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La Turquie d’Erdogan – Les relations entre l’Europe et la Turquie

ByJean-Gilles Malliarakis

Avr 18, 2024
La Turquie d'Erdogan - Les relations entre l'Europe et la Turquie
Dans un livre publié en 2009, sous le titre La Question turque et l’Europe, l’auteur s’attachait à présenter le dossier, alors à l’ordre du jour, à la candidature officiellement déposée par Ankara depuis 1987 auprès des institutions européennes.
À 37 ans de distance, 15 nouveaux États ayant rejoint entre-temps ce qui est devenu l’Union européenne, force est de constater que les obstacles rencontrés, année après année, démontrent l’impossibilité politique et pratique de cette tentative d’adhésion. L’abondance de matières nous a obligé, en attendant la publication d’un prochain ouvrage de laisser notamment de côté deux aspects très importants des relations entre l’Europe et la Turquie.
Le premier porte sur l’attitude des autorités d’Ankara en matière migratoire. Ainsi, le 7 mars 2020, le ministre turc de l’Intérieur, Süleyman Soylu se félicitait-il de la menace qu’il  pouvait faire brandir : « Le nombre de réfugiés qui traversent la frontière vers l’Europe atteindra bientôt le million, les gouvernements européens tomberont, leurs économies seront déstabilisées et leurs bourses s’effondreront et ils ne pourront rien y faire. »
Le second, celui de la réélection en 2023 de l’hyperprésident Erdogan a vu les institutions européennes, si sourcilleuses prétendument quant à la vie démocratique applaudissant aux conditions du scrutin. MM. Borrel et Charles Michel, pas plus que Mme Von der Leyen n’avaient vu que le Reïs avait choisi lui-même son adversaire. Le sympathique kémaliste Kiliçdaroglu, âgé de 75 ans, membre de la minorité alevi, ne pouvait pas gagner. Erdogan avait fait éliminer de la compétition, par un tribunal aux ordres, le seul candidat susceptible d’unir les opposants, en la personne du maire d’Istanbul.
On verra aussi, tout au long de ce dossier combien la présentation du partenariat euro-turc se trouve biaisé par un parti pris qu’on qualifiera de philosophique : l’Europe institutionnelle ne saurait accepter d’apparaître pour un « club chrétien ». En 2004, à ce titre, plus que d’autres politiciens français, ce fut Jacques Chirac, chaud partisan de l’admission d’Ankara, qui imposa à nos partenaires que soit rayée toute référence constitutionnelle aux racines chrétiennes de notre continent et de sa civilisation.
La France officielle, républicaine et laïciste, n’a, 20 ans plus tard, recueilli aucun bénéfice de ce que l’on peut considérer comme un reniement, puisque c’est bien elle qui se retrouve, aux premières loges, par exemple, des critiques et attaques du régime d’Erdogan et de sa propagande tant à l’encontre de sa supposée « islamophobie », que de son rôle pacifique en Méditerranée, etc.
Un compte à régler avec la France

Tous les jours, Anadolu, l’agence officielle de l’État turc, donne à ses lecteurs francophones des nouvelles de la France.

Pas vraiment de bonnes nouvelles. Mais qui s’en étonnera ?

Ce 14 février, par exemple, l’information vedette était titrée : « Macron avoue être inapte socialement ». Il s’agit tout simplement des déclarations, tant soit peu tronquées, du président de notre république relayées par L’Express, la veille 13 février. Il déplore en effet : « Je ne sais pas bien dire les choses… Les gens, je les choque, je les attriste ». « Je suis inapte (…) La mission qui est la mienne condamne à la solitude », regrettant par conséquent, « l’isolement que peut engendrer la charge présidentielle ».

De telles confidences, semble se féliciter Anadolu, n’ont pas manqué d’être reprises par plusieurs autres titres français. Ainsi Libération évoque le « handicap social du président » en compilant les nombreux propos fort peu sympathiques ou mauvaises manières de ce dernier à l’égard de ses anciens ministres, proches ou alliés. Même son de cloche du côté du magazine Gala, qui écrit :

« Loin de l’image imperturbable souvent associée aux hautes sphères de l’État, le président de la République a partagé des confidences qui révèlent une facette plus vulnérable de sa personnalité ».

Ces extraits de presse étaient utilement complétés par un petit article de Feiza Ben Mohamed intitulé : « France : la moitié des ministres sont millionnaires. » On y apprenait ainsi que « sur les 34 ministres que compte désormais le gouvernement Attal, 17 au moins sont millionnaires et font donc partie des 5 % des Français les plus riches ». Cette information était tirée d’une coupure de presse découpée deux jours auparavant dans L’Humanité.

La suite du texte se veut évidemment édifiante :

« Le ministre du Commerce extérieur [Franck Riester], apprend-on ainsi est le plus fortuné avec un patrimoine de plus de 10 millions d’euros, tandis que la ministre des Sports, Amélie Oudéa-Castéra aurait une fortune estimée à environ 7 millions d’euros, grâce notamment aux actions qu’elle possède chez Carrefour et AXA, et qui lui ont été offertes au cours de sa carrière professionnelle. Parmi les autres millionnaires du gouvernement figurent également la ministre de la Culture Rachida Dati, le ministre de l’Agriculture Marc Fesneau ou encore le ministre de la Justice Éric Dupond-Moretti. Si ces informations sont à ce stade issues du journal L’Humanité, les données consolidées devraient être connues dans les prochaines semaines grâce notamment aux déclarations faites par lesdits ministres, auprès de la Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique (HATVP). »

Pas une seconde n’est évoqué le lien entre le journal abondamment cité et le parti communiste français. Ce point de détail aurait pu intéresser les lecteurs d’Anadolu, puisque le parti communiste est interdit en Turquie. Après avoir été brièvement et fictivement autorisé en 2014, pour satisfaire aux critères d’adhésion à l’Union européenne, il a été dissous en 2017.

Le même jour on pouvait se reporter, pour plus d’informations relatives à notre pays à la rubrique « Dépêches similaires ».

Voici donc ce que les lecteurs allaient apprendre :

D’abord la déclaration du « chef d’État nigérien : La France doit payer cash les dettes de 65 ans de pillages systématiques de nos ressources ». Sous la signature de Hajer Cherni, correspondant de l’agence turque, sont repris, sans la moindre réserve, les propos du général de brigade Abdourahamane Tiani. Ce putschiste est au pouvoir dans son pays depuis le coup d’État militaire, qu’il a réalisé en juillet 2023 en qualité de chef de la garde présidentielle.

Le dictateur africain a prétendu souligner ainsi « l’importance de la monnaie qui est un signe de souveraineté, rappelant la longue période pendant laquelle les ressources africaines ont [selon lui] été pillées. »

Dans son entretien « exclusif » diffusé le 14 février, sur les ondes de la télévision nationale et relayé par les médias africains, ce personnage martèle :

« La France nous a spoliés pendant plus de 107 ans et elle doit payer cash les dettes de 65 ans de pillages systématiques de nos ressources et les 42 ans, nous trouverons un échéancier pour qu’on soit quitte avec la France » [1].

On serait évidemment tenté de répondre qu’en retour les colonies françaises ont elles-mêmes coûté probablement plus cher qu’elles n’ont rapporté, et que les pays aujourd’hui indépendants reçoivent aujourd’hui encore des aides considérables. Mais ceci est une autre histoire… Et Anadolu ne s’arrête pas là.

On trouve en effet encore dans cette édition francophone, pêle-mêle les articles suivants :

« Si la France n’agit pas, elle devient complice des crimes d’Israël » ;

« France : La Cour de cassation valide le non-lieu dont a bénéficié Darmanin dans l’enquête pour viol » ;

« France / Affaire Bygmalion : Nicolas Sarkozy condamné en appel à 1 an de prison dont 6 mois avec sursis » ;

« France / Hommage à Robert Badinter : Macron souhaite son entrée au Panthéon » ;

et enfin

« LFI appelle la France à cesser d’exporter des armes vers Israël ».

Tout ceci n’est pas entièrement faux, et pourrait [parfois] être repris dans un autre esprit.

Mais si l’agence de l’État turc publie des informations, vraies ou fausses, en français ce n’est pas en direction du public de l’Hexagone, en tout cas pas des autochtones : c’est d’abord pour alimenter en arguments généralement fielleux les folliculaires et autres propagandistes de langue française que comptent l’Afrique, le Proche-Orient ou l’Océanie – où les francophones sont nombreux.

Fondée en 1920, installée à Ankara l’agence Anadolu a participé à toutes les étapes de la construction de l’État, kémaliste au départ, islamiste aujourd’hui. Soulignons aussi la pénétration des services secrets. Elle s’affiche désormais parfaitement visible, depuis qu’en 2023 Hakan Fidan a été nommé ministre des Affaires étrangères. Il était précédemment le chef des services spéciaux, dirigeant le MIT, organisme de renseignement d’un État gangrené par l’islamisme. L’osmose se retrouve à tous les échelons.

C’est donc ce personnage qui fait le tri, en direction de l’opinion publique de son pays, entre les bons et les mauvais pays européens. Ainsi le 15 février à Budapest, il se félicitait que la Hongrie assumera à partir de juillet la présidence de l’Union européenne. Et il déclare que « l’Union européenne doit maintenant mettre fin à la politique identitaire (?) dans son approche à l’égard de la Turquie. » Nous reviendrons plus loin sur cette étrange pression.

La guerre du gaz en Méditerranée orientale

La crise franco-turque de 2020 n’a guère de précédent, entre alliés et en temps de paix. Elle verra Erdogan, président de la république dans son pays, aller jusqu’à mettre en question la « santé mentale » de son homologue Emmanuel Macron.

Pour comprendre le mécanisme de cet affrontement, qui va s’élargir dans une dimension politico-religieuse, entre une France historiquement chrétienne et une Turquie de plus en plus islamiste, il faut considérer le choc des intérêts.

Cette année-là, pour le monde entier, la question du Covid accapare les préoccupations.

Mais ce qui pousse l’État turc à s’en prendre à la France c’est la question des gisements gaziers en Méditerranée orientale, dans lesquels le groupe pétrolier Total, la plus grosse capitalisation boursière du CAC 40 parisien, est en passe d’acquérir la part du lion. (LIRE LA SUITE DANS NOTRE NUMÉRO)

Jean-Gilles MALLIARAKIS

[1] – Propos rapportés l’agence de presse du Burkina, et repris par Anadolu.

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