Elles ont mis du temps à se coaguler. Neuf mois environ. Dès le début du quinquennat, les plus conscients – les plus expérimentés – des élus ralliés à Emmanuel Macron évoquèrent les difficultés qu’ils allaient rencontrer pour faire cohabiter 312 députés n’ayant aucune histoire commune.
Ils venaient de la « droite » molle et des gauches, appartenant les uns à la société civile, les autres à l’activité politique. Finalement, ils sont restés soudés pour voter tous les projets de lois proposés par l’exécutif. Cela n’a pas empêché la création de sous-groupes davantage en fonction des affinités, voire des postures qu’en raison de tendances idéologiques affirmées (sauf pour quelques-uns). Les observateurs ont pu distinguer quelques maigres sous-groupes (baptisés « pôles » pour viser plus large). Soit un sous-groupe « social » déjà considéré comme structuré, animé par Brigitte Bourguignon, député du Pas-de-Calais.
Née en 1959, cette ancienne secrétaire médicale fut adjointe au maire de Boulogne-sur-Mer avant d’être élue député PS en 2012. Elle fut nommée présidente du Haut Conseil du travail social. Dans l’entre-deux tours de la dernière présidentielle, elle se rallia à Macron et obtint l’investiture. Elle fut réélue député et se présenta comme candidate à la présidence de l’Assemblée nationale face à François de Rugy qui emporta le poste. Mme Bourguignon fut élue présidente de la Commission des Affaires sociales de l’Assemblée nationale avec la bénédiction de Macron.
Toujours avec l’aval du jupitérien, elle a groupé autour d’elle trente-cinq élus de LREM pour représenter l’aile « sociale ». Selon leurs déclarations et choix de votes, ils entendent ouvertement représenter l’aile gauche de la majorité. Mme Bourguignon se revendique comme une « sociale-démocrate », issue « d’une gauche réformiste et humaniste »… (Le Monde, 15/01/2018).
Le « pôle social » se réunit à présent tous les mercredis pour repérer les textes sur lesquels ils peuvent « faire avancer leurs positions », donc se distinguer… Issus en gros des mêmes rangs, des députés ont commencé à faire un « pôle » écologiste ». Son responsable « visible » est le député des Bouches-du-Rhône, François-Michel Lambert, qui a été élu sous l’étiquette écologiste en 2012 puis, en 2017, sous celle de Macron. Une première réunion du « pôle » – cinq élus pour l’instant – s’est tenue à l’Assemblée en février. Ils entendent eux aussi « peser sur les politiques publiques par le prisme d’une écologie progressiste » (sic).
Pour l’instant, les responsables de ces sous-groupes jurent qu’ils ne visent en aucune façon à constituer un groupe de frondeurs comme on l’a déjà vu ailleurs. Néanmoins, ils envisagent de faire contrepoids à un sous-groupe informel de députés logés à la commission des Finances de l’Assemblée, très actifs lors de l’examen du budget et qui défendent les réformes libérales de Macron. Ont été cités : Amélie de Montchalin, LREM, député de l’Essonne, Olivia Grégoire, député de Paris, qui sont intervenues lors de la réforme de l’ISF. Donc M. Lambert et ses amis veulent contrer les mesures qu’ils jugent trop libérales, trop « de droite ».
Le président du groupe LREM, Richard Ferrand, critiqué par certains pour son laxisme (« Le groupe n’est pas tenu » lui ont lancé plusieurs élus), a mollement rappelé « l’unité dans l’action et dans le vote ». Les craintes de fragmentation du groupe majoritaire ont été confirmées sur des questions « sensibles ». Ainsi en janvier sur, la « politique migratoire de l’exécutif ». Les divergences sur le projet de loi « asile-immigration » ont brusquement été mises sous les projecteurs des media. On a pu voir comment une simple circulaire visant à recenser les immigrants a pu déclencher des vives critiques dans les rangs de la majorité. Notamment les remarques de Sonia Krimi, une franco-tunisienne élue dans la Manche. Gare aux prochaines émotions et crispations sur d’autres sujets. C’est le lot des mœurs démocratiques. Les changements de cap et de convictions sont intrinsèques aux fonctions électives comme aux ambitions personnelles.
Jacques DE KREMER