Difficile de se faire un jugement, tant les indicateurs sont de plus en plus difficiles à appréhender au vu de la nouvelle forme de la guerre moderne. Simplement gardons un principe à l’esprit : détruire est une chose, construire en est une autre. Entre les deux, il faut… maintenir.
Lu dans L’Homme Nouveau :
Syrie : la Russie a t elle gagné le jeu ? La Russie a incontestablement marqué des points en Syrie et, par voie de conséquence, dans la région moyen-orientale. Reste à se demander si elle va parvenir à transformer l’essai, passer à l’étape suivante : ramener la paix dans ce pays et par extension la sécurité dans les pays voisins. Elle a ses forces mais aussi ses faiblesses.
Le 29 décembre à minuit, un cessez-le-feu orchestré par Moscou prenait place en Syrie mettant fin à la bataille d’Alep. Dans les faits, c’était une défaite de l’opposition armée à Bachar Al-Assad. Par un couloir neutralisé, avec la population, les combattants quittaient la partie de la ville sous leur contrôle. Les Iraniens et l’armée du régime s’installaient à leur place.
Dans la foulée, les Russes organisaient une table de négociations avec l’opposition, à Astana, au Kazakhstan. Le temps des discussions de Genève sous parrainage de Washington apparaissait bien consommé.
Une victoire fragile
Mais dès le 2 janvier, l’édifice vacillait. Une dizaine de groupes rebelles gelaient leur participation aux négociations. Ils accusaient le régime syrien de violer la trêve. Dans ces affaires, il est toujours difficile de démêler le vrai du faux. Il est néanmoins indiscutable que les forces aériennes de Bachar ont bombardé la région de Wadi Barada, secteur de Damas tenu par la rébellion. On signale aussi des attaques de l’aviation à Rastane, dans la région de Homs, et dans les provinces de Hama et de Deraa.
La partie est trop importante aux yeux de la Russie pour ne pas réagir. De plus, dans l’ignorance de la politique que va mener Donald Trump à partir du 20 janvier, date de passation du pouvoir à la Maison-Blanche, Vladimir Poutine ne dispose que d’une faible marge de manœuvre. Car, si la Russie a bien joué, elle n’a pas toutes les cartes en main. À force d’avancer, remarquons-nous, elle commence à faire peur. Les stratèges américains l’ont bien compris et exploitent la situation. Nicolas Tenzer, encore récemment président français du directoire de l’Institut Aspen, un « think tank » atlantiste, a été jusqu’à écrire dans Le Huffington Post à propos de l’intervention russe en Syrie : « C’est une guerre non dissimulée, clairement menée par une grande puissance, conformément à ses plans de guerre, avec un objectif premier de domination d’une zone, ce qui est sans précédent depuis la Seconde Guerre mondiale… ».
Le décideur du Moyen-Orient
On pouffe de rire ! Tenzer n’a-t-il jamais entendu parler de l’invasion de l’Irak par les États-Unis en 2003 ? Soit dit en passant, cela ne retire rien à la volonté clairement affichée par Moscou de devenir le décideur de la région moyen-orientale. Autre point, Poutine fait en Syrie la même faute que les Américains. Ces derniers voulaient une paix sous leur contrôle exclusif et, pour cela, avaient exclu les Russes des négociations de Genève. Or ceux-ci avaient des intérêts géostratégiques à protéger, comme le port de guerre de Tar-tous. Aujourd’hui, c’est à Poutine de vouloir jouer au cavalier seul. Certes encore amortissable, la déconvenue d’Astana devrait l’alerter, car les Américains gardent une influence sur les rebelles non-djihadistes.
Il devrait aussi penser à la faiblesse de son alliance avec l’Iran et la Turquie. Ces deux pays ont leurs propres projets en Syrie et une vision politique très différente de la Russie pour la région. Tous les trois finiront vite par se retrouver en concurrence. L’alliance pourrait alors voler en éclats.
Enfin, si Poutine l’a emporté, c’est plus du fait du manque de détermination de l’Occident, de la faiblesse politique de ce dernier donc. Or, sur le plan économique ou sur celui de la technologie militaire, la Russie, même revigorée, reste loin derrière ses concurrents de l’Ouest.
Alors, certes, la Russie a marqué des points, mais elle n’est pas encore la superpuissance dominatrice qu’elle se voudrait. En revanche, il apparaît évident que la paix ne se fera jamais en Syrie et dans la région sans le bon vouloir de tous. Il y a encore du travail.
Alain Chevalérias
L’Homme Nouveau, n°1630, 14 janvier 2017.