Guerre en Ukraine : l’insoutenable légèreté de l’Ouest

Guerre en Ukraine l’insoutenable légèreté de l’Ouest
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« Des conséquences que vous n’avez encore jamais connues »

« Quiconque tente de nous faire obstacle, et plus encore de menacer notre pays, notre peuple, doit savoir que la réponse de la Russie sera immédiate. Et elle entraînera des conséquences que vous n’avez encore jamais connues », a déclaré Vladimir Poutine dans son allocution au peuple russe, dans la nuit fatidique du 23 au 24 février 2022.

Et le 27 février, il annonçait mettre « les forces de dissuasion de l’armée russe en régime spécial d’alerte au combat ». À savoir un arsenal de 6 000 têtes nucléaires…

Dans un premier temps, ces menaces ont été prises très au sérieux par l’opinion française, du moins si l’on en juge par la hausse de fréquentation sur internet des logiciels de simulation d’explosion. Un chacun peut, par exemple, avoir une idée des effets dévastateurs d’une explosion sur Paris qui rayerait la capitale de la carte et occasionnerait en Île-de-France et au-delà, selon les logiciels en question, la mort de plus de 6,8 millions de personnes, infligeant également de graves blessures à près de 4 millions d’autres.

Sans compter que le déclenchement du feu nucléaire entraînerait, en provenance du camp d’en face, des représailles du même ordre et, à assez brève échéance, un anéantissement mutuel.

Hypothèse qui semble improbable au vu des conséquences effrayantes. Hypothèse qui semblait appartenir au passé, une fois refermée, au tournant des années 1990, la longue parenthèse de la Guerre froide. Mais hypothèse qui redevient brusquement d’actualité dès lors qu’une nouvelle guerre froide voit le jour, et qui risquerait de devenir réalité si les dirigeants russes se jugeaient acculés.

C’est du moins l’analyse développée, à la fois dans son dernier livre [1] et sur les plateaux télé, par l’écrivain et ancien diplomate Vladimir Fédorovski, qui s’exprimait le 23 mars sur Public Sénat :

 « Les Américains me disent : nous voulons un nouvel Afghanistan là-bas. Il y a un ambassadeur français, avec moi sur un plateau [télé], qui a dit : Nous allons nous battre à Kiev jusqu’au dernier Ukrainien. Vous savez, j’étais gêné par ça. L’OTAN va se battre à Kiev jusqu’au dernier Ukrainien…

« Je sais que les Américains veulent transformer ce conflit en prélude de chute de la Russie et de Poutine. C’est aussi un danger pour moi, parce que, si leur logique est vraie, si l’on pousse la Russie dos au mur, avec beaucoup de morts, etc., etc., dans ce cas-là ça peut être beaucoup plus dangereux que vous ne le pensez, parce que ces gens-là, ils peuvent aller dans la détresse jusqu’à l’utilisation des armes extrêmes. […]

« Poutine a dit : Le monde sans la Russie ne m’intéresse pas. […] Quand il dit : Le monde sans la Russie ne m’intéresse pas, je pense qu’il reflète le fond de sa pensée. Et ça, ça m’effraie. […] Il est prêt à aller jusqu’au bout. La guerre nucléaire ! »

Pour conjurer une telle menace, il convient d’éviter l’escalade – la fameuse « montée aux extrêmes » – de renouer le dialogue avec Moscou et de mettre sur pied les conditions d’une détente.

Un « conflit limité » pour une nouvelle guerre froide ?

Aujourd’hui, la guerre russo-ukrainienne se présente sous les traits de ce que l’on appelle un « conflit limité ». Via l’Ukraine, ce sont les États-Unis et les pays de l’OTAN qui affrontent indirectement Moscou. Ainsi, lors de la guerre de Corée (1950-1953), les États-Unis et leurs alliés étaient en guerre contre la Corée du Nord, mais affrontaient indirectement l’URSS et la Chine, qui expédia 1,7 million de « volontaires » pour soutenir le régime de Pyongyang. Et la Guerre froide fut émaillée de tant d’autres « conflits limités » !

À partir de là, il convient à tout le moins, c’est-à-dire à défaut d’un arrêt négocié des combats sur le terrain, de conserver à la guerre russo-ukrainienne ce statut de « conflit limité ».

Mais est-ce la volonté des Américains ? C’est l’autre inconnue du problème.

Ce n’est manifestement pas la volonté du discutable président ukrainien Zelensky, qui, et après tout c’est son rôle, multiplie les interventions en visioconférence devant les parlements occidentaux, quémandant bruyamment les aides et renforts en invoquant à tout-va les « heures les plus sombres de notre histoire ». Poutine n’est d’ailleurs pas en reste dans ce registre, ranimant les feux de la « Grande Guerre patriotique » de 1941 contre les supposés « nazis » ukrainiens. Et bien sûr, du côté des Occidentaux, les chantres de l’interventionnisme poussent le même refrain, mais cette fois à l’encontre de Poutine. Pour la galerie, les uns et les autres voient des nazis partout !

Joe Biden, un pompier pyromane à Varsovie

Là où les choses deviennent plus inquiétantes, c’est lorsque le président Joe Biden, réendossant les défroques du « gendarme du monde », VRP de la démocratie pour tous et du Nouvel Ordre mondial, se déplace le 26 mars à Varsovie, c’est-à-dire aux portes de l’Ukraine, pour chatouiller l’ours russe, qualifiant Vladimir Poutine de « boucher » et surtout s’exclamant, à l’issue d’un véritable prêche, que le « boucher » en question « ne peut pas rester au pouvoir ».

Même Emmanuel Macron en est apparemment resté bouche bée. Il faut dire que la péroraison finale de Joe Biden résonne singulièrement aux oreilles d’un monde habitué, pas vraiment pour le meilleur et surtout pour le pire, à voir les États-Unis intervenir, y compris militairement, pour défaire les pouvoirs en place.

Le propos est à ce point osé et périlleux que les officiels américains, le jour même et le lendemain, s’empressèrent d’opérer un improbable rétropédalage. « Ce que le président voulait dire, c’est que Poutine ne peut pas être autorisé à exercer un pouvoir sur ses voisins ou sur la région. […] Il ne parlait pas du pouvoir de Poutine en Russie, ni d’un changement de régime en Russie, ou n’importe où ailleurs », stipula la Maison Blanche le soir même. Et le lendemain c’était au tour du secrétaire d’État américain Antony Blinken : « Comme vous nous avez entendus le répéter, nous n’avons pas de stratégie de changement de régime en Russie, ou n’importe où ailleurs ».

Soit Joe Biden est décidément un vieillard cacochyme qui ne sait plus ce qu’il dit, ou un personnage à la Peter Sellers évadé de Docteur Folamour, soit Washington souffle délibérément le chaud et le froid et joue décidément un jeu très dangereux dans cette affaire depuis des années.

Les États-Unis, fils aîné du Nouvel Ordre mondial

Certes, Poutine et la Russie ont évidemment leur part de responsabilité. Quant aux patriotes ukrainiens, qu’il ne faut probablement confondre ni avec leur étrange président, ni avec leurs oligarques tout aussi corrompus que leurs homologues russes, ils sont évidemment dans leur droit, sous réserve des moyens employés par d’aucuns, notamment dans le Donbass. Et pour ce qui regarde les pays frontaliers, ex-membres du pacte de Varsovie (dissous en juillet 1991), leur empressement passé à rejoindre l’OTAN et leurs craintes présentes sont amplement justifiés, au regard de ce que fut autrefois pour eux le joug soviétique.

Contrairement à ce que veulent nous faire accroire le Nouvel Ordre mondial et la « construction européenne » qui en est la vivante incarnation sur notre continent, les États et les nations, s’ils peuvent avoir des intérêts convergents, voire des intérêts communs, ont toujours entre eux des intérêts divergents, sinon des intérêts opposés. Une bonne politique consiste non pas à imposer par des abandons de souveraineté fallacieusement consentis l’aliénation des intérêts propres, mais à cultiver les intérêts convergents entre États souverains, histoire de désamorcer et de gérer diplomatiquement, selon les canons de la « politique du réel », les intérêts effectivement divergents.

Le premier péché des dirigeants des États-Unis, sortis victorieux de la Guerre froide, fut de contrecarrer le retour au « concert des nations », qui aurait dû se substituer naturellement à la logique de l’affrontement bloc contre bloc, pour tenter d’établir leur hégémonie pure et simple, au nom bien sûr des droits de l’homme et du Nouvel Ordre mondial dont ils sont le fils aîné. (lire la suite dans notre numéro)

Vincent CHABROL

 

[1]Poutine et l’Ukraine, les faces cachées, éd. Balland, 2022.

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