« Par d’imperceptibles pas, on a mis la misère et la dégradation sociale en tête du processus du progrès moderne », « par des banquiers scrupuleux, nous sommes arrivés à un système qui repose sur un pouvoir sans responsabilité et un profit sans production » [1]. Comment cela a-t-il été possible ? C’est le sujet du petit livre passionnant du père Fahey, Manipulations monétaires et ordre social qui donne les clés de compréhension des « profonds mystères » (Apoc. 2, 24) de Mammon. Nous donnons dans ce qui suit un aperçu des principes de la bonne économie rappelés par ce savant prêtre et l’esquisse de réforme monétaire qu’il propose en quelques règles, assurément adaptables en certaines de leurs modalités, mais immuables en leur fond, une fois saisis les ressorts de la finance, l’écrémage social et le transfert de souveraineté qui s’y opèrent.
Un peu d’économie politique thomiste
La politique a pour objet l’organisation de l’État (société et gouvernement) en vue du bien commun des citoyens. Mais la fin de l’homme n’est pas seulement naturelle, c’est aussi la béatitude en Dieu, aussi l’État doit-il favoriser la fin suprême en respectant « la guidance et la juridiction de l’Église catholique divinement instituée » [2].
L’État ne doit pas oublier « que ce qui est moralement mauvais ne peut être politiquement bon » et ceci signifie notamment favoriser la famille, car c’est en elle que se développe la personnalité des membres du corps mystique du Christ :
« L’action politique et la législation spécialement en matière économique doivent toujours chercher à renforcer la vie familiale, et par voie de conséquence ne doivent pas admettre le divorce, mais toujours autant que possible les avantages de citoyens au travers de la famille. » [3]
L’économie qui par son étymologie est « le gouvernement de la maison » est pour le Père Fahey la « science qui étudie les cellules qui constituent l’État à savoir les familles dans les relations constitutives de leurs membres et dans leurs conditions d’existence ».
Cela ne signifie pas que l’auteur réduit l’économie à ce qu’on nomme aujourd’hui encore « l’économie domestique », simplement que la production et les échanges doivent viser le bien commun de la Cité dont la famille est la cellule.
D’autre part, même si la finalité économique et matérielle est seconde dans l’ordre des fins (subordonnée à la fin surnaturelle), elle n’en est pas moins nécessaire pour créer les ressources suffisantes et favorables de la vie morale.
Vient ensuite – après les fins morales et la satisfaction des besoins en vue de ces fins – « l’art de la manipulation de la monnaie », richesse artificielle destinée à aider les familles à se procurer facilement par voie d’échange les ressources utiles aux besoins sociaux. Tel est le rôle de la monnaie et de « l’art auxiliaire » de manipuler l’argent « inventé par l’art de l’homme pour la convenance des échanges en servant de mesure commune des choses qui peuvent se vendre », écrit saint Thomas d’Aquin dans son Commentaire de l’Éthique d’Aristote.
Étant conçue pour se procurer les biens nécessaires [moyen pratique d’échange ou de paiement], la monnaie est en outre un moyen de mesure commune [étalon] et pour cette raison elle doit être stable en valeur, attribut nécessaire à sa fonction au service du bien commun.
Si par perversion l’argent se rendait maître de la production et de la distribution, en joutant sur la valeur de la monnaie et sur les prix, les potentialités des ressources de l’État ne se réaliseraient pas et les familles en souffriraient. C’est pourquoi c’est un devoir de l’État d’assurer la stabilité de la monnaie – de même qu’il maintient constantes les mesures des poids et des longueurs – en même temps que la stabilité des prix « puisque la valeur des choses doit s’exprimer en termes monétaires » (Saint Thomas d’Aquin [4]).
Saint Thomas n’ignorait pas que la monnaie (métal ou autre) varie en valeur selon les circonstances, comme toute autre marchandise, il considérait néanmoins que cette valeur devait être la plus stable en tant qu’instrument de mesure et d’échange des biens économiques.
Cet ordre naturel des fins – monnaie et finance au service de l’économie, économie au service du bien commun politique, politique favorisant le développement spirituel des membres du Christ – est un ordre intangible. (LIRE LA SUITE DANS NOTRE NUMÉRO)
SAINT-HIÉRON
[1] – Citation du comte de Portsmouth, in Manipulations monétaires et ordre social, Éditions saint Rémi, 2013, p. 85.
[2] – Op. cit., p. 13.
[3] – Ibid.
[4] – Op. cit., p. 17.
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