Une guerre peut-elle (encore) être juste ?

Lu dans L’Homme Nouveau N° 1665 du 9 juin 2018.  Les éditions Via Romana viennent de publier Si tu veux la paix, prépare la guerre !, un essai du colonel François-Régis Legrier sur le thème de la guerre juste dans un monde de plus en plus en proie à la violence, notamment islamique dans le cadre du Djihad. Avec l’accord de l’éditeur, nous publions l’éclairante préface de l’ancien sénateur de l’Aveyron Bernard Seillier.

Le colonel François-Régis Legrier nous entraîne dans une réflexion importante à partir de la devise de l’École de guerre : « Si tu veux la paix, prépare la guerre ». La formule semble provocatrice car nous postulons une antinomie irréductible entre la guerre et  la  paix. La suite : « Essai sur la  guerre  juste » en dévoile la vérité cachée.

La justice est un des problèmes fondamentaux de l’humanité avec celui de la vérité. Elle est pour cela la clef de la paix ainsi que l’a déclaré le prophète Isaïe : « La paix est le fruit de la justice » (1). Saint Augustin et saint Thomas d’Aquin ont précisé sa nature, comme étant la tranquillité de l’ordre. Mais cet ordre générateur de la tranquillité et de la paix, répond à une condition très rigoureuse précisée avec une inépuisable teneur par le jurisconsulte Ulpien au début du IIIe siècle avant J.-C. : « La justice est la ferme et constante disposition de la volonté à rendre à chacun ce qui lui est dû. »

Fruit d’une sagesse philosophique 

Pour qu’il en soit ainsi dans l’engagement d’une guerre, il faut que l’autorité qui la décide soit légitime, que la cause soit justifiée et que l’intention qui la sous-­tend ne soit pas biaisée. On mesure donc à quel point la construction de la doctrine de la guerre juste par l’Église catholique depuis ses Docteurs jusqu’à notre époque se situe aussi sur le plan de la sagesse philosophique et politique qui comprend évidemment en premier lieu le culte dû à Dieu. Quand des doctrines inspirées par Machiavel (bellicisme), Kant (pacifisme) et Joseph de Maistre (providentialisme) contrarieront la doctrine de l’Église, celle-ci développera aussi ses réflexions sur la paix.

Le souci de la paix, constant au cours des siècles, est redevenu majeur pour le Saint-Siège depuis Benoît XV au moment de la guerre de 14-18 jusqu’à nos jours. Que l’on pense à Paul VI inaugurant en 1967 la réflexion annuelle des Papes sur la paix le 1er janvier. La doctrine de la guerre juste fut à nouveau évoquée à l’occasion des guerres déclenchées  au nom des illégitimes théories du « droit d’ingérence ». On a su que le pape Jean­-Paul II avait mis en garde le président Bush, avant le déclenchement de la première guerre du Golfe en 1991, sur l’embrasement du monde musulman que cette intervention ne manquerait pas de provoquer. Dans un tel contexte, l’essai du colonel Legrier est particulièrement bien­venu pour sa contribution à la réouverture de ce débat régalien s’il en est, à une époque pleine de confusion sur le sens de la justice et de la paix et lourde de menaces multipliées et diversifiées.

Si la paix est ô combien désirable, la tentation est grande pour l’humanité de la falsifier ou de chercher à se la procurer par une pseudo-prudence au nom de fallacieux droits de l’homme sans Dieu : « Le fruit de cet arbre était bon à manger et séduisant à voir (…) désirable pour acquérir le discernement » (2). Ne sommes-nous pas toujours prisonniers de cette prétention orgueilleuse à nous passer de Celui qui nous a prévenus : « Sans moi, vous ne pouvez rien faire » (3) ? Glosons : « Sans moi, vous ne goûterez jamais le fruit délectable de la paix. »

Si nous désirons la paix face à une menace de guerre, il est impensable de rester passifs. Nous devons agir, donc combattre mais avec la paix véritable pour fin. Il est ainsi impossible de réussir durablement sans le concours de Celui qui est le Prince de la Paix. C’est précisément ce que nous devons comprendre dans le précepte « Si tu veux la paix, prépare la guerre ». La paix, fruit de l’arbre de la justice, ne peut pas être goûtée en court-circuitant la vérité. Parce que nous ne devons pas nous séparer de Celui qui nous a dit : « Je suis le Chemin, la Vérité et la Vie » (4) sous peine de tomber sous le pouvoir de « l’homicide depuis le commencement ». Ne doit-on pas dire avec saint Paul qu’au cœur de toute guerre, « ce n’est pas contre des adversaires de sang et de chair que nous avons à lutter, mais contre les Principautés, contre les Puissances, contre les Régisseurs de ce monde de ténèbres, contre, les esprits du mal qui habitent les espaces célestes ». (5)

Notre alliance avec la Sagesse éternelle – que Jean-Paul II nous a rappelée lors de son homélie au Bourget en 1980 – correspond d’une manière éminente à ce travail de méditation préparatoire dans l’union au « Christ-Roi, Prince de la Paix, Maître des Nations » (6).

Nous sommes là au cœur du mystère de l’enseignement du Christ en nous par sa grâce qui ne vient pas abolir la nature mais la guérir et la porter à sa perfection comme l’a précisé saint Thomas. Il s’agit ainsi d’une pédagogie divine, d’autant plus immanente qu’elle est transcendante, qui instruit les consciences ordonnées par le désir originel du Souverain Bien, dont la paix est une forme d’incarnation et une fruition anticipée. La doctrine de la guerre juste ne saurait en faire l’économie et doit en découler dans son ordre propre.

La révélation du Sacré-Cœur à sainte Marguerite-Marie fit d’elle la messagère d’un enseignement sur l’amour divin nécessaire à la France meurtrie par les guerres de religion et en débat avec le jansénisme.

Écouter la divine Sagesse

Plus tard, la révélation du Chef sacré de Jésus comme siège de la Divine Sagesse à Teresa Helena Higginson, institutrice anglaise stigmatisée à la fin du XIXe siècle, fit d’elle la messagère d’un enseignement sur la divine Sagesse nécessaire au monde entier accablé par les grands fléaux de nos jours qui sont ceux de l’orgueil intellectuel et de l’infidélité à Dieu. Les pratiques politiques actuelles affectent effectivement non seulement la paix publique mais aussi la paix intérieure de notre âme et nécessitent pour « achever Clausewitz », c’est-à-dire éviter la montée aux extrêmes, le concours de la divine Sagesse.

Chacune de ces deux révélations se complète en effet pour « nous introduire dans la vérité tout entière » (7). Teresa Higginson écrivit à ce sujet à son directeur spirituel :

« Notre Seigneur me montra cette Divine Sagesse, ainsi que je le disais, comme la puissance directrice qui régla les mouvements et les affections du Sacré-Cœur, me faisant voir qu’Elle a, sur le moindre de Ses Actes, en l’élevant, le même effet et le même pouvoir que le soleil faisant monter la vapeur de l’océan. Il m’a donné à entendre qu’une adoration et vénération spéciales devraient être rendues au Chef Sacré de Notre Seigneur, en qualité de Siège de la Divine Sagesse, puissance directrice des sentiments du Sacré-Cœur, et qu’ainsi serait complétée cette céleste dévotion…».

La prétention humaine à se croire détentrice d’une raison autonome pour ne pas dire autiste et toute-puissante, accélère la destruction de l’humanité. Les mots de justice et de vérité sont travestis ou bannis de la vie politique. Malgré les dégâts accumulés depuis le siècle des Lumières, une protection demeurait du fait de la survivance des principes généraux de la civilisation. Aujourd’hui, depuis les années 1960, c’est tout l’édifice de la civilisation chrétienne qui est sapé dans ses fondements (famille, école, Justice, culture, mœurs publiques) si bien que l’armée apparaît aux yeux de nombreux Français comme la seule institution encore digne de confiance grâce aux valeurs morales qu’elle a su maintenir.

Les principes de la sagesse philosophique traditionnelle qu’on vient d’évoquer étaient fondés sur les vertus cardinales : la prudence, la tempérance, la force d’âme et la justice. Celles-ci doivent continuer à être une référence. Le colonel Legrier souligne ainsi judicieusement « l’effort non seulement militaire mais surtout intellectuel nécessaire pour faire face aux deux menaces principales que constituent le Djihad, c’est-à-dire la propagation de l’Islam par la force et la terreur et dont les actes terroristes que nous connaissons ne sont que les prémices, et le chaos engendré par des flux migratoires devenus incontrôlables  » gros pour certains d’une guerre civile à venir, et d’une guerre économique brouillant la lisibilité des conflits sous couvert de mondialisation.

Suivre la voie sacramentelle

L’époque  dans laquelle nous sommes entrés devrait en quelque sorte s’apparenter à  une « veillée  d’armes » générale, d’autant plus consciencieuse qu’elle doit précéder une guerre finale nécessitant tout le rayonnement de la divine Sagesse. Et par là-même, afin de préparer et mener cette guerre selon la justice et la vérité, la condition requise ne saurait être autre que la voie sacramentelle telle que suivie et prescrite par une sainte Jeanne d’Arc à tous ses hommes d’armes avant les combats.

En résumé, si nous voulons la paix extérieure, la préparation de la guerre qui relève du pouvoir suppose effectivement l’exercice de la prudence politique, mais celle-ci présuppose la paix intérieure, lumière que l’âme ne peut trouver que dans le Christ-Jésus : « Je vous ai dit ces choses afin que vous ayez la paix en moi. » (8)

La recherche de la paix nous conduit donc inéluctablement à faire la guerre à nos propres ennemis intérieurs, nous en sommes avertis : « Je vous laisse ma paix; c’est ma paix que je vous donne ; je ne vous la donne pas comme le monde la donne. Que votre cœur ne se trouble ni ne s’effraie. » (9) C’est ce qui avait conduit le bienheureux Newman à adopter cette devise « La sainteté plutôt que la paix. » (10).

Par BERNARD SEILLIER   

  1. Isaïe 32,17.
  2. Genèse 3, 6:
  3. Jean 15, 5.
  4. Jean 14, 6.
  5. Éphésiens 6, 12.
  6. Le 13 août 1926, Olive Danzé (1906-1968) recevait l’habit des bénédictines et prenait le nom de Sœur Marie du Christ-Roi. Au début de l’année 1927, elle reçut des apparitions du Sacré-Cœur. Les messages concernaient la Royauté du Christ sur terre, et tout particulièrement le désir divin d’avoir un sanctuaire à Paris, sur la montagne Sainte-Geneviève, le quartier où se trouvait le couvent. Ce vocable du « Christ-Roi, Prince de la Paix, maître des Nations ».
  7. Jean 16, 13.
  8. Jean 16, 33.
  9. Jean 14, 27.
  10. La paix selon le monde.

François-Régis Legrier, Si tu veux la paix, prépare la guerre !, Essai sur la guerre juste, Via Romana, 222 p., 19 €.

 

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