La loi Leonetti
Ôter la vie aux patients en état végétatif chronique ou pauci-relationnel, même ceux ne se situant pas en phase terminale, la loi Leonetti du 22 avril 2005, relative aux droits des malades et à la fin de vie, l’avait admis.
Le moyen légalement prévu était simple : arrêt de tout traitement, y compris l’hydratation et la nutrition, selon l’interprétation faite, le 24 juin 2014, par le Conseil d’État.
En revanche, l’administration d’un traitement dont l’objet était d’entraîner la mort restait implicitement exclue. La loi prévoyait cependant que, lorsque le médecin constatait qu’il ne pouvait soulager la souffrance d’un malade en phase avancée ou terminale d’une affection grave ou incurable qu’en lui appliquant un traitement pouvant avoir pour effet secondaire d’entraîner la mort, il en avertissait la personne, le tiers de confiance, la famille ou à défaut l’un des proches.
Quoiqu’il fût déjà très permissif, et qu’il autorisât l’euthanasie dans certains cas – Vincent Lambert aurait dû être euthanasié sans l’opposition de sa mère et le brio de son défenseur Me Jérôme Triomphe – ce dispositif a été jugé trop restrictif par les lobbies de la mort, et les officines obscures auxquelles l’Assemblée Nationale sert de courroie de transmission.
Élargir les moyens de donner la mort
Il fallait, selon ces messieurs, que l’arrêt de traitement ne soit plus la seule façon de donner la mort, qu’une injection ou une sédation adaptée puisse nous faire passer de vie à trépas, et surtout qu’un plus grand nombre de patients, pas seulement ceux atteints d’un mal incurable et promis à la mort à courte échéance, puissent en bénéficier. Halte aux discriminations, assez des privilèges !
Un nouveau recul, ou une nouvelle « avancée », comme vous voulez, était nécessaire.
Le 17 mars 2015, l’Assemblée Nationale a fait un grand pas en ce sens, à l’occasion de l’examen de la proposition de loi « droite-gauche » dite « sur la fin de vie », texte porteur, selon l’analyse perspicace de Mme Marisol Touraine, d’un véritable « renversement de la décision médicale » [1. Selon Mme Tourraine, la proposition de loi constitue « une véritable avancée » et « consacre une étape importante parce qu’il renverse la logique de décision : c’est le patient, et non plus le médecin, qui devient le maitre de son destin ». Discours à l’Assemblée Nationale du 10 mars 2015, 1re séance.]
Pour le concevoir, il faut se départir quelques minutes du masque tentant de la naïveté, dont nous invitent à nous parer ceux qui prétendent voir dans le texte voté par nos députés une « réponse équilibrée » au problème de la fin de vie. A la décharge de ces observateurs distraits, cependant, il faut avouer que la ficelle était belle : lors du vote, de nombreux amendements (plus de 1000) dont certains ayant pour objet d’instaurer explicitement un droit positif à l’assistance au suicide, ont été écartés.
A leur décharge encore, l’insatisfaction du lobby pro-euthanasie. N’a-t-on pas lu le soir du vote, sur le site de l’Association pour le droit de mourir dans la Dignité (ADMD), ce message donnant rendez-vous aux Français, en juin, devant le Sénat – qui aura alors à se prononcer sur la proposition de loi – pour dire « Non à une mort de faim et de soif ».
En réalité, l’insatisfaction du parti de la mort ne portait pas sur le principe du droit à mourir, mais sur ses modalités. Devraient y songer davantage tous ceux qui, en dignes héritiers de la démocratie chrétienne, persistent à croire que l’on revient de loin au vu du programme sur lequel notre président avait été élu 2. A ceux là il faut expliquer que la proposition de loi, votée le 17 mars, constitue le cheval de Troie du suicide assisté.
Désormais, en effet, « à la demande du patient d’éviter toute souffrance et de ne pas prolonger inutilement sa vie, une sédation profonde et continue »– qui conduit par définition à la mort, et qui était jusqu’à présent interdite pour cette raison – « provoquant une altération de la conscience maintenue jusqu’au décès, associée à une analgésie, et à l’arrêt de l’ensemble des traitements de maintien en vie » sera « mise en œuvre »dans plusieurs cas :
• Tout d’abord« Lorsque le patient atteint d’une affection grave et incurable et dont le pronostic vital est engagé à court terme présente une souffrance réfractaire au traitement ». Notez l’emploi du singulier à « traitement ». Ainsi rédigé, le texte n’exige pas que toutes les thérapeutiques usuelles aient été employées et bien conduites. Il ouvre la voie à une sédation profonde dès lors qu’un seul traitement aura échoué.
Passons.
• Autre cas de sédation profonde permettant de passer de vie à trépas, prévu par l’Assemblée Nationale :
« Lorsque la décision du patient atteint d’une affection grave et incurable d’arrêter un traitement engage son pronostic vital à court terme. » Ce cas pouvant être interprété avec plus ou moins de latitude, on peut redouter le pire. Quid des diabétiques insulino-requérants, et de tous ceux dont la vie est possible avec un traitement simple et constant ?
• Notez aussi qu’en parallèle de la sédation profonde, il y aura arrêt des traitements de maintien en vie, lesquels ne couvriront pas seulement les traitements curatifs, mais aussi désormais, l’hydratation et l’apport nutritionnel, qu’il est envisagé de qualifier désormais expressément dans la loi de « traitements ».
• Autre cas prévu de passage de vie à trépas : « Lorsque le patient ne peut pas exprimer sa volonté, et au titre du refus de l’obstination déraisonnable, dans le cas où le médecin arrête un traitement de maintien en vie, le médecin applique une sédation profonde et continue provoquant une altération de la conscience maintenue jusqu’au décès, associée à une analgésie. »
L’usage de l’indicatif à « applique » indique en droit l’obligation. Le médecin devra donc appliquer la sédation dans le cas visé.
De plus, le passage précité utilise des termes si généraux qu’il embrassera la situation de ceux qui, respirent spontanément, sans appareil de ventilation, et ont seulement besoin d’un apport hydrique et alimentaire par le biais d’une sonde gastrique totalement indolore et sans risque. Ou encore, ceux qui, diabétiques, peuvent encore vivre plusieurs années avec un traitement.
Mieux vaudra, dans ce dernier cas, ne pas dire trop fort ce que l’on pense de l’acharnement thérapeutique ni affirmer, à l’occasion d’une intervention chirurgicale quelconque, que l’on souffre vraiment beaucoup.
Que la volonté du patient se porte clairement vers la mort, ou qu’elle soit interprétée telle par l’entourage médical, elle s’imposera à ce dernier, qui ne disposera d’aucune possibilité de se soustraire à ses nouveaux devoirs, même pour des motifs tirés de ses convictions ou de sa conscience.
Un renversement total de conception
Fort naturellement, pour qu’aucun patient ne soit privé de son droit à mourir par un médecin scrupuleux, les députés ont refusé au personnel médical toute clause de conscience. Elle n’aurait été, à vrai dire qu’une maigre consolation et un pis-aller, l’arme de dernier recours pour ceux qui, dans les coulisses, sont prêts à tout pour faire avancer leurs projets sociétaux. La primauté du choix du patient s’exercera donc de manière absolue, sans que la conscience d’autrui soit une juste cause de trouble et de retrait.
L’on passe dès lors d’un droit du patient à voir ses choix pris en compte, à un droit à mourir opposable, impliquant une faculté d’exiger d’autrui des actes positifs dont l’effet attendu et voulu est de tuer. Comme le reconnaît Marisol Touraine, la proposition de loi votée à la mi-mars traduit donc un renversement total de conception. Le médecin n’est désormais plus maître de ses choix médicaux.
L’assujettissement aux desiderata du patient, éventuellement interprétés ou supposés par le corps médical, sera d’autant plus injustifiable que dans les cas où le malade est conscient, l’état de souffrance requis pour mériter la « sédation profonde et continue » ne sera plus nécessairement un état objectif. Il faudra se fier à l’appréciation du patient, s’il peut s’exprimer clairement, sinon à celle du corps médical.
Le bouleversement atteint aussi les actes médicaux eux-mêmes. Jusqu’à présent une sédation profonde et continue n’était pas envisageable. Seule une sédation prudente, brève ou légère, était possible. L’arrêt des traitements n’était possible que lorsqu’ils étaient jugés disproportionnés, au terme d’une réflexion sur chaque produit, effet bénéfique sur sa finalité propre, tolérance, complexité de mise en œuvre, admissibilité par le patient…
La question de savoir si la nutrition et l’hydratation constituaient un traitement et devaient quand même être maintenus quand le patient était conscient et réclamait leur arrêt, était débattue. Le Conseil d’État dans une décision du 24 juin 2014 avait répondu par l’affirmative dans le cas de Vincent Lambert. Le texte voté par les députés étend officiellement cette solution à tous les patients susceptibles de pâtir d’une sédation profonde et continue. Bel humanisme il est vrai, qui permet de refuser au prochain le minimum vital, au nom de la dignité humaine !
Autre point, la volonté du patient d’éviter de souffrir n’était pas assimilée dans les textes à une volonté de mourir, et une telle volonté, même exprimée clairement, ne créait aucun droit pour le patient à se voir administrer la mort. Les nouvelles dispositions caractérisent donc une nouvelle extension de l’individualisme.
l’inspiration individualiste qui anime le projet
Cependant, il ne faut pas s’y tromper, l’inspiration individualiste qui anime le projet n’est qu’un miroir aux alouettes, destiné à
faire désirer et accepter l’euthanasie par une population qui n’agit désormais plus que dans le sens que lui dictent ses émotions, suscitées par un battage médiatique à sens unique. Ce primat de l’émotion se traduit aussi dans la proposition de loi par une modification des décisions collégiales prises quand le patient est inconscient. Auparavant, l’avis collégial n’était qu’un avis, à l’appui d’une décision médicale. La responsabilité pesait donc sur le décideur, pas sur ceux qui donnaient leur avis sur la situation. Désormais, la décision sera collégiale, de sorte qu’il se produira une dilution de la responsabilité. Il n’est même pas dit que l’on connaîtra le nom de ceux qui ont décidé la mort. Le caractère collégial traduira aussi un autre assujettissement du médecin contraire à l’autorité que lui confère son savoir.
Derrière toutes ces modifications, les vraies raisons de la réforme de la fin de vie sont d’inspirations économiques et malthusiennes. Il s’agit de réaliser des économies budgétaires conséquentes, et pourquoi pas, de régler une bonne fois pour toutes le problème du déséquilibre de la branche retraite. Pour preuve, l’arrêt sur décision collégiale des traitements, notamment ceux ayant pour effet le maintien de la vie, quand ils sont jugés « inutiles ».
Autre preuve : on donne au personnel médical la faculté d’interpréter la volonté exprimée par certains patients en une volonté de mourir, et on impartit également à ce personnel médical le devoir de tuer quand le patient est inconscient. C’est donc bien qu’en réalité, ce n’est pas sa dignité que l’on protège, mais l’intérêt de ceux qui ne veulent pas assumer le coût de sa vie.
Les choses replacées dans leur vraie finalité, il n’est pas étonnant que les députés aient accordé si peu d’importance à l’aspect immoral du texte voté, ni au fait que ce dernier place tout médecin dans la situation de devenir parjure. N’a-t-il pas juré, au jour de son entrée en fonctions :
« Je ferai tout pour soulager les souffrances. Je ne prolongerai pas abusivement les agonies. Je ne provoquerai jamais la mort délibérément. » ?
A l’avenir, sera poursuivi celui qui s’abritera derrière le mur de sa conscience morale, et qui refusera d’obtempérer aux lois iniques qui le gouvernent. En revanche, le médecin qui donnera la mort dans les cas prévus par la loi ne fera que son devoir, et ne pourra être inquiété, ni sur le plan disciplinaire, ni sur un plan civil ou pénal.
On en revient ainsi à une situation analogue à celle des criminels communistes ou nazis, et de tous ceux, qui coupables ou innocents – tels les Papon, Touvier – ont obéi ou cru obéir à un moment donné de leur carrière à des ordres de l’autorité légitime… avant que l’autorité légitime ne change et que l’Histoire, dont Brasillach et Mitterrand disaient fort justement qu’elle est écrite par les vainqueurs, ne les accable.
Puissent les sénateurs, que l’on dit plus sages, en tirer les conséquences.