Theresa May a t’elle les reins solides ou n’en a t’elle pas besoin ? Que le Brexit (en français, parlons plutôt de la sortie des britanniques de l’Europe : maudits anglicismes) fonctionne ou non, il n’en demeure pas moins liquéfiant de constater qu’un peuple autrefois brave et fier comme l’était celui de la France, soit aux aguets, tremblants d’angoisse ou d’espérance devant dame Albion. Qui sait, si elle s’en tire, peut-être que nous aussi ? Il fut un temps ou le monde regardait vers la France avant de prendre une décision. Aujourd’hui, Marianne, cette furie libertaire, a posé son fusil pour aller se réfugier dans les bras de Theresa May. Retour aux sources de la Révolution ?
Lu dans Présent :
Brexit et si ça marchait?
Permettez qu’on en doute sérieusement, désormais. Rappelez-vous : il y a quelques mois, on nous prédisait — en cas de Brexit — un effondrement de l’économie britannique.
Cet effondrement était certain, modélisé, et même les plus ardents partisans du retrait de la Grande-Bretagne de l’Union européenne s’y préparaient. Le peuple avait voté (bien ou mal, selon les préférences), il fallait donc à présent assumer les conséquences de ce choix. Les pro-Brexit eux-mêmes expliquaient que la volonté populaire devait être respectée et que l’indépendance du pays et sa préservation de la submersion migratoire valaient bien un recul de l’économie, du pouvoir d’achat des Britanniques, un certain appauvrissement, en tout cas des sacrifices, que l’on annonçait comme plutôt lourds.
Dans les jours qui suivraient le référendum, une sévère récession frapperait la Grande-Bretagne, les finances publiques seraient obligées de déraper, et bien évidemment le pays tournerait le dos à cette situation de plein-emploi qui le caractérise depuis cinq ans. Une tragique erreur, disaient les anti-Brexit. Un sacrifice consenti, le prix à payer, disaient les pro-Brexit. Theresa May elle-même, la nouvelle dame de fer, semblait en avoir pris son parti, tout en estimant que le peuple devait être écouté et que les options économiques (fussent-elles bonnes) devaient être subordonnées aux choix politiques (fussent-ils mauvais). Autrement dit : on ne fait pas le bonheur d’un peuple contre son gré.
Mais force est de constater, sept mois plus tard, que rien ne s’est passé comme nous le prédisaient doctement les économistes les plus vertueux. Certes, les marchés financiers ont d’abord reculé fortement, puis ils se sont redressés, et le trou d’air est déjà totalement absorbé. La bourse bat des records. L’ombre de la récession ne plane pas sur la City, bien au contraire ! La consommation des ménages devait s’écrouler, mais c’est au contraire le crédit à la consommation qui explose. Quant à l’inflation qui devait ravager rapidement le pays, elle reste contenue, identique à celle des économies du continent.
On nous prédisait également une fuite générale des capitaux étrangers, des délocalisations massives d’emplois, un exode des intelligences. C’est exactement le contraire qui se produit : Londres semble avoir soudain accru encore sa capacité à attirer les entreprises du monde entier (Facebook, Apple, Google, Mac Donald’s…) — et les emplois qui vont avec. Les entreprises américaines du net annoncent des investissements massifs, alors même que certains des dirigeants de ces entreprises avaient été les premiers à crier au loup lors du référendum ! Aujourd’hui, ces mêmes dirigeants nous expliquent — pour justifier ces nouveaux choix, à l’opposé des pleines pages de publicité anti-Brexit qu’ils avaient financées — que l’Angleterre a une politique fiscale bien plus attirante que celle de l’Union européenne, et que Bruxelles constitue un carcan dont la perspective de se libérer dope la croissance !
Si Theresa May peut parler haut et fort, si elle entend appliquer un « Brexit dur » (voir Présent de jeudi dernier), si l’opposition travailliste est soudain devenue muette, si les indépendantistes écossais essaient de faire oublier leurs rodomontades autonomistes, c’est précisément parce que rien ne s’est passé comme le craignaient (ou l’espéraient, parfois) les observateurs politiques et économiques. Le gouvernement May a le triomphe modeste tout simplement parce qu’il n’avait pas prédit, lui non plus, même dans ses analyses les plus optimistes, ce qui est en train de se passer.
Le quotidien des milieux d’affaires français Les Échos avait très largement relayé chez nous la campagne anti-Brexit et avait contribué à créer un climat anxiogène autour de ce choix des électeurs britanniques.
Les Échos de jeudi dernier, par le bais de leur correspondant londonien, Vincent Collen, expliquaient à leurs lecteurs médusés : « La catastrophe économique annoncée n’a pas eu lieu. Au contraire, les indicateurs de conjoncture sont au beau fixe. »
Au moins, notre vénéré confrère est suffisamment pragmatique pour faire son mea culpa. On en aimerait autant de nos politiques et des médias dits généralistes.
FRANCIS BERGERON
Présent , n°8785, 25 janvier 2017