Les députés socialistes ont apporté de nombreux amendements à la loi concoctée par les conseillers de Manuel Valls et de Jean-Jacques Urvoas, aggravant les mesures liberticides (si elles sont utilisées contre les adversaires politiques, ce qui ne relève pas du phantasme). Ne nous payons pas de mots, la loi sur le renseignementpermet que n’importe quel citoyen considéré comme trop peu zélé à soutenir les « valeurs républicaines » – qui ne sont d’ailleurs pas définies –, donc comme un individu soupçonné de présenter un danger « potentiel » pour le régime, peut être mis sur écoute.
Cette décision dépend uniquement du Premier ministre. Il sera loisible aux services ad hoc d’introduire un programme espion dans un ordinateur privé à l’insu évidemment de son propriétaire, de placer des balises pour suivre ses déplacements, de procéder à des écoutes de ses courriels et appels téléphoniques. Non ce n’est pas une scène d’un mauvais film d’espionnage. C’est l’extension des pratiques des services spéciaux contre les terroristes menaçant la France.
Cazeneuve l’a ingénument reconnu en donnant comme exemple de groupes politiques « à suivre » (écouter) les anciens membres de groupes dissous : identitaires, Jeune Nation, Troisième voie… Car dans la nouvelle loi, on trouve bien les arguments uniquement politiques pour surveiller les adversaires les plus déterminés : « la prévention des atteintes à la forme républicaine des institutions, des violences collectives de nature à porter atteinte à la sécurité nationale, de la reconstitution ou d’actions tendant au maintien de groupements dissous en application de l’article L. 2012-1 ».
La loi a été votée à une très large majorité le 5 mai : 438 voix pour, 86 contre, 42 abstentions. Simultanément, le Premier ministre a montré sa détermination tactique en appliquant à nouveau sa méthode du « Viol des foules » (selon la formule utilisée par Tchakhotine pour titrer son livre 1). Le but est de lancer, à l’occasion d’une forte émotion publique, tel un attentat meurtrier, des slogans qui débouchent sur des manifestations où, avant toute enquête, seront désignés les coupables nommés par les media.
L’affaire de l’attentat de la rue Copernic en 1980 est un bon exemple. Au mois d’octobre, une bombe éclata devant une synagogue. Tous les media, partis, syndicats, s’enflammèrent contre… le fascisme, le nazisme, l’antisémitisme. Le lendemain fut organisée une grande manifestation unitaire contre l’antisémitisme, le nazisme et les rares mouvements d’extrême droite. Pendant les mois qui suivirent le nouveau gouvernement de gauche pressa la police de poursuivre les mouvements de droite.
En vain et pour cause. L’attentat avait été commis par un commando pro-palestinien du FPLP-OS, venu du Moyen Orient. Hassan-Diab, celui que la police française considère comme le coupable de l’explosion, a été extradé fin 2014 vers la France, 34 ans après les faits qu’il nie. La masse avait suivie les premières accusations.
En janvier 2015, il y eut des massacres visant les journalistes de Charlie Hebdo puis les clients d’une épicerie cascher. Les auteurs furent éliminés par les forces de l’ordre. Les media et quelques groupes parlèrent de soutien à Charlie, aux victimes et à leurs familles. Le gouvernement organisa, le 11 janvier, une manifestation monstre. Les slogans évoluèrent : ils défendaient d’abord la liberté d’expression mis à mal par les terroristes islamistes. Mais aussitôt, le gouvernement et les media, s’inquiétant de la méfiance soulevée par ces attentats, s’appliquèrent à ne pas parler du rôle de l’islam dans les motivations des tueurs.
Ce fut la période des « pas-d’amalgames ». Manuel Valls annonça qu’une loi allait paraître et que des mesures seraient prises pour mieux surveiller les dangers terroristes. Il n’est plus du tout question de défendre la liberté d’expression mais au contraire de la contrôler très étroitement !
Le 16 avril, le Premier ministre a annoncé qu’il consacrait 100 millions d’euros en trois ans, à la lutte contre… le racisme, l’antisémitisme, la xénophobie, l’islamophobie sur Internet. Ces dérives qu’il conviendrait de préciser, ne relevant pas, selon lui, du droit de la presse mais du droit pénal. Il fit même un appel à la bonne vieille délation « républicaine ». Un appel a été lancé aux usagers de la « toile » afin qu’ils signalent « les comportements illicites » en liaison avec la plateforme PHAROS (« Plateforme d’harmonisation, d’analyse, de regroupement et d’orientation des signalements) qui a pour tâche honorable de signaler les comportements dangereux de certains individus qui diffusent leurs agissements sur les « réseaux » (maltraitance, humiliation, vol ou pire).
Là, pour le coup, on peut exiger : pas d’amalgame ! Mais cela pourrait servir pour ficher un peu plus ce qui serait classé (en fonction de quels critères ?) comme « atteinte à la forme républicaine des institutions ».