Lectures Françaises

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Omniprésence du numérique

ByJacques de Kremer

Mai 31, 2017

Omniprésence du numérique

La presse papier face aux téléchargements

L’évolution est allée assez vite. Ces dernières années, pour faire front à la baisse de leurs ventes, des magazines ont décidé d’ouvrir des sites d’informations afin d’ « accrocher » l’intérêt qui devrait pousser ensuite le client vers un kiosque de journaux. D’expérimentale, cette démarche s’est répandue et prend du volume. Nous retrouvons sans surprise les « gros » groupes médiatiques. Le jour du printemps dernier, Patrick Drahi, que nous avons déjà présenté à nos lecteurs, est retombé dans son addiction d’achats dont L.F. a régulièrement traité. Si, rappelez-vous : un spécialiste franco-maroco-israélien des télécommunications, patron du groupe Altice, principal actionnaire de SFR et Virgin Mobile, propriétaire de Libération, de L’Express ; cinquième fortune de France, etc. Il a annoncé son intérêt pour un secteur qui, jusque-là, l’avait laissé indifférent : la publicité en ligne et en vidéo. Car ce secteur a bondi. Donc M. Drahi a fait savoir qu’il se portait sur les rangs pour racheter le groupe Teads qui fait des bénéfices depuis quatre ans. Son « créneau » est celui de vidéos de publicité insérées dans les bonnes pages d’éditeurs. Les « spots » de réclame sont insérés dans des articles de média : Le Monde, Les Echos, le Washington Post, le Corriere della Sera, le Nikkei. Ce qui veut dire que Teads est en concurrence sur cette pratique avec des « plateformes » Facebook ou Google. Nous retrouvons dans ce cas la tendance que nous avions soulignée, l’association des opérateurs et des contenus (des media, BFM TV, Libération…). L’objectif digne du Meilleur des mondes, reste de cibler la publicité, non seulement sur Internet mais sur la télévision. « Avec le projet que chaque téléspectateur voie des publicités selon son “ profil et selon ses goûts ” ». Pour l’instant cette démarche est interdite en France. Mais peu à peu, on s’en rapproche.

Omniprésence du numérique
Patrick Drahi

M. Drahi a lancé il y a un an un « kiosque numérique » SFR. Il propose aux clients 65 titres de presse sur tablette, smartphone, ordinateur. Ce qui a entraîné 10 millions de téléchargements au cours des neuf premiers mois. Libération (10 000 exemplaires par jour), L’Express (20 000 par semaine). Ont suivi Paris Match, Elle, Télé 7 jours, Le FigaroLe Monde préfère, pour l’instant, conserver son lien avec ses abonnés numériques dont le nombre augmenterait. D’autres quotidiens, tels Le Parisien ou Libération, estiment pouvoir recevoir environ 1 million d’euros de revenu par an. Mais on trouve des récalcitrants : entre autres les responsables de l’hebdomadaire Le Point, pour des questions de rentabilité. Il y a surtout une crainte de cannibalisation par SFR des autres ventes payantes. Quoi qu’il en soit, cette solution attire. Les cas du Figaro ou de Prisma en attestent.

Le groupe allemand Prisma qui a toujours soigné sa gestion, avait, fin 2016, attiré environ dix millions de vidéonautes chaque mois [1]. Le groupe Le Figaro Benchmark qui a tâté l’eau avant de plonger, annonce 19 millions de visiteurs uniques par jour, trois millions de vidéonautes. Son chiffre d’affaires pour 2016 se montait à 550 millions d’euros. Il doit se développer cette année, avec un projet de cinq heures de vidéo par jour dont beaucoup de direct. Il faut savoir que Le Figaro produit une centaine de vidéos par jour ! Il se dirige donc vers le continu. On a pu le constater durant les présidentielles. Ces gros groupes ont bien été séduits par l’objectif d’ « aller chercher l’audience là où elle se trouve ». Cela en proposant aux clients des applications qu’ils chargent selon leurs goûts, ce qui permet précisément de connaître des données précieuses pour vendre et influencer.

Cette utilisation des vidéos a montré son efficacité par tous ceux – de droite – qui étaient depuis longtemps écartés des media grand public. Les sites de « réinformation » se sont multipliés simultanément avec les vidéos. Devant le succès des blogs, vidéos, site, télévision, radio (inclus par nos adversaires dans la « fachosphère ou « réacosphère »), les media et des universitaires se sont désolés en estimant que la « fachosphère avait gagné ce combat » ! Ils ont tenu à riposter. Les media ont bêlé leurs mécontentements pour conclure sur le danger lepéniste. D’autres individus de gauche ont imité les affreux. On les retrouve sur YouTube qui, depuis quelques années, les héberge. Ils diffusent déclarations, invectives sur vidéos. Certains peuvent se targuer d’avoir fidélisé des centaines de milliers d’abonnés. Les incertitudes, coups de théâtre et autres trahisons qui ont égayé la campagne électorale, ont dynamisé les vidéastes de gauche et d’extrême gauche. La chaîne « Osons causer » aurait une large diffusion. Elle a travaillé durant la campagne avec Mediapart (une vidéo de Macron diffusée sur Facebook, aurait été vue six millions de fois). Officiellement ces militants prétendent vouloir s’opposer… au monopole de l’extrême droite sur Internet ! On en revient à la question de l’influence sur des abonnés situés jeunes adultes. Les responsables ou chercheurs de ces sites reconnaissent leurs limites sur ce terrain. Il faut rappeler ce que les usagers habituels d’Internet ont maintes fois remarqué : « les algorithmes de recherche orientent les gens vers les contenus selon leurs préférences. Cela crée des « bulles » filtrantes et certains se retrouvent à ne prêcher que des convaincus. Nonobstant les contenus des gros « youtubeurs », très partagés, « deviennent viraux et touchent un très large public » (Anaïs Theviot, chercheur en sciences politiques au CRAP).

Les politiques pratiquent aussi les écrans

Ayant constaté que les vidéos de tel ou tel journaliste ou indépendant de la droite attiraient un nombre important de « visiteurs », les internautes militants de gauche comprirent que leurs dénonciations outrées contre la « fachosphère » loin de pénaliser les « affreux », en attiraient d’autres ! Ils encouragèrent leurs champions à se lancer dans la lutte numérique. Jean-Luc Mélenchon (voir ci-dessous), Benoît Hamon (plus modestement), Emmanuel Macron, ont donc investi YouTube. Il fallut rattraper la large avance prise, depuis des années, par les vidéastes de droite ou de gauche (hors partis). Certains des premiers ont fidélisé plusieurs milliers d’abonnés. A gauche, en marge des militants pour tel ou tel, on peut citer dans un style des plus rustiques, « Osons causer », fondé en 2014. La plupart reconnaissent être poussés par deux motivations : s’opposer à la droite ferme, « extrême » si l’on veut ; vulgariser des concepts de sociologie simples (proche de la doxa de la gauche qu’il faut bien désigner comme « extrême »). Mais s’ils ne représentent pas un candidat ou un courant caractérisé, leur but revient à « proposer d’autres analyses que celles de l’extrême droite ou de l’essayiste Alain Soral » (Lambert, Cheung, Torbey de Osons causer, in Le Monde, 28/03/2017). Beaucoup d’abonnés de ces sites de gauche auraient entre 18 et 30 ans. Leurs créateurs ont bien intelligemment compris qu’ils devaient se rendre accessibles à ceux qui constituent leur cible principale : un public jeune. D’où des paraphrases ou des copies de certains « humoristes ». Mais pour la présente campagne, il fallait privilégier les courtes démonstrations dialectiques. Aussi « Osons causer » a-t-il collaboré avec Mediapart pour diffuser sur Facebook les contenus brefs. Jusqu’en avril, sa ligne est restée dans les attaques contre les droites, sans vrai soutien pour un candidat de gauche.

Parmi les candidats, il me faut revenir sur ceux qui ont su rameuter des fidèles par milliers. Mélenchon a depuis longtemps « travaillé » les internautes. Le 23 mars, ils furent 320 000 à avoir « appuyé » sa candidature sur le Web et 742 000 à s’être abonnés à sa page Facebook. Encore plus fort, sur Twitter il obtint 1,03 million d’abonnés (« followers »). Seule Marine Le Pen fit mieux avec 1,3 million d’abonnés sur Twitter et 1,2 million sur Facebook. Ayant pris conscience de ces contacts, Mélenchon passa à la télévision, avec sa chaîne sur YouTube. 240 000 personnes y sont inscrites pour regarder ses vidéos qui reprennent les passages de leur champion sur les « grandes » chaînes. Les media (Le Monde, ou Google Trends), auraient confirmé la montée rapide des audiences du tribun de gauche notamment lors du débat télévisé. Une vidéo de lui contre les « tricheurs du fisc » a été vue – sur Facebook, 3,6 millions de fois en trois jours. Les jours suivants, les sondages le faisaient passer devant Hamon. Sans doute y a-t-il une marge entre l’internaute et l’électeur, mais dans un monde décérébré, les images ont pris un poids très net.

Le Monde, dénonciateur du « mal »

Dans la charge sabre au clair menée contre la droite dans la course présidentielle, le quotidien Le Monde s’est fait remarquer par une augmentation du nombre d’articles et de pages couvrant les différents thèmes. Il a joué sa partition dans la dénonciation du mal et la promotion des bien-pensants. Il a ainsi commis une série d’articles sur le sujet dont nous traitons un peu ici, qu’il a titré « Les nouveaux colleurs d’affiches du Front national ». Il désigne ainsi, pour la dénigrer, une jeune génération d’internautes qui ont adopté des codes qui seraient – horreur ! – ceux des néo-nationalistes américains. L’élection de Donald Trump aurait tout déclenché. Les électeurs du nouveau président avaient brandi des images d’une grenouille aux grands yeux nommée « Pepe the Frog ». Les jeunes proches du FN ont repris le personnage, dans des jeux, des blagues de plus ou moins bon goût. Dans l’argot des internautes et des forums, ces « trolls », lancent des messages ou des débats conflictuels en tournant leurs opposants en ridicule. Ce sont en général des adolescents et des étudiants qui sous pseudonymes se lancent des blagues ou des critiques. A l’origine, ils ont utilisé un site de jeux (Jeuxvideo.com) pour échanger librement des remarques sur la société. Ce site ayant du succès, Le Monde y consacre plusieurs articles pour en arriver à un titre qui résume ce qu’il faut penser : « Jeuxvideo.com, terrain de chasse du Front national ». Pas de quoi fouetter un chat, direz-vous, ni y consacrer des lignes de L.F. ? Il se peut cependant que les frémissements de réaction prennent des sentiers cocasses. Au début, quelques universitaires et journalistes qui suivent ces expressions peu structurées, trouvaient ces échanges sympathiques… tant que leurs auteurs reprenaient des thèmes un peu gauchisants parfois. Ils s’inspiraient des « hackers » qui signaient Anonymous et se disaient « lanceurs d’alerte ». Ayant « épinglé » des homosexuels, des « féministes hystériques » (Le Monde, 1er/04/2017), des politiciens de gauche, ou des vérités obligatoires, ils devinrent suspects.

En France, des sympathisants frontistes, mais aussi des Mélenchoniens, ont repris l’image de « Pepe the Frog ». Soral ou Asselineau, sont « très populaires » sur les sites. Ce qui explique et justifie la benoîte délation du Monde. Pour Les Inrocks, il est « sûr qu’il y existe (dans les sites), une forme de déculpabilisation du discours d’extrême droite ». Le discours humaniste et progressiste est minoritaire. Il est considéré comme paternaliste, comme « old » (vieux). Ils font passer un nouveau message. Du côté du FN, sa présidente a encouragé les années passées à la participation sur les réseaux sociaux. Mais elle a imposé un contrôle des plus sévères contre les moindres « dérapages » ou maladresses. Les responsables du parti ont soigneusement étudié les campagnes du Brexit et de Trump. Mais ils ont vu que les mœurs n’étaient pas les mêmes. En revanche, ils ont dirigé des séquences de publicité négative contre le plan Fillon.

En résumé, deux conclusions :

– les media dominants persistent dans leur campagne orientée.

– Les indépendants ou les non-conformistes montrent qu’ils savent utiliser les nouvelles techniques numériques.

Tout en gardant un avis critique quand il le faut, ne négligeons pas ces fenêtres pour faire connaître nos idées et… nos livres. Ces anecdotes apparemment secondaires peuvent être interprétées soit comme des signes du mouvement dextrogyre décrit par le professeur Guillaume Bernard [2], soit comme une arme électorale comme on l’a vu au premier tour des présidentielles.

Jacques DE KREMER

[1]Prisma Groupe, filiale du groupe allemand Gruner+Jahr (détenu par Bertelsmann) est le premier éditeur de magazines avec par exemple Géo, Ça m’intéresse, Capital, Télé loisirs, VSD, Voici, Gala, Femme actuelle… Le groupe a clairement annoncé qu’il voulait conquérir un public jeune « peu en contact avec la plupart de ses revues ». Exactement la tranche des 25-35 ans qui sont nombreux sur les plateformes. En espérant qu’ils achèteront ensuite en kiosque.

[2] – Voir son livre La Guerre à droite aura bien lieu. Le mouvement dextrogyre (Éd. Desclée de Brouwer, 2016), déjà évoqué dans notre numéro 717 (janvier 2017).

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