Nous vous présentons ici un article relatant l’incohérence entre l’universalité de l’Église Catholique et la politique de migration à outrance prônée par la Rome conciliaire.
Lu dans Présent :
Un autre discours catholique sur l’immigration
Vous êtes très critique vis-à-vis du discours actuel de l’Église sur les migrants. Mais la position traditionnelle de l’Église n’a-t-elle pas toujours été celle de la défense des nations ?
L’Église a en effet toujours enseigné que l’universalité à laquelle elle appelait l’homme ne pouvait pas être atteinte en ligne directe, mais à travers une progression de solidarités concentriques dont la nation est un échelon essentiel. Pie XII écrit dans Summi Pontificatus (1939) : « Il n’est pas à craindre que la conscience de la fraternité universelle, inculquée par la doctrine chrétienne, et le sentiment qu’elle inspire, soient en opposition avec l’amour que chacun porte aux traditions et aux gloires de sa propre patrie, et empêchent d’en promouvoir la prospérité et les intérêts légitimes ; car cette même doctrine enseigne que, dans l’exercice de la charité, il existe un ordre établi par Dieu, selon lequel il faut porter un amour plus intense et faire du bien de préférence à ceux à qui l’on est uni par des liens spéciaux. » Mais à l’époque moderne, cet enseignement a eu tendance à être oublié, ou bien il s’est développé de façon parallèle avec un éloge de l’immigration sans frein, sans que personne paraisse voir la contradiction. Il est très étonnant, par exemple, que Jean-Paul II salue la « valeur religieuse » de « la fidélité à l’identité nationale » tout en voyant dans les migrations une image du plan de rédemption de Dieu, en défendant le regroupement familial et en condamnant les politiques d’assimilation, ce qui revient à promouvoir l’immigration de peuplement et le communautarisme.
Comment expliquez-vous une telle contradiction ?
Il faut préciser que se glissent de-ci de-là, dans ce discours, des références au droit des États, reconnu par le Catéchisme, à réguler les migrations : mais ce sont toujours des bémols, et l’on comprend bien que ce droit doit céder devant celui, inaliénable, à migrer dès que l’on trouve ailleurs « des conditions de vie plus favorables ». La seule explication que je trouve est le désir de l’Église, qui s’est fait jour dans les années 1960, à l’époque même où ce discours sur les migrations se développe, d’aller à la rencontre de l’esprit du temps : or cet esprit du temps était défavorable aux nations, et soufflait au contraire dans le sens de la « mondialisation heureuse ». Donc Jean XXIII va réclamer un gouvernement mondial et les papes successifs vont louer les migrations comme un processus conduisant à l’unité de la « famille humaine » et y voir, comme Benoît XVI, « la préfiguration anticipée de la cité sans frontières de Dieu ». Quant à François, il demande régulièrement de sacrifier les craintes quant à l’identité nationale à la « culture de la rencontre »…
Jean-Paul II a tenu par ailleurs, vous le rappelez, des propos magnifiques sur l’amour de la patrie.
Comment les concilier avec ses positions en faveur de l’unité de la « famille humaine » ?
En nous souvenant que notre devoir de catholiques est de rappeler l’Église au devoir de non-contradiction, en exigeant que le rappel de la fraternité universelle n’étouffe pas les droits des nations, et en rappelant que son discours sur les nations est enraciné dans la Tradition et que sa canonisation des migrations et d’abolir les frontières est une dérive moderniste, une tentation d’oublier que le Royaume du Christ n’est pas de ce monde.
Comment les catholiques qui ne se résignent pas à la disparition de leur pays réagissent-ils ? Sont-ils révoltés ? Tétanisés ?
Ceux qui sont révoltés sont en même temps souvent tétanisés, parce qu’on leur fait croire que tout désaccord avec le pape sur l’immigration serait une infidélité à l’Église. Il est urgent de libérer la parole sur ces sujets qui sont avant tout politiques, où L’Église n’a pas de garantie d’infaillibilité, loin de là ; où donc, comme le rappelait le texte conciliaire Gaudium et Spes, les fidèles ont une absolue légitimité à faire entendre leur voix.
L’islamisation menace l’Europe chrétienne, certes, mais celle-ci ne soufre-t-elle pas aussi de la tiédeur des catholiques ?
Je suis un peu fatigué d’entendre des hommes d’Église essayer de culpabiliser ceux qui s’inquiètent de la submersion migratoire en disant que c’est un faux problème, que le vrai problème serait la tiédeur des catholiques. D’abord parce que ces catholiques inquiets sont rarement les plus tièdes. Ensuite, parce que : qui est responsable de cette tiédeur, sinon l’Église ? Une large part de sa hiérarchie a prôné l’enfouissement, discrédité la volonté de convertir en la taxant de prosélytisme, bazardé la liturgie, jeté le sacré aux orties sous prétexte d’ouverture au monde, et ce seraient les fidèles qui seraient coupables de tiédeur ?
Vous notez un semblant de revirement de la part du pape François : s’est-il confirmé depuis la parution de votre livre ?
De même qu’une hirondelle ne fait pas le printemps, une ou deux déclarations ne suffisent pas à contrebalancer un martèlement obsessionnel depuis le début du pontificat, selon lequel « le chrétien laisse venir tout le monde » ou « les frontières ne sont jamais une solution ». Le 9 janvier, devant le corps diplomatique, François a rappelé que les migrants ont « le devoir de respecter les lois, la culture et les traditions des pays dans lesquels ils sont accueillis ». Mais il a ajouté qu’« une démarche prudente de la part des autorités publiques ne comprend pas la mise en oeuvre de politiques de fermeture envers les migrants ». Allez y comprendre quelque chose…
Considérez-vous comme possible un retour de l’Église à son authentique tradition ? Vous citez des propos réalistes de divers prélats…
On sent bien que, là comme dans d’autres domaines, un certain discours angélique se heurte au principe de réalité. Que même le cardinal Schönborn, pourtant proche du pape et assez enclin à ne pas fâcher l’air du temps, se soit senti obligé de préciser que, dans la vague migratoire actuelle, « il y a une différence culturelle et religieuse qui est facteur de préoccupation », n’est pas anodin. Ni que le pape François se soit senti obligé de mettre en avant le thème de la prudence. On est loin pour autant d’un retour à l’équilibre de la plus authentique tradition. Mais un autre discours catholique est indispensable, si l’on ne veut pas que l’Église et l’Europe foncent dans le mur. Et il est possible, puisqu’il y a dans la tradition de l’Église tout ce qui est nécessaire à l’établir. Et quand j’entends le cardinal guinéen Robert Sarah, l’une des plus hautes figures de la curie romaine, déclarer au micro de Charlotte d’Ornellas : « Vous êtes envahis par d’autres cultures, d’autres peuples, qui vont progressivement vous dominer en nombre et changer totalement votre culture, vos convictions, vos valeurs… », je me dis que mon espoir n’est pas irréaliste. Mon livre, en tout cas, entend travailler à cet indispensable revirement.
Propos recueillis par Anne Le Pape
Présent, n°8793, 4 février 2017