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États-Unis : déclin ou grand retour ?

ByErwan Faber

Mai 28, 2024
États-Unis : déclin ou grand retour ?

Depuis 2008, tel un réflexe pavlovien lié à la faillite de Lehman Brothers et de la crise financière sans précédent, beaucoup ont tendance à identifier toute crise touchant les États-Unis comme une répétition du phénomène. Celui-ci semble s’accentuer avec la dédollarisation, la concurrence de l’économie chinoise ou indienne, des BRICS [1], au point de se demander s’ils ne sont pas entrés en déclin ? Pourtant, malgré les crises successives du Covid, de la guerre d’Ukraine, des hausses de taux d’intérêts sans précédent, l’économie américaine résiste imperturbablement affichant des taux de croissance économique et une bourse sur ses plus hauts niveaux, en fort décalage avec l’Europe et l’économie mondiale. Difficile de parler de déclin alors que depuis 2008 la bourse américaine a cru de +813 % contre une Europe (Euro Stoxx 50 [2]) qui affiche péniblement +200 %, soit une économie quatre fois plus performante [3] !

Où en est actuellement l’économie des États-Unis ? Y a-t-il dédollarisation ou perte du pouvoir du dollar depuis la crise ukrainienne ? Quel est l’enjeu de l’élection du 47e président américain en novembre prochain ? Les Européens, champions de la réglementation ont-ils les moyens de contrecarrer les ambitions de l’oncle « Sam » ou faut-il s’attendre à un « raz de marée » numérique américain ?

Manœuvres autour d’un retour de l’Hyperpuissance américaine ?

Comme le fait judicieusement remarquer Guillaume de Calignon des Échos, si dans les années 2000, l’économie américaine n’avait que 11 % d’avance sur celle de l’Europe, l’écart se creuse au point d’atteindre 32 % vingt-cinq ans plus tard [4]. Contre toute attente, non seulement les chiffres du PIB américain au 3e trimestre 2023 affichaient une croissance de 4,9 % (annualisés), mais la tendance s’est confirmée à 3,3 % [5] au 4e trimestre alors que de son côté l’Europe patine allègrement avec une croissance proche de 0 % (0,6 % attendu par la Commission européenne) [6]. Ainsi sur l’année 2023 la croissance américaine progresse de 2,5 % contre 1,9 % en 2022 et cela malgré l’héritage de la période Covid, une hausse des taux d’intérêts sans précédent et le financement de la guerre contre la Russie et le soutien à Israël etc.

À ce tableau optimiste, on peut légitimement opposer un endettement multiplié au moins par 5 depuis 2008, qui devrait culminer à environ 6,3 % du PIB en 2023[7] (contre 4,9 % en France). Paradoxalement, l’économie dominante américaine n’a jamais eu de mal à trouver des preneurs chaque fois qu’elle émet un emprunt. Il est important de comprendre que l’endettement américain est une habile stratégie de domination. Depuis plusieurs décennies, nous constatons que des pays comme le Japon, la Chine et le Royaume-Uni se battent pour acheter les BiTis, Bons du trésor américain et sont les principaux détenteurs étrangers de la dette américaine. Ces pays sont dépendants du bon remboursement de la dette…

Il faut se rendre à l’évidence que, malgré la mauvaise gestion Démocrate, l’économie américaine tient toujours le devant de la scène sur de nombreux secteurs stratégiques comme la technologie, la défense, les médias, l’énergie et surtout la finance. Évitant la crise financière annoncée avec la faillite de la SVB, la plus grande banque américaine JP Morgan a même profité de la situation pour racheter l’une des banques en défaut (First Republic Bank) et afficher plus de 50 milliards de bénéfice net. La crise actuelle profite largement aux grandes sociétés américaines comme en témoigne la santé de sa bourse (+20 % de croissance en 2023), prospective plus ou moins juste des résultats futurs.

Destinée initialement à juguler l’inflation, la FED a multiplié ses taux d’intérêts par plus de 10 en l’espace de deux ans (de 0,25 % à 5,50 % [8]). Cette politique de hausse soudaine pourrait paraître instrumentalisée de la part de « l’Establishment » américain tant elle provoque une hausse en chaine des taux auprès de ses partenaires internationaux surendettés, Europe en tête… Il était pourtant de notoriété publique que l’inflation américaine n’était pas structurelle mais simplement conjoncturelle, conséquence logique des pénuries provoquées par le dictat de la crise Covid et de l’embargo contre la Russie… difficile de ne pas avoir un doute sur la légitimité et l’intention réelle de la FED. Le soupçon persiste lorsque l’on sait que l’autonomie énergétique américaine (initiée sous le mandat de Donald Trump), avec l’exploitation du gaz de schiste bitumineux, permet aux entreprises américaines de garder un avantage concurrentiel de taille par la minoration des coûts de production, alors qu’entretemps la note énergétique européenne grimpe suite à l’embargo orchestré par les pays occidentaux contre les Russes. Quoiqu’il en soit, comme le fait toujours remarquer Guillaume de Calignon, « les politiques économiques et la guerre en Ukraine expliquent ce grand écart » mais surtout, l’écart semble s’accélérer depuis la guerre : le PIB de la zone euro stagne, quand celui des États-Unis progresse de 6 % !

« Shutdown » potentiel et incertitudes de l’élection présidentielle

Derrière ces chiffres de croissance enviables, certains opposeront le spectre du « shutdown », paralysie potentielle du financement de l’administration américaine. Ceci n’est pourtant qu’un jeu électoral où les représentants justifient souvent leur existence. Malgré la politique intérieure et internationale désastreuse des démocrates, avec un congrès divisé du fait d’une chambre haute (le Sénat démocrate) n’ayant pas la même couleur que la chambre basse (chambre des représentants), majoritairement républicaine, les deux chambres se sont finalement entendues sur un budget de 1600 Md$. Il ne faut pas oublier que nous sommes dans le contexte classique du « check and balance » américain, rapport de force où les partis à la veille d’élections présidentielles manifestent leur désaccord avec l’administration du locataire de la maison blanche. L’enjeu est de taille, une augmentation des dépenses (non militaires) de 886,3 Md$ semble l’une des stratégies des démocrates pour amadouer (acheter ?) les électeurs et tenter d’éloigner un Donald Trump par trop menaçant dans les sondages.

Cette fuite en avant budgétaire de la dette s’apparente à un « dernier acte » des « Faucons » et de l’establishment, adeptes de la vision unipolaire du monde. Deux Amériques vont donc s’affronter le 5 novembre prochain : l’Amérique cosmopolite, emprunte d’écologie, de wokisme et autres idées LGBT décadentes et l’Amérique profonde patriote conservatrice et chrétienne des campagnes et bourgades moyennes. La première détient plutôt l’argent et monopolise les médias, la seconde se bat pour survivre et constitue la classe moyenne et laborieuse… Derrière l’étiquette démocrate on distingue clairement l’idéologie mondialiste alliée à celle du complexe militaro-industriel avec un budget annuel approchant les 1000 Mds$, et de l’autre côté l’Amérique isolationniste, lassée de payer la note des conflits à travers le monde. Nous sommes dans une situation où les antagonismes dévoilent le grand déclin de la démocratie américaine : une gérontocratie ultra élitiste sur fonds de ploutocratie avancée. Les élections actuelles mobilisent des budgets pharaoniques pour une politique spectacle à l’américaine qui dissimulent maladroitement un choix de société. (LIRE LA SUITE DANS NOTRE NUMÉRO)

Erwan FABER et Jean MONTAGNE

[1] – Brésil, Russie, Chine, Inde, Afrique du Sud.

[2] – Indice composé des 50 plus grandes sociétés cotées en bourse dans les pays de la zone euro, dont de nombreuses marques européennes bien connues, lancé en 1998 par STOXX Limited, une filiale du groupe Deutsche Börse (Source : Degiro.fr).

[3] – Calcul du S&P500 (cf. note 13) en Euro dividendes réinvestis du 26/12/2008 au 27/01/2024, et de l’Euro Stoxx 50 sur la même période.

[4]lesechos.fr, 25/01/2024, article de Guillaume de Calignon : « Croissance : pourquoi l’Amérique surpasse le Vieux Continent ».

[5]latribune.fr, 25/01/2024 : « La croissance des États-Unis tourne à plein régime et dépasse les prévisions ».

[6]lesechos.fr, 15/11/2023 : « UE : Bruxelles n’attend plus que 0,6 % de croissance en 2023 ».

[7] – Tribune de Genève (tdg.ch), 20/10/20223 : « Budget : le déficit des États-Unis grimpe, à un an de la présidentielle ».

[8] – Taux d’intérêt 10 ans (source : abcbourse.com, dernière valeur connue janvier 2024).

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