Dreyfus « modèle pour les armées » ?
C’est du moins le but poursuivi ces derniers mois par le gouvernement Macron. Florence Parly, ministre des Armées, assistée d’un spécialiste du sujet, a tenu à justifier son but : glorifier Dreyfus, fût-ce par des circonvolutions. N’ayant, semble-t-il, rien de plus essentiel à mener à bien – par exemple les décisions indispensables concernant nos troupes actuelles – le ministre a souligné son désir, le 21 juillet, lors de la cérémonie de commémoration de la rafle du Vél’d’Hiv ! Le ministre a dit :
« Lorsque je pense à Alfred Dreyfus, lorsque je lis chaque nom inscrit sur le mur du Jardin des enfants du Vél’d’Hiv, la même question revient sans cesse : que seraient-ils devenus si leur avenir n’avait pas été arraché ? Quel destin les attendait ? Le véritable courage c’est celui de vérité ».
Peut-on faire quelques remarques ? Rattacher le sort des enfants juifs du Vél’d’Hiv en 1942 à celui du capitaine Dreyfus accusé en 1894 d’« intelligence avec l’Allemagne » et réhabilité en 1906, n’a pas beaucoup de rapports. Nous sommes horrifiés devant l’évocation des jeunes vies brisées sauvagement et envoyés dans les camps. Dreyfus, officier français, finit, heureusement pour lui, par traverser ses tribulations de prisonnier. Il bénéficia de nombreux soutiens notamment politiques et médiatiques et fut libéré. Il fut en effet gracié par Loubet, président de la République, et obtint une nouvelle révision de son procès. Comme l’ont fait remarquer ses adversaires, la Cour de cassation cassa sans renvoi le jugement de Rennes (ce qui fut considéré par certains juristes comme une violation de la loi). Peu importe. Dreyfus fut réintégré dans l’armée, au grade de chef de bataillon et peu après il prit sa retraite.
L’affaire Dreyfus fut un dossier d’une grande complexité qui entraîna des querelles durables jusque dans les familles et les amitiés, entre les antimilitaristes et les patriotes. N’oublions pas que les services de renseignement d’Europe intervinrent dans les coulisses et les journaux, au moment où ces querelles avaient littéralement créé dans l’opinion publique française deux camps irrémédiablement hostiles. Tous les observateurs, tous les historiens ont parlé d’un climat de guerre civile. Et ce alors que les gouvernements européens pensaient à s’armer devant les possibilités de conflit. À partir de « L’affaire », les partis républicains de gauche surent habilement développer une presse de plus en plus influente. D’une part en tirant profit des maladresses de l’état-major et surtout en proposant un « fonds idéologique » permettant des regroupements durables : « l’anticléricalisme et l’antinationalisme » qui furent vite adoptés par certains comme un mélange idéologique simple explication des événements. D’ailleurs l’aspect policier du procès Dreyfus perdit de son intérêt dans l’opinion publique.
Pierre ROMAIN