Djibouti. Vers « des conflits de type canal de Suez » ?

Lu dans Présent n°9124 du mardi 5 juin 2018. Faut-il « s’attendre à des conflits de type canal de Suez » à Djibouti ? C’est en tout cas la crainte exprimée par Pascal Allizard, membre d’une mission d’information du Sénat, qui s’est récemment inquiétée du désengagement militaro-économique de la France dans ce pays et de la très forte montée en puissance de la Chine dans la corne de l’Afrique.

Désengagement français

Rappelons que, en dépit des accords de défense réaffirmés en 2011, les effectifs des forces françaises présentes à Djibouti ont été considérablement réduits durant ces dernières années. Ainsi, de 2 900 hommes en 2010, ceux-ci sont passés à 1450 militaires actuellement. Une baisse des effectifs français qui se traduit immanquablement par une perte d’influence de la France dans cette région hautement stratégique du globe. D’autant que, parallèlement à cette réduction de nos forces, la France a également délaissé Djibouti sur le plan économique, alors que ce pays avait besoin d’investissements pour moderniser ses infrastructures. Or, rappellent les membres de la mission d’information du Sénat, de par sa position géographique, et au-delà de sa proximité avec le détroit de Bab el-Mandeb, essentiel pour le commerce maritime mondial, et avec les pays confrontés aux groupes jihadistes, Djibouti est devenu le « hub » logistique d’une zone allant de l’ Afrique de l’Est à la région des Grands Lacs, en passant par le Soudan et même la péninsule arabique.

Une région hautement stratégique

Un désengagement progressif français qui n’a bien sûr pas échappé à nos concurrents. Et notamment à la Chine, qui en profite pour renforcer sa présence militaire dans la région et mise beaucoup sur Djibouti, où elle a financé une nouvelle ligne de chemin de fer entre Addis-Abeba et la ville de Djibouti ainsi que la construction d’un nouveau réseau de télécommunications. En outre, Pékin a mis la main sur le terminal à conteneurs de Doraleh, aux dépens du groupe émirati DP World, qui y avait investi 400 millions de dollars pour en avoir la concession pendant 30 ans. Une prise de contrôle de cette installation portuaire djiboutienne qui n’est probablement que le début d’une tendance de fond. Mais, a expliqué le sénateur Gilbert-Luc Devinaz, « les réalisations chinoises ont été largement financées par des prêts chinois à Djibouti. Or, dès 2019, Djibouti va devoir commencer à rembourser ces prêts, alors même que le pays produit peu, en lui-même. Dans ces conditions, a-t-il ajouté, le risque est grand que le créancier chinois se paye en nature, en récupérant tout ou partie de la propriété des infrastructures ». Une stratégie choisie à dessein, a d’ ailleurs souligné Gilbert-Luc Devinaz, car elle « permet de prendre le contrôle d’un pays par ses infrastructures».

« La Chine tend sa toile »

De son côté, a expliqué le sénateur Pascal Allizard, « l’aspect géostratégique est évident : juste en face de Djiboùti, le port de Gwadar au Pakistan, tout proche de l’Iran, est sous contrôle chinois. Officiellement, c’est un port de commerce mais, à vingt kilomètres de là, les Chinois créent un port militaire. Tracez une ligne droite avec Djibouti : vous fermez l’accès au détroit d’Oman et à la Méditerranée. Et on annonce une seconde base militaire chinoise à Djibouti ». Et Pascal Allizard, d’ajouter : comme « la rentabilité et la solvabilité des investissements chinois n’est pas avérée à Djibouti, cela signifie qu’ils sont adossés à des contrats de nantissement, et qu’il faut s’attendre à des conflits de type canal de Suez ».

Rappelant que « les fils de soie de la stratégie chinoise ne sont ni plus ni moins que des fils d’araignée » et que « notre propre consommation donne les moyens à la Chine de tendre sa toile », le sénateur Devinaz a alors estimé que la France avait une carte à jouer afin de « desserrer l’étau chinois » dans la région. Selon lui, il y aurait même en ce moment « une vraie fenêtre de tir pour réinvestir dans ce pays » et « aider Djibouti à éviter de se retrouver dans un face-à-face exclusif avec la Chine, qui pourrait vite devenir étouffant ».

Quant au sénateur Bernard Cazeau, également corapporteur, il s’ est demandé s’il ne fallait pas « inverser la tendance » constatée au cours de ces dernières années, et revoir à la hausse le format des forces françaises stationnées à Djibouti.

Par Franck Delétraz

 

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