Nous relayons cet article au sujet d’une polémique suisse, entre une étrangère et et les cloches du village qui l’accueille.
Lu dans Minute :
C’est une histoire de Clochemerle-en-Suisse, sans merle mais avec beaucoup de cloches. Je vais vous conter le malheureux combat d’une femme contre les cloches des vaches dans la petite commune rurale de Gipf-Oberfrick en Argovie. Cette amie des bêtes, Néerlandaise, vient de se voir refuser la naturalisation qu’elle demande depuis deux ans parce que ses voisins ont dit « non ». Une leçon de choses aux ressorts insoupçonnés…
C’est une affaire d’identité qui se joue à Gipf-Oberfrick. Nancy Holten, la petite quarantaine, a passé plus de trente ans de sa vie en Suisse où sa mère l’avait amenée lorsqu’elle avait huit ans. Mariée, mère de jumelles dotées de la nationalité helvétique, elle les élève seule aujourd’hui. Ces dernières années, elle a voué toute son énergie à la dénonciation des souffrances animales.
Son joli minois et ses yeux gris ravageurs de mannequin lui assurent un succès médiatique certain. Menée avec son savoir-faire professionnel, toute en douceur — Nancy ne hausse jamais le ton —, sa campagne en agace d’autant plus. On a vu Nancy Holten sur les plateaux-télés, demandant aux téléspectateurs ce que cela leur ferait de porter une cloche d’apparat — 5 kilos ! — autour du cou et d’en supporter les décibels, façon marteau-piqueur, dès qu’ils baissent la tête pour boire ou pour manger. Un peu lents à la comprenette sans doute, les Suisses n’ont pas vraiment vu le rapport — autant leur demander ce que cela leur ferait de tirer un carrosse, tels des chevaux… Le monde a changé, dit Nancy.
Pourquoi ne pas mettre des puces électroniques aux vaches pour les retrouver par GPS sur un Smart-phone ?, a-t-elle lancé aux paysans du coin. Hélas, ceux-ci préfèrent se fier à leurs oreilles, comme leurs aïeux.
Toutes les cloches sonnent, sonnent…
Nancy a d’autres griefs contre le village et le pays qui l’accueillent.
D’abord, on y pratique la course de cochons. Faut arrêter ça ! « Pour la dignité des animaux, il faut abolir ces courses », a-t-elle clamé à la télévision locale, car il faut que les cochons soient « mieux respectés ». Qu’ils courent s’ils en ont envie, mais que personne ne les regarde. Encore un peu et on parlera de la discrimination anti-porcs !
Elle n’aime pas non plus la chasse (on s’en serait douté) et s’oppose à l’élevage, à la consommation de viande, aux animaux de cirque, à la chasse aux souris, et même à la distribution de lait à l’école, comme l’a raconté Urs Treier, porte-parole du conseil municipal, à CNN. Car oui, l’affaire Nancy Holten secoue les médias du monde entier. Mais les cloches restent sa bête noire de prédilection. En même temps qu’elle traque celles des vaches, elle voudrait faire taire celles de l’église du village qui — horreur ! — sonnent l’angélus à 6 heures du matin, troublant le sommeil et violant la liberté de conscience de la dame.
Nancy Holten reconnaît avoir des sentiments religieux, mais pas question de répondre à l’appel à la prière — elle veut s’adresser à son dieu sans horaire et sans dogmes. Grasse matinée comprise. Pourquoi ce militantisme tous azimuts ? Après son divorce, Nancy Holten, adepte du yoga et des spiritualités nouvelles, a « écouté son corps » qui lui demandait de ne plus manger de viande. Elle est même devenue « vegan », suivant le régime des végétariens extrêmes qui ne consomment aucun produit d’origine animale, au nom de l’« empathie » et du respect de la « conscience animale ». Avoir des voisins qui se nourrissent de fromage et de charcuterie et qui en remercient le Bon Dieu le dimanche, quelle torture !
« Elle ne respecte pas nos traditions »
Pour autant, elle aimerait bien disposer d’un passeport suisse. Nancy a entamé les démarches il y a deux ans, se voyant reconnaître par l’administration helvétique qu’elle remplit les conditions — douze ans de séjour paisible au moins, une bonne connaissance de la langue, etc. — mais a été blackboulée par deux fois par la majorité des habitants de Gipf-Oberfrick. Motif ? Son opposition aux traditions locales. Ils l’ont résumée en deux mots : « Grande gueule. »
Dans sa grande sagesse, en effet, la Confédération helvétique reconnaît que les voisins immédiats d’un candidat à la naturalisation en savent un peu plus que les fonctionnaires sur la réalité de son intégration. Après tout, c’est à la communauté locale de choisir qui ils veulent accueillir ou non comme membres à part entière.
« Elle nous ennuie et ne respecte pas nos traditions », a expliqué une élue locale, Tanja Suter. On ne lui reproche pas tant de ne pas aimer les cloches que de sonner la sienne trop fort en faisant une campagne bruyante et interminable dans les médias. Ce n’est pas la première fois que des communautés locales bloquent une demande de nationalité suisse : deux garçons musulmans qui refusaient de serrer la main de leur enseignante, deux jeunes filles — musulmanes aussi — qui refusaient les cours de natation mixte, un homme qui se promenait toujours en survêtement, et même un Américain qui ne connaissait pas la géographie locale et ne s’était fait aucun ami sur place alors qu’il vivait en Suisse depuis quarante ans, se sont également vu refuser le passeport.
Alors ? Alors on dénonce la « discrimination », la méchanceté des Suisses vieux jeu qui ne veulent pas non plus des minarets (il paraîtrait qu’aux yeux des Helvètes, il y a des traditions plus respectables que d’autres, commente, acide, la presse anglophone), et les « dangers de la démocratie directe ». Nous, on trouve plutôt ça bien…
Jeanne Smits
Minute , n°2805, janvier 2017