Si l’Exode est la sortie d’Égypte, comment se fait-il que son trajet se déroule essentiellement en territoire égyptien ?… Voilà une des nombreuses contradictions auxquelles aboutit le mont Sinaï légué par sainte Hélène, et qui font le casse-tête du monde savant depuis plusieurs siècles ; elles aboutissent même à placer chaque désert, chaque peuple rencontré par les Hébreux, en fonction de la carte au moins douteuse de l’Exode : c’est le serpent qui se mord la queue ! Pour en sortir, une équipe d’archéologues a eu l’idée de reprendre les choses au début, et de tout replacer sur la carte en suivant les seules indications glanées tout au long du texte sacré (à commencer par saint Paul, qui met le mont en Arabie ! ) on arrive alors à la conclusion : le mont est en Arabie, le passage de la mer Rouge au détroit de Tiran, à l’embouchure du golfe d’Aqaba (cf. carte ci-contre)… et l’Égyptien a bien menti, qui, au Ier siècle, a ramené le Mont en Égypte…
De la sorte surtout, le récit de l’Exode s’éclaircit comme par miracle, resitué qu’il est sur les bons terrains, et l’on s’aperçoit que le Saint-Esprit a pris la peine de donner plus d’un détail en lien avec la réalité des lieux traversés. Et il n’est pas jusqu’à l’histoire profane qui doive y gagner : car, où les Hébreux auraient-t-ils attendu trente-huit ans de rentrer dans la Terre Promise (à Kadesh-Barnéa) sinon à Pétra et sa région (en Jordanie, et cf. carte, et photo de couverture), comme l’affirmait la tradition ; comment les Nabatéens auraient-ils pu s’y installer, si auparavant Moïse n’avait fait couler pour eux l’eau de la pierre : le wadi Mussa, rivière de Moïse ?! Mais il faut avouer que la tentation de déplacer le lieu de l’attente (Kadesh) vers l’Ouest (comme on le voit sur toutes les cartes aujourd’hui), et donc vers l’Égypte… (et même Israël !) est en fait bien compréhensible, en raison d’une chaîne de montagnes qui barre entièrement le passage de l’Est vers l’Ouest, et a obligé en quelque sorte à faire passer à l’Ouest tout le trajet de l’Exode. Si bien que, ce n’est pas seulement le Sinaï qui est à retrouver, mais bien le trajet entier des Hébreux à faire repasser à l’Est, en Arabie, et à replacer sur la carte quasi point par point…
D’erreurs en mensonges…
Le premier mensonge qui est venu, dès le Ier siècle après J.-C., brouiller les pistes, est celui de l’Égyptien Apion, qui, dans le dessein de ridiculiser les Juifs et les Chrétiens et de faire que personne ne comprenne plus rien au miracle, ne trouva rien de mieux que de ramener le mont en Égypte ; il savait donc très bien, comme on le savait à son époque, que le mont était en Arabie, de l’autre côté du golfe d’Aqaba… et il faut croire qu’il a réussi son coup [1] ! Une sainte Hélène, arrivée plus de deux siècles plus tard, aura facilement été trompée : en effet, il y eut entre temps la période troublée des persécutions, qui vit un grand nombre de Chrétiens fuir les villes et se retirer comme ermites dans les déserts, et notamment le désert d’Égypte. Ils auront été heureux d’apprendre que le Sinaï pourrait être à côté de leur grotte… et il n’en fallait pas moins pour monter peu à peu une tradition, qui se verra bientôt comme consacrée par l’autorité de la sainte impératrice. Certes, on ignore comment les choses se sont réellement passées, mais le résultat est là : on s’est trompé de Sinaï, et l’autorité de sainte Hélène a empêché de revenir sur la question. Pour cela il fallait un protestant, qui n’ait pas peur de remettre en cause l’autorité de la sainte [2]…
Un dernier mensonge (qui n’a peut-être été au début qu’une erreur, mais n’évite-t-on pas d’affirmer ce que l’on ignore ?…) et sorti de la plume de ceux mêmes qui redécouvraient le vrai Sinaï (en Arabie), est venu il y a quarante ans achever d’embrouiller la carte de l’Exode. Ces archéologues, en effet, allèrent inventer, sur le golfe d’Aqaba et pour le passage de la mer Rouge, un faux pont sous-marin en face de la plage de Nuweiba, c’est-à-dire à l’endroit qui les intéressait ; mais il s’avérera plus tard y avoir 750 mètres de fond ! (figure 1)
Une troisième tromperie était déjà venue, à la fin du XIXe siècle, fausser la position de Kadesh-Barnéa (évoquée dans l’introduction) et la mettre dans le territoire de la tribu de Juda, donc en pleine Terre Promise : l’archéologue en question fit croire qu’il y avait là une superbe oasis, extraordinaire… Le temps que l’on s’aperçoive de la supercherie, en quinze ans l’erreur avait fait son chemin, et plutôt que de revenir à la tradition ancienne (et à la région de Pétra), on résolut le problème en le déplaçant de dix kilomètres… et toujours dans les limites de la Terre Promise ! Il était en fait très pratique de trouver un Kadesh situé à l’Ouest du Jourdain… comme le Sinaï de l’Égyptien ! Là encore tout se tient, et il s’avère surtout urgent de replacer chaque élément de la carte… à commencer par le passage de la mer.
« Face à l’Égypte »
Par suite de la mauvaise situation donnée habituellement au Sinaï (dans la péninsule d’Égypte, celle que l’on nomme souvent péninsule du Sinaï) le désert de Shur dans lequel rentrent les enfants d’Israël juste après leur traversée de la mer, est lui aussi habituellement placé dans la péninsule : en face de l’Égypte habitée, et donc de la vallée du Nil (figure 9). Mais est-il bien là, face à l’Égypte habitée, ou sa place ne serait-elle pas plutôt face à l’Égypte tout court ? La Bible comme l’Histoire montrent que la péninsule tout entière s’appelle le Désert d’Égypte (Ezech. XX, 36 ; Juges XI, 16 ; Ex. XIII, 18), et que ce pays y tient comme à la prunelle de ses yeux, en raison des immenses richesses minières qu’elle lui apporte. En outre (on le reverra plus loin), les Hébreux arrivèrent, peu avant le passage de la mer, devant le mur d’Etham (qui signifie le Mur : figure 2), et où précisément le Seigneur leur ordonne de faire demi-tour : ils ont atteint l’extrémité du désert, selon les mots de la Bible, et ne peuvent aller plus loin. Or, alors que tout cela s’accorde parfaitement avec un passage de la mer au détroit de Tiran au bout du désert d’Égypte, on chercherait en vain une raison à cette volte-face des Hébreux dans les autres thèses en présence.
D’un autre côté, la Bible place le mont Sinaï dans le Pays de Madian : celui-ci étant le frère d’Ismaël, et le texte sacré, dès la Genèse, ne fait même de ces deux qu’un seul et même peuple [3]). Or Ismaël étant le père des Arabes, il suit de là que Madian comme Ismaël ne sauraient (normalement) demeurer ni dans l’Égypte ni dans sa péninsule (ce que l’on fait pourtant quand on place le Sinaï en Egypte) ; et la Genèse (II, 11) précise qu’Ismaël réside depuis Havilah (au Sud-Ouest de l’Arabie, aujourd’hui au Yehmen), jusqu’à Shur au Nord ; ce dernier désert étant dit ailleurs (XXV, 18) regarder l’Égypte, quand on vient de l’Assyrie (donc de l’Est). Il trouverait donc encore parfaitement sa position au sortir du détroit de Tiran, au Nord-Ouest de l’Arabie (Fig. 2) : face à l’Égypte ! et non face à l’Égypte habitée comme le ferait un passage de la mer Rouge aux lacs amers du Nord-Ouest de la péninsule. Ainsi, le désert d’Égypte commence bien à se dessiner comme étant formé par la péninsule d’Égypte tout entière : avec Etham, le Mur, à son extrémité… et le désert du Sinaï est donc à aller chercher ailleurs : en Arabie ! Précisons enfin que le jeune Moïse fuyant l’Égypte au Pays de Madian après le meurtre involontaire de l’Égyptien (Ex. III, 5), ne se réfugie pas en Egypte (dans la péninsule) mais bien en Arabie… (LIRE LA SUITE DANS NOTRE NUMÉRO)
Abbé Louis-Marie BUCHET
[1] – Saint Paul, Gal. IV, 25, le place en Arabie : le Sinaï, c’est Agar et l’Arabie ; or Agar est la mère d’Ismaël, le père des Arabes : tout se tient ! Et puis, si Flavius Josèphe, historien juif (du Ier siècle aussi) de son côté place le mont en Arabie, ce n’est pas simplement en passant, mais il écrit expressément contre l’Égyptien, un ouvrage qui porte d’ailleurs le titre de Contre Apion (Adversus Apion).
[2] – Il s’appelle Steven Rudd, et c’est à lui que nous renvoyons pour les détails : The Exodus route restored, 2015, donné entièrement sur son site, Bible.ca. En ce qui nous concerne, il ne fait que mettre en lumière les passages de la Bible…
[3] – Dans le récit de Joseph vendu par ses frères, la Genèse nomme en plusieurs versets les Madianites et les Ismaélites, de façon absolument interchangeable, car pour désigner les mêmes marchands (auxquels est vendu Joseph : Gen. XXXVII ; et aussi en Juges VIII). Pour ce qui est de la frontière de l’Égypte, nous aurons à la préciser encore, plus loin.
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