jamais sur l’accessoire. Nous ne sommes pas libéraux, mais nous respectons, nous aimons même la liberté de chacun de nous. C’est ce qui fait notre harmonie. »[2]

Dans son hommage posthume, Jacques Delebecque présente l’écrivain inimitable :

« On a comparé son talent à celui de Saint-Simon, dont il possédait en effet la passion, la fougue extraordinaire, l’art de peindre à fresque les grandes scènes et de tracer en même temps des portraits ou des esquisses d’une ressemblance criante. (…) Grâce à Léon Daudet, la Troisième République et les principaux acteurs de son monde littéraire, artistique, politique, auront le privilège de rester vivants dans l’histoire. L’auteur de L’Entre-Deux-Guerres a eu des trouvailles dans l’expression qui marqueront d’un trait ineffaçable les personnages de son époque. »

Quelques portraits tirés de cet ouvrage : commençons par un magnifique portrait de libéral :

« Le seigneur d’Haussonville est vain et se croit malicieux. Parlez-moi d’un véritable libéral… La démocratie lui semble un flot irrésistible et il s’y baigne en souriant, avec un caleçon d’ancien régime. »

Pas toujours à charge ses portraits, mais toujours d’un réalisme cru :

« Maurice Barrès venait d’avoir un vif succès avec le jardin de Bérénice. Il était long, mince, d’une souveraine élégance intellectuelle, avide de gloire et plein d’esprit. Il parlait d’une forte voix grave, avec un accent lorrain prononcé, assis, les jambes croisées l’une sur l’autre, relevant de temps en temps la mèche noire qui retombait sur son large front… »

Quelques « erreurs et engouements » de l’époque et qui durent encore et combien !

« La période de l’Entre-deux-guerres qui va de 1885 à 1898 environ marque en littérature comme en musique, un obscurcissement singulier de l’esprit français. »

Il s’agit de dénoncer l’influence nocive de Tolstoï, de Ibsen et de Nietzsche. Tout cela est fort intéressant, retenons ce qu’il nous dit dans sa conclusion sur Ibsen :

« Nous devons à Ibsen deux formules du jargon sentimental intellectuel de l’Entre-deux-guerres : “vivre sa vie” et “en beauté”. La première menait les femmes faibles au trottoir ou chez la proxénète. La seconde légitimait toutes les loufoqueries. L’une et l’autre comportaient le sermon laïque. »

Ces quelques extraits nous donnent un aperçu de l’auteur que fut Léon Daudet. Il est vraiment impossible de faire le tour de cette œuvre, car elle comporte au moins cent vingt-huit livres (trente-cinq romans variés, du roman « contemporain » au roman historique, une dizaine d’essais « philosophiques » ou de critique littéraire, dix pamphlets, de l’histoire et surtout des souvenirs qui sont reconnus unanimement comme son premier titre de renommée littéraire) sans compter les quelque neuf mille articles ! (LIRE LA SUITE DANS NOTRE NUMÉRO)

Claude JACQUE

[1] – Ce dossier a pu être réalisé grâce à la documentation du regretté Gérard Bedel (1944-2022).

[2] – Discours prononcé à l’Action française par Jacques Bainville, à l’occasion de son élection à l’Académie française. Cité par Gérard Bedel dans Jacques Bainville, la sagesse politique d’un gentilhomme des lettres (p. 261-262).

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