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Maurras 1952-2022, que reste-t-il ?

Maurras 1952-2022, que reste-t-il ?

On pourrait croire qu’il ne reste que nostalgie et regrets… Maurras est mort il y a soixante-dix ans, mais son œuvre témoigne d’une modernité éclatante à laquelle il est nécessaire d’abreuver, toujours, nos esprits agressés par le désordre ambiant.

Maurras nous enseigne la piété filiale, cette attitude qui consiste à se reconnaître « débiteur insolvable », à avoir à l’esprit que le patrimoine reçu est là pour le transmettre et non uniquement pour en jouir de manière égoïste. C’est parce que cette impiété à l’égard de la Patrie n’a jamais été aussi grande que nous honorons ceux qui ont fait la France : nos rois certes, mais aussi l’immense cortège de tous nos saints, de nos héros et de nos soldats, célèbres ou silencieux, qui ont foulé le sol de notre beau pays et contribué à transmettre et à enrichir le patrimoine de notre civilisation.

Nous saluons son œuvre immense, littéraire et politique. Certains ne reconnaissent que le génie littéraire du maître de Martigues ; ceux-là le travestissent, l’accusant d’employer au service de la politique son génie littéraire. Ceux-là n’ont pas compris Maurras et ce qui l’animait : cet amour du Pays Réel, cette ferme volonté de montrer aux Français la voie royale du salut national, cet amour de l’Ordre des choses. Tout son art qui s’est déployé dans une démarche politique et qui fut au service de « la France, la France seule ».

Soixante-dix ans après sa mort, le Martégal a toujours contre lui les détenteurs du pouvoir politique, ceux qui l’ont chassé de l’Académie française, ceux qui l’ont condamné à la réclusion perpétuelle et à la dégradation nationale pour intelligence avec l’ennemi.

Marianne se défend bien et il n’y a rien d’étonnant à cela. Que peut-on attendre de cette République et de ses serviteurs ? Maurras aurait sans doute répondu : rien.

Que reste-t-il, devant l’indifférence, l’ignorance, le complot du silence qui supprime de l’histoire un des penseurs les plus géniaux que la terre ait porté et comme nous l’allons montrer, un poète éminent et mystérieux ?

Il reste justement une œuvre, immense et variée : ce qui est écrit est écrit !

Reste à comprendre et expliquer cette œuvre aussi variée que complexe.

Nous allons tenter une première approche dans ce « dossier » :

« Le combat politique, les livres strictement politiques ne forment que la partie émergée de l’iceberg ; on trouve en dessous et qui la soutiennent et qui l’expliquent, et qui la justifient, l’esthétique, la philosophie de l’ordre, la quête spirituelle. L’ensemble constitue un projet royal global de restauration de la civilisation française. »

Gérard Bedel, Maurras poète de l’ordre et de l’espoir (p. 12)

*

Lecture et Tradition a publié deux numéros spéciaux sur Maurras : no 303 en 2002 [1] et en 2018 no 84 (nouvelle série)[2] ; il s’agit de deux dates anniversaires. Ils furent complétés par deux brochures : Maurras, poète de l’ordre et de l’espoir [3] de Gérard Bedel et Charles Maurras, un apologiste de la monarchie [4] de Jean-Baptiste Geffroy.

Charles Maurras, né le 20 avril 1868 à Martigues, mourut le 16 novembre 1952 à la clinique Saint Grégoire (Saint Symphorien lès Tours), où il était en résidence surveillée depuis mars 1952 après 2749 jours d’internement à la prison de Riom, puis à la centrale de Clairvaux [5]. Le chanoine Cormier, chargé par l’archevêque de la rude mission d’assister « l’illustre personnage » lui rendit régulièrement visite, ce qu’il relate dans un livre touchant, Mes entretiens de prêtre avec Charles Maurras [6]. Trois jours avant le jour fatal, Maurras le fit mander pour recevoir l’absolution et les derniers sacrements.

Voilà donc 70 ans que le vieux lutteur a rendu son âme à Dieu. Sa pensée demeure vivante et sa méthode indispensable. Il avait travaillé jusqu’au bout de ses forces et préparé plusieurs livres qui paraîtront à titre posthume, dont Saint Pie X sauveur de la France.

Ce n’était malheureusement pas la première fois que Maurras goûtait à l’hospitalité de Marianne… Évoquons l’hommage national qui lui fut rendu à sa première sortie de prison sous le Front populaire : une « grande réunion privée, au vélodrome d’hiver » réunit plus de 40 000 personnes sous la présidence de Charles Trochu, conseiller municipal de Paris et sous la présidence d’honneur de Madame la Maréchale Joffre. Cette foule, comme l’annonce le tract « proclamait son admiration pour Charles Maurras et sa foi dans les destinées immortelles de la patrie. »

Le premier à prendre la parole est un professeur de médecine. Pourquoi un médecin ? Parce que Maurras est un « admirable médecin, car il connaît le symptôme de la maladie grave qui mine de plus en plus la France ; admirable médecin, car il veut résolument et obstinément la guérir. »

Georges Gaudy (président de l’association Marius Plateau), invité ainsi que de nombreuses personnalités à rendre cet hommage à Maurras sortant donc de la Santé, le 8 juillet 1937 déclarait :

« Je ne crois pas que dans toute notre Histoire, dans l’Histoire de ce pays si riche en esprits lumineux et en cœurs héroïques, il soit possible de trouver un homme plus complet, une personnalité plus haute et plus grandiose que celle de Charles Maurras. (…) Nous l’admirons pour la puissance de son génie, pour la grandeur de son intelligence, pour la fermeté de son bon sens qui lui a permis dans un siècle d’erreurs de ne jamais dérailler. Mais nous l’aimons pour l’extraordinaire générosité de son cœur, pour son esprit de sacrifice et d’abnégation, pour ce dévouement sans bornes qui lui permet de braver toujours les fatigues, d’accomplir depuis tant d’années sa tâche surhumaine, de braver tous les obstacles, de triompher de toutes les épreuves. (…) Éclairés par lui nous connaissons les causes du mal dont la France est affligée, et grâce à lui les remèdes, les solutions salvatrices. »

Henry Lémery, sénateur, ancien garde des Sceaux (un républicain donc) :

« Par-dessous les idéologies, les distinctions d’école et les luttes de doctrine, je vénère en Maurras le penseur, l’écrivain, le patriote intransigeant, l’homme qu’aucune menace ne fait reculer et qui a souffert pour ses convictions. Je m’incline devant ces hautes qualités qui suscitent et qui défient la haine des médiocres : le talent et le caractère… Et je ne saurais oublier que la cause pour laquelle Maurras a été frappé, fut celle de la raison et du devoir national. »

1944 n’était pas passé par là !

Avant de mourir, Maurras avait aussi prévu l’édition de ses « œuvres capitales », en quatre gros volumes dont un seul représente la partie politique. En effet dans l’esprit de Maurras, le combat politique n’est qu’une partie de son œuvre, malgré 36 ans d’une chronique quotidienne ! Et si c’est cette lutte politique de chaque jour qui a marqué un demi-siècle, et a laissé le plus de traces dans les esprits, cela ne tient pas de l’auteur. Il faut croire que pour sa part, il s’attachait surtout à son œuvre littéraire qui d’ailleurs forme un tout. Nous verrons cela plus loin.

Maurras n’a pas toujours été royaliste, il l’explique lui-même dans son livre Au signe de Flore. Comment sa pensée s’est-elle élaborée ? Partie d’une anarchie intellectuelle dont les causes sont nombreuses, mais animée par le désir du Beau, du Vrai et du Bien, cette intelligence a pris son temps avant « d’aborder aux rives où tout la conduisait ». La conclusion s’est imposée par la méthode qu’il va utiliser et enseigner autour de lui d’abord et ensuite à ses nombreux lecteurs. (LIRE LA SUITE DANS NOTRE NUMÉRO)

Claude JACQUE avec la participation de membres du comité directeur de l’A. F.

[1] – Cinquantenaire de la mort de Charles Maurras.

[2] – 150e anniversaire de sa naissance.

[3] – 16 novembre 1952 – 16 novembre 2002 (Éditions D.E.L., 2002, puis Éditions de Chiré, 2018).

[4] – Éditions de Chiré, 2020.

[5] – Pour avoir menacé les députés qui voteraient les sanctions contre l’Italie, entraînant la France dans la guerre, Maurras fut condamné par Léon Blum.

[6] – Mars-novembre 1952, suivi de La vie intérieure de Charles Maurras (Éditions Plon, 1953, puis Nouvelles éditions latines, 1970).

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