Chérèque : rétrospective sur un syndicaliste oublié.
Lu dans Rivarol :
Il est une règle qui voudrait que devant la mort d’une personnalité, aucune critique ne s’élève sur son passé. Fâcheusement, cette attitude ne concerne pas les « politiquement non corrects », soit passés totalement sous silence, soit invectivés sans retenue. Dans le premier cas, une variante consiste à gommer tout ce qu’il y a de peu glorieux dans le parcours, quitte à faire disparaître des pans entiers de biographie.
A propos du décès d’un ancien secrétaire général de la C.F.D.T. (Confédération française démocratique du Travail), François Chérèque, l’orchestre médiatique a multiplié ce genre de fausses notes.
Ainsi, à de très rares exceptions près, il a été omis que F. Chérèque était fils de Jacques Chérèque, dirigeant syndical de la C.F.D.T., devenu de ce fait ministre par la grâce de Michel Rocard. Deux remarques à sujet : il était tout à fait contraire aux traditions, et à l’intérêt, des confédérations françaises, qu’un syndicaliste rentre dans un gouvernement. Le seul précédent alors consistait dans celui de René Belin, ministre du Travail du maréchal Pétain en 1940, dans des circonstances exceptionnelles auxquelles il ne pouvait se dérober, et sur qui une vindicte sans fin devait s’abattre par la suite.
UN SYNDICALISTE TRÈS POLITIQUE
Lorsque François Chérèque adhéra à la C.F.D.T., il surprit désagréablement les « céfédistes » (comme on dit en jargon), qui manifestèrent leur désagrément de se voir imposer ce fils à papa. D’autant plus qu’en théorie, la C.F.D.T. professait qu’il ne fallait mélanger en aucun cas syndicalisme et politique… Le rejeton de ministre ne parvint au poste de secrétaire-général de la branche C.F.D.T.-Santé qu’à 40 ans, en 1996. Alors, les choses s’accélérèrent pour lui car, en 2002, remplaçant Nicole Notat (auprès de laquelle il s’était illustré comme garde du corps, face aux camarades de la C.G.T., en 1995), il devenait n°1 national.
Il héritait d’une organisation qui, après avoir rejeté son appellation historique de chrétienne en 1964, avait donné dans le révolutionnarisme, enfonçant la C.G.T. (ainsi en Lorraine, région dont sont issus les Chérèque), avec le soutien aux syndicats d’appelés dans l’armée et même dans des actes d’extrême-violence. Sous François Chérèque, suiviste de l’exemple de Nicole Notat, qui faisait la chasse aux « moutons noirs » chez les céfédistes (comprendre les infiltrés rouges vifs, trotskistes et autres), la ligne réformiste, au sens suiviste du pouvoir en place, s’accentua, entraînant des remous sérieux chez les adhérents, et des départs massifs.
Mais l’appartenance de François Chérèque au P.S. devait permettre de « rattraper le coup », par le retour dans la rue de la C.F.D.T., contre le « C.P.E. » en 2006 (« Contrat Première Embauche ») de Villepin, et la « réforme » du système de retraites envisagée par Sarkozy (2010). Une attitude tout à fait profitable aux socialistes, qui récompensèrent d’ailleurs l’activiste Chérèque en lui donnant, en 2012, la direction de Terra Nova, laboratoire d’essai des innovations du P.S.
LA MORALE SOCIALE CHRÉTIENNE PAR-DESSUS BORD
Réélu deux fois secrétaire général, il laissa son fauteuil syndical à Laurent Berger, l’actuel détenteur du poste. Des honneurs divers lui furent conférés ensuite, ainsi la nomination comme inspecteur général des Affaires Sociales, président de l’Agence du Service Civique, chargé de la supervision du Plan pauvreté… Mais, fin 2015, il arrêtait ses activités pour raisons de santé.
On a dit de lui qu’il avait « marqué l’histoire du syndicalisme ». Comment ? En étant de plus en plus « réformiste ». Ce qui peut s’entendre de diverses façons. Par exemple, on peut être marxiste et réformiste, comme à Force Ouvrière. François Chérèque, lui, tenait compte des « réalités économiques », en coopérant de façon étroite avec le grand patronat, et les politiques « sociaux-démocrates ». Ce faisant, il a coupé les racines chrétiennes-sociales de la C.F.D.T. à la base.
Aujourd’hui, la C.F.D.T. n’a plus aucune référence en la matière. Elle est devenue une organisation de cadres ambitieux, qui n’ont pas encore compris que la « high Tech » mondialiste allait bientôt les faucher en quantité. Constatons néanmoins qu’il y aura quand même un regret sincère, en dehors de ceux des grands commis du MEDEF, pour sa personne, celui de François Fillon, dont il avait salué une réformette piégée, à l’étonnement général, en 2003. De profundis.
Nicolas TANDLER.
Rivarol, n°3266, janvier 2017