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L’audiovisuel et l’écrit dans l’apprentissage des savoirs – 2e partie

ByLectures Francaises

Fév 17, 2018
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Reprenons les quatre efforts intellectuels fournis par la lecture, et comparons avec la perception de la même œuvre en mode audiovisuel.

Le texte est déjà décodé par quelqu’un d’autre, l’élève ne fait donc qu’entendre les mots prononcés et voir la situation décrite dans le texte original. Autrement dit, l’œuvre lui est « servie » sans effort. Les œuvres littéraires simplement enregistrées, donc seulement audiophoniques, produisent ce premier effet.

Appropriation de l’œuvre par l’audiovisuel 

Quand on ajoute au mode audio le mode visuel, le « deuxième » effort intellectuel de l’élève a totalement disparu, s’agissant par exemple de se représenter une robe de percale festonnée, puisque l’image lui en est donnée.

Quel effort comparable d’imagination peut produire la mémoire, quand toute la « représentation » de l’œuvre est imposée à l’élève par l’artiste dans son support audiovisuel ?

 C’est l’œuvre audiovisuelle qui a opéré le choix décisif de la couleur de la robe, par exemple, des différentes nuances de la ceinture bleue etc. Il est clair que l’intelligence de l’élève est beaucoup moins sollicitée que par le support écrit, de sorte que sa perception de l’œuvre de la comtesse de Ségur sera « passive », comparativement à la perception « active » et co-créatrice de la même œuvre pas l’écrit.

Cette différence est moins forte selon que l’œuvre aura été donnée en mode cinématographique ou en dessin animé. Un dessin animé fait plus appel à un effort d’intelligence, d’imagination, de créativité, à cause de son éloignement du réel par rapport au film. Par exemple, il prive l’auditeur-spectateur d’aucune lecture labiale : il n’a pas accès aux informations visuelles transmises par le mouvement de la mâchoire et des lèvres.

Le dessin animé se contente d’ouvrir et de fermer la bouche du locuteur. De fait, le dessin animé laisse plus de place à la créativité de l’auditeur-spectateur, puisque cette perception labiale est fausse, et qu’il doit donc la recréer dans son imagination (tandis qu’au cinéma, on ne peut parler que d’une contradiction entre un film entendu-vu dans sa langue originale par rapport au film dont la bande-son est traduite).

En outre, le dessin animé ne transmet pas une information « vraie » s’agissant par exemple du grain de peau de Sophie, ou de la texture de ses cheveux : il est clair que l’artifice du dessin éloigne de la vérité bien plus que le choix arbitraire d’une jeune comédienne qui tiendrait le rôle de Sophie.

Mais il n’empêche que, même en dessin animé, de multiples choix préalables ont été opérés, de multiples décisions arbitrales ont été prises par l’artiste, qui freinent l’imagination, la créativité, l’activité cérébrale que l’élève peut déployer à la lecture de la même scène de La Poupée de cire.

Étant admis le principe que la lecture est un moyen supérieur pour développer l’intelligence, il demeure que, selon les disciplines abordées à l’école, le rapport entre l’audiovisuel et l’écrit n’est pas toujours identique à celui que l’on vient de voir pour la littérature.

L’Histoire

On sait qu’il y a deux catégories d’historiens : les chercheurs purs, exhumant des preuves, des témoignages, etc., et les analystes qui proposent une compréhension globale des événements exposés. Naturellement, un historien peut cumuler les deux expertises.  L’apprentissage de l’histoire suppose également deux démarches qui sont les miroirs des deux précédentes : celle du récit, et celle de l’analyse. Il convient de distinguer, entre les deux, les apports de l’écrit et de l’audiovisuel.

Le récit

L’audiovisuel offre un avantage certain quand il s’agit de rendre l’ambiance d’un événement, par exemple un documentaire sur l’Offensive du Têt en 1968 à Saïgon, ou un autre montrant la chute du mur de Berlin en 1989 : il y a là une vérité directe, que rend plus difficilement l’écrit. On peut même dire que le seul accès à l’écrit peut entraîner une connaissance « livresque » – au sens péjoratif de ce terme – qui déforme la connaissance. Cela dit, ce serait une erreur de croire que l’audiovisuel apporte une information complète, il y manque beaucoup d’éléments :

– Notre champ de vision est limité par un cadre qui n’a pas notre mobilité oculaire.

– Nous voyons se mouvoir des personnes que nous ne connaissons pas.

– Dans un lieu que nous ne connaissons pas.

– Nous ignorons la pression atmosphérique, la température du jour, l’ardeur du soleil, la force du vent.

– La nature du sol, la nourriture, les maladies.

– Les phobies, les intentions, les comportements caractériels, héréditaires, ou conditionnés de chacun.

– Les sentiments affectifs, les arrière-pensées.

– Le rythme de l’existence.

– Le passé individuel, et collectif le plus souvent.

– La culture, les lectures, les habitudes, les goûts.

– La luminosité, les odeurs.

En regardant un reportage sur la chute de Saïgon, ou celle du mur de la honte, nous ignorons tout, ou presque, des acteurs de l’événement et de leur environnement. Qui plus est, nous les voyons agir à travers des tranches d’espace et de temps : l’espace est détruit, et le temps est détruit. Notons que la plupart de ces éléments que nous ignorons pourraient être, sinon recréés, du moins indiqués dans un texte.

Il n’empêche que l’apport audiovisuel est précieux pour sortir d’une présentation simplement imaginée des événements.

En revanche, s’il s’agit d’analyser les événements en profondeur, l’audiovisuel est plus faible, parce qu’il fait appel à deux types de mémorisation : auditive et visuelle, qui non seulement restent inférieures à la mémorisation par la lecture, mais ont tendance à se gêner l’une l’autre.

Quelques rappels sur la mémoire

Pour le comprendre, il faut rappeler que les différentes mémoires peuvent se parasiter, et pour comprendre comment elles peuvent se parasiter, il faut rappeler qu’elles sont de plusieurs ordres :

La mémoire visuelle, qui consiste à recréer dans son esprit des formes ou, pour ce qui nous intéresse ici, des mots ; c’est donc, entre autres applications, une mémoire pour la lecture. Notons la puissance de cette mémoire, qui, lorsque le travail de rétention a été accompli, est tellement efficace que l’odrre des ltteers dnas un mot n’a pas d’ipmrotncae, la suele coshe ipmrotnate étnat que la pmeirère et la drenèire soinet à la bnnoe pclae. Le rsete peut êrte dnas un dsérorde ttoal et vuos puoevz tujoruos lrie ce que j’écirs snas porlblème : c’est que, dans cette expérimentation de connaissance tacite, la mémoire restitue le mot entier, et non pas les lettres. Il va de soi que cette efficacité de la mémoire n’intervient qu’après l’apprentissage de la lecture, pas avant : voilà encore un exemple de l’absurdité des méthodes pratiquées aujourd’hui dans l’Éducation nationale (malgré la volonté politique inefficiente du ministre) imposant la mémoire du mot sans passer par l’étape des syllabes.

La mémoire auditive

Ces deux mémoires sont celles qui nous intéressent le plus dans cette étude, mais nous donnons quand même la liste complète des ordres :

La mémoire purement intellectuelle qui retient des idées.

La mémoire tactile.

La mémoire olfactive.

La mémoire gustative : c’est la fameuse « madeleine de Proust ».

La mémoire musculaire : toujours chez Proust, l’irrégularité des pavés de Saint-Marc.

La mémoire motrice, en vertu de laquelle « le vélo ne s’oublie pas ».

Chacune de ces mémoires est plus performante quand elle n’est pas parasitée par une autre. C’est ce qui explique, par exemple, que la mémoire auditive grandit considérablement chez un aveugle à mesure que se développe son acuité. Et chez un sourd-muet, la sensibilité et la mémoire tactiles viennent pallier autant que possible sa double infirmité.

Le parasitage d’une mémoire par une autre se constate quand on fait cette expérience : tous les ingénieurs du son savent que dans l’élaboration d’un disque, enregistrer un texte de poésie sur fond musical entraîne une perception intellectuelle du poème moins profonde que s’il est écouté sans aucun fond sonore. Ainsi, pour l’écolier :

Il n’est pas conseillé d’apprendre une leçon en écoutant de la musique instrumentale, car idéalement il faudrait pouvoir, au moment de restituer la leçon, reproduire la musique qui s’imprimait dans le cerveau au moment où la leçon était lue,

Il est fortement déconseillé de le faire en écoutant une musique chantée si l’on est en mesure d’en comprendre les paroles,

Il est encore plus déconseillé de le faire en écoutant la radio.

Notons encore que la mémoire retient mieux des données organisées dans des structures générales qui encadrent les idées. D’où l’importance du plan dans un cours, ou dans un ouvrage didactique. D’où aussi l’importance de respecter le déroulement logique de ce qui est à retenir. On retient mieux les mots encadrés dans une architecture cohérente, plutôt que pris isolément.

C’est ainsi par exemple qu’une partition d’opéra impose à son créateur un effort de prosodie afin d’offrir à la mémoire du chanteur une architecture logique : il convient que les hauteurs et les attaques suivent fidèlement le rythme naturel de la langue. Il en est de même au théâtre, où le texte est plus facile à retenir quand il est écrit dans un ordre logique, par rime ou consonance ou rythme naturel de la phrase, en contournant les difficultés de prononciation, etc.

Enfin, une autre loi de la mémoire dispose qu’elle est liée à l’état affectif. Chacun sait qu’on retient plus facilement du passé les bons souvenirs que les mauvais souvenirs. De même, on retient mieux une matière qui plaît, pour laquelle on éprouve de l’attirance et une motivation à apprendre, et l’on a l’impression que le travail est plus facile sur ce qu’on aime. D’où l’avantage que l’on peut retirer à utiliser les méthodes audiovisuelles d’enseignement, car elles sollicitent nos sens, donc une perception moins abstraite que l’austère perception intellectuelle. Ainsi, s’agissant d’une leçon d’histoire, la forme récit s’accommode aisément de ces techniques.

L’analyse

Dans certains cas, l’audiovisuel apporte une aide au raisonnement, comme en géopolitique, par exemple, pour la simple raison que cette science s’exerce à l’aide de cartes géographiques. D’ailleurs il serait, sinon impensable intellectuellement, du moins contre-performant, qu’un ouvrage de géopolitique se passe de cartes, autrement dit d’appuis visuels. Lorsque l’amiral Lacoste publie un manuel de géopolitique, il prend soin d’illustrer ses propos de cartes renseignées. Cela dit, en lisant ce genre de livres, nous n’en sommes pas au stade de l’apprentissage audiovisuel d’un savoir.

Dans cette matière, l’audiovisuel se retrouve par exemple dans l’émission Le Dessous des cartes, présentée par Jean-Christophe Victor, sur la chaîne franco-allemande Arte : c’est une émission remarquable (encore que non dénuée parfois d’intentions idéologiques marquées, mais cela est une autre question) du point de vue culturel, qui illustre bien ce que la télévision en particulier, et les moyens audiovisuels en général, peuvent apporter de meilleur. Cela dit, on y constate que, inévitablement, le texte récité par Jean-Christophe Victor est moins bien mémorisé que l’image, en vertu des lois physiques sur le parasitage des différentes perceptions mémorielles que nous avons rappelées plus haut.

En outre, nous parlons ici de géopolitique, qui offre l’avantage de s’appuyer sur du visuel. Mais l’analyse en général, celle qui nous permet de comprendre les origines d’un événement, ses tenants et ses aboutissants, fait appel à un raisonnement dont la décomposition des propositions serait souvent trop longue, trop fastidieuse avec de simples moyens audiovisuels.

Matières expérimentales et matières fondamentales

En généralisant ce que nous avons dit, nous pouvons penser que l’audiovisuel convient plus volontiers aux domaines du savoir qui s’exposent comme des sciences de l’expérience : ainsi peut-on parler de « récit » tout aussi bien pour la prise de Saïgon que pour le déroulement d’une expérience de chimie : faire appel à des moyens audiovisuels pour bien assimiler un précipité en chimie, par exemple, ou bien, en physique, le fait qu’une règle de métal se brise à très basse température, ou bien, en sciences de la vie et de la nature, la photosynthèse des plantes.

Yves-Marie ADELINE

NDLR : Yves-Marie Adeline est l’auteur, aux Éditions de Chiré, de La Droite impossible. Essai sur le clivage droite-gauche en France (2012) et La Guerre intérieure (2017).

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