Le texte qui suit est une synthèse des thèmes abordés dans la correspondance amicale qu’ont entretenue Robert Brasillach et Jacques Tournant. Ces lettres étaient conservées jusqu’à une date récente aux Archives nationales et sont tombées depuis peu dans le domaine public. Le lecteur ne peut manquer d’être frappé par la variété des sujets traités : la vie quotidienne en zone occupée, l’amitié scellée dans un Oflag, l’actualité politique et militaire. C’est aussi la personnalité riche et complexe de Robert Brasillach que l’on découvre. En l’absence de toute pagination et de toute numérotation des lignes dans le document original, nous avons indiqué, en guise de références, les dates des lettres.
À l’automne 1976, les Cahiers des Amis de Robert Brasillach avaient reproduit dans leur vingt et unième numéro une remarquable analyse de Ginette Guitard-Auviste (1923-2011), intitulée « Brasillach et l’amitié », dont voici la première phrase : « L’amitié est une lumière dans l’œuvre et sur l’œuvre de Brasillach parce qu’elle était de l’homme même. » [1] La pertinence de cette affirmation est confirmée avec éclat par les lettres de Robert Brasillach à Jacques Tournant.
L’amitié entre Robert Brasillach et Jacques Tournant, tous deux nés en 1909, s’est nouée derrière les barbelés d’un camp de prisonniers français en Allemagne, l’Oflag VI-A de Soest. Parisien de naissance, Jacques Tournant a fait ses études à l’École spéciale d’architecture (ÉSA), école privée reconnue néanmoins par l’État. Robert Brasillach, natif de Perpignan, est un provincial. D’abord élève à l’école communale de la capitale du Roussillon, il poursuit sa scolarité au lycée de Sens, après le déménagement de sa famille en Bourgogne [2]. Il intègre enfin le lycée Louis-le-Grand, à Paris. C’est donc à juste titre que dans Notre avant-guerre, l’écrivain se range parmi les « élèves des lycées démocratiques » [3].
Au camp de Soest, c’est Jacques Tournant qui ouvrit à Robert Brasillach la chambre 57, dans laquelle était centralisé le courrier destiné aux prisonniers (lettres et colis). Robert Brasillach interpréta ce geste comme une marque de confiance et d’amitié, qui le fit « rajeunir ». Après que l’écrivain fut libéré du camp de Soest et rentré en France, il se retrouva en effet dans une situation similaire à celle de sa dix-huitième année, lorsqu’il écrivait longuement à Maurice Bardèche pendant les vacances d’été. De plus, malgré la différence de leurs parcours universitaires, Robert Brasillach et Jacques Tournant avaient en commun d’avoir fréquenté les mêmes lieux, le Quartier latin, les restaurants russes et jusqu’à la maison d’édition d’Alexis Redier.
L’aveu de ce rajeunissement n’est pas le seul intérêt que présente la lettre du 2 juin 1941. Robert Brasillach y aborde aussi le projet formé par le gouvernement de Vichy de le nommer Commissaire au cinéma ; il dévoile à cette occasion ce qu’il est et ce qu’il veut vraiment.
« Je suis toujours en pourparlers pour mes hauts postes gouvernementaux. En réalité, je n’ai pas très envie d’aliéner ma liberté. J’ai terriblement envie de liberté, de dire beaucoup de choses que je voudrais dire (et cela aussi, en somme, pourrait être utile), et aussi de ne pas abandonner la bohême et la jeunesse de l’allure. Je ne veux pas m’acheter un chapeau ni un col dur. Je veux continuer à porter des cravates de laine. Je veux faire, si j’en ai envie, du camping à bicyclette. C’est tout cela que je défends en luttant contre les honneurs. Et puis je n’aime pas travailler au milieu des bandits du genre sérieux, et je n’aime que les équipes de camarades. »
Le 2 juin 1941 encore, Robert Brasillach parle de son activité professionnelle de journaliste à l’hebdomadaire Je Suis Partout. Il dit ne plus écrire pratiquement qu’à J.S.P. :
« Deux ou trois fois au journal de Doriot [4], où j’ai beaucoup d’amis, ou au Petit Parisien. Mais, au fond, je ne sais quoi y dire, tandis qu’à J.S.P. je fais ce que je veux. »
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Cécile DUGAS
Vice-présidente des Amis de Robert Brasillach
[1] – Cahiers des Amis de Robert Brasillach n° 21, Lausanne, Automne 1976, p. 78. Souligné par Ginette Guitard-Auviste.
[2] – Après la mort, le 13 novembre 1914, au Maroc, à El Herri, du lieutenant Arthémile Brasillach, père de l’écrivain, la mère de ce dernier se remarie avec Paul Maugis, médecin, le 11 février 1918. C’est cette famille qui s’installe à Sens ; elle verra naître, en 1921, Geneviève, demi-sœur de Robert Brasillach.
[3] – Notre avant-guerre, Éditions Pardès, 2020, p. 96.
[4] – Le Cri du peuple, titre emprunté à Jules Vallès.
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