En complément de ce que viennent d’écrire Claude Beauléon et Luc Perrel, il nous paraît utile, nécessaire et même indispensable de conforter le contenu de leurs propos par les opinions exprimées par deux personnalités qui permettent de mesurer à quel point cette date de 1975 représente un tournant que l’on peut qualifier d’irréversible, tant il a imprégné les mentalités du public français, conduisant à l’acceptation de la banalisation d’un acte qui – il faut bien l’affirmer – reste un crime, dans le sens étymologique et authentique de son acception ou de sa définition : « Toute violation grave à la loi morale et religieuse ; tout acte coupable qui blesse l’intérêt public ou les droits d’un citoyen » (Dictionnaire national de Bescherelle aîné, 1874).
Les deux personnes auxquelles nous nous référons sont Jean-Marie Le Méné (président de la Fondation Jérôme Lejeune et Gabrielle Cluzel, auteur d’un livre qui décille les yeux, aveuglés par l’insidieuse propagande politico-médiatique qui, depuis un demi siècle environ, contamine les cœurs, les esprits et les intelligences.
Jean-Marie Le Méné, tout d’abord, a rendu publique, le 30 juin, une tribune (parue sur le site internet de notre confrère Valeurs actuelle) à laquelle il a donné le titre que nous avons repris ci-dessus. Nous nous permettons d’en reproduire quelques extraits, tant ce qu’il y développe va à contre-courant de ce qu’ont imposé les media au moment de la mort de Mme Veil. Dans son introduction, il rappelle un fait « incontournable » :
« Au fond, la loi Veil n’était qu’une loi de santé publique. Cette aimable vision a rassuré la droite qui a soutenu le ministre, plus par faiblesse que par malice, en s’avouant à la fois contre l’avortement, mais pour la loi. Sauf que réduire le féminisme à l’hygiénisme et assimiler un acte commis en blouse blanche à un acte médical en dit long sur la reddition de l’intelligence aux forces de l’illusion. L’acte est tellement contre nature qu’il n’est tolérable que dénaturé. Tout est déni dans l’avortement : l’innommable est acronymisé, l’indescriptible euphémisé, le réel virtualisé (…)
« La grossesse interrompue, dont l’État a imposé le remboursement à la collectivité, comme un soin parmi d’autres, est devenue l’étape initiatique de la vie des femmes. Mais depuis plus de 40 ans, l’avortement ne tient que par le mensonge, seule ressource de son néant (…) De fait, la transgression princeps de l’avortement est devenue le portail d’accès vers tous les « progrès sociétaux » (…) Ainsi (en son nom), on a légalisé en quelques années toute une cohorte de pratiques avant-gardistes : l’eugénisme systématique des « anormaux », l’industrie procréatique et le diagnostic préimplantatoire, le tri des embryons humains, leur stockage, leur utilisation pour fabriquer des enfants « normaux » sinon versés à la recherche et voués à la destruction […]
Combien Jean-Marie Le Méné a raison de rappeler cette suite de pratiques, devenues des «dégâts» entièrement acceptés par la majorité de l’opinion contemporaine, tant elles sont encouragées, soutenues et autorisées par les pouvoirs publics, toutes orientations confondues. Il faudrait tout de même que tout bon électeur dit « de droite » et catholique s’en souvienne au moment de chaque scrutin auquel il est appelé à se prononcer, sous peine de se faire le complice de ces actes mortifères ! C’est bien ce qu’il souligne dans la suite de ses propos :
« La légalisation de l’avortement demeure la matrice de toutes les audaces (…) Politiquement, la loi Veil illustre un modèle mythique de violence politique : les réformes rêvées par la gauche, mais réalisées par la droite, ont précipité le politique sur un chemin de traverse ; alors le vote de l’IVG a brouillé les pistes. Tandis que la gauche et la droite ont affiché une convergence de façade autour de la loi de 1975, s’est construite une relation scabreuse où c’est la gauche qui monte la garde et la droite qui baisse la sienne.
La droite a « gagné » une liberté sous protection de la gauche. La droite a fait allégeance sur le plan culturel à une gauche qui définit le périmètre d’évolution de la droite et la charge même de faire avancer certains de ses projets. Comme le poisson rouge dans son bocal, la droite est en liberté surveillée, associée à une soumission à la gauche quel que soit le parti au pouvoir.
« De ce fait, la gauche peut bien se dispenser d’être au pouvoir, en pratique elle y est toujours. La droite fait ce qu’elle veut pourvu que, sur les questions ontologiques, la gauche donne le cap. Ainsi s’expliquent les lois de bioéthique, toutes votées sous la droite. A l’évidence l’avortement, sanctuarisé dans le tabernacle de la République, ne peut pas faire l’objet de la moindre remise en cause. Au contraire, comme l’ont montré les débats récents dans tous les partis, seuls les candidats qui anticipent les reproches et s’affichent comme les plus transgressifs peuvent espérer un destin politique ».
Et c’est ainsi qu’est conduite la politique française depuis quarante années et plus, depuis que cette loi, dont le contenu a été concocté dans les officines de la franc-maçonnerie, a été promulguée et votée par un gouvernement dirigé par deux personnages bien campés sur des positions fallacieusement affichées « à droite » : Giscard d’Estaing (président) et Chirac (Premier ministre). Merci infiniment, cher Jean-Marie Le Méné, de l’avoir rappelé sans faux semblant, permettant ainsi d’éclairer le visage de Simone Veil qui porte une très lourde responsabilité de « toute ces audaces » contre nature !
La seconde personne que nous appelons à la barre afin de poursuivre le prononcé du réquisitoire contre les responsables de tous ces manquements à l’éthique, de toutes ces dérives graves qui dégradent l’image de la France, est Gabrielle Cluzel, en raison du livre qu’elle a publié en 2016, Adieu Simone ! Les dernières heures du féminisme (Éditions Le Centurion).
Par le prénom qu’elle interpelle dans son titre, elle ne s’adresse pas directement à Mme Veil, mais à Mme de Beauvoir, dont elle brosse en quelques phrases le portrait peu flatteur suivant:
« Sa vie privée, sèche et inféconde sur le plan naturel, son compagnon aussi infatué que laid (il s’agit de Jean-Paul Sartre) étaient des repoussoirs pour la jeune fille que j’étais. Une femme rompue, à la plume talentueuse, mais qui donnait la nausée. L’atmosphère de ses livres ressemblait à ces rêves décousus qui ne sont pas exactement des cauchemars, dont on émerge avec un cafard diffus ».
Et si Gabrielle Cluzel s’en prend sans ménagement à cette Simone c’est parce qu’elle la considère, à juste titre, comme la « matrice » du mouvement féministe qui s’est répandu en France telle une lèpre depuis les années 1960 et n’a fait que prendre de l’ampleur avec le soutien de tout ce que notre société compte de femmes « libérées », modernes, et se voulant indépendantes et, bien sûr, dans tous les domaines à « la mode » (politique, littérature, spectacles – surtout le cinéma –, media, etc.). Son ouvrage est résumé en ces termes sur la quatrième page de couverture :
« Après avoir exigé la libération de toutes les femmes (et de toute la femme !), le féminisme a finalement voulu libérer la femme d’elle-même, et ce faisant, il l’a niée. Sous prétexte de la libérer du joug patriarcal, il a installé une tyrannie plus ou moins feutrée, qui entend régenter la grammaire, révolutionner les catalogues de jouets, renvoyer les mères récalcitrantes au travail et s’immiscer dans l’intimité des chambres à coucher. Mais les cris des harpies qui s’en réclament se perdent peu à peu dans les ruines de 68 et le réel vient reprendre ses droits. Avec un époustouflant sens de la formule, l’auteur passe cette décomposition de l’idéologie féministe au crible d’une analyse fouillée ».
Si nous faisons appel à cette analyse, c’est bien parce qu’en avançant dans la lecture de ses pages, il est aisé de constater que le rôle et la responsabilité des décisions d’une autre Simone sont sans cesse présents de façon sous-jacente tout au long du livre. Nous allons y revenir un peu plus bas.
Construit en sept chapitres, l’ouvrage passe en revue les grands thèmes qu’affectionnent ces dames, en partant de la silhouette modèle de celles qui sont sa cible :
« une rombière acariâtre et autoritaire avec sa moitié, l’homme occidental, faible et maigrelet, qu’elle morigène toute la sainte journée et fait avancer tête baissée… mais une rombière laxiste, aveugle et masochiste s’agissant des enfants qu’en couchant avec l’amant de toujours, la gauche, elle a engendrés et réchauffés dans son sein : libération sexuelle, laxisme judiciaire et islam impérieux ».
Dès l’entrée en matière, elle s’en prend au « sexisme ordinaire de la presse féminine » et souligne une espèce de contradiction qui se dégage de ces magazines intégralement consacrés aux femmes qui n’apparaissent en fin de compte que comme des objets ou des pantins soumises au diktat des courants contemporains qu’il ne s’agit de transgresser en aucune manière. De ce fait, et quelle que soit la revue qu’elles consultent (celles qui sont dans le collimateur de G. Cluzel sont Elle, Marie-Claire, Le Figaro Madame et Cosmopolitan), elles sont toutes stéréotypées sur le même modèle, ce qui fait dire à notre auteur :
« La vraie, la grande humiliation est là. Dans la pensée univoque de la presse féminine, comme si les femmes n’étaient capables d’aucune réflexion propre et d’aucune controverse argumentée. Pas la moindre parité gauche-droite, pas l’ombre d’une diversité d’opinions dans cette presse-là. Sans doute la pensée XXe est-elle lisse, uniforme, reflet d’un encéphalogramme tragiquement plat ? (…) Le secret de fabrication de cette mixture pré mâchée masquant sa vacuité par un idiome de précieuse ridicule tombée dans le pudding appartient évidemment à la gauche, dont le mantra idéologique imprègne chaque page. La gauche à laquelle on a laissé les coudées franches. La droite s’est rendue coupable – par méfiance et par mépris – d’avoir déserté la presse féminine ».
De la sorte, «Mai 68, en effectuant une rupture profonde entre les générations, a coupé le fil de transmission familiale. Ce n’est plus auprès de leur mère que les filles viennent chercher conseils, c’est auprès de nouveaux prescripteurs, les tenants de la presse féminine. Où, en fait de conseils, elles ne trouvent qu’embrigadement idéologique et injonctions consuméristes».
Puis nous en arrivons au cœur de la question, dans laquelle est impliquée Simone Veil : le chapitre traitant de la « Libération sexuelle » qui montre le côté dramatique, même tragique des manipulations que subissent les jeunes filles (dès leur puberté) et les jeunes femmes, tant le harcèlement à l’école a pu conduire une enfant (de 13 ans) jusqu’au suicide ! Quant à la pratique « courante » de relations charnelles sans contrainte, elle entraîne des situations irrémédiables que doivent subir ces victimes « innocentes » qui n’ont jamais été prévenues des conséquences qu’elles vont devoir supporter. Après tant de désastres, « se demande-t-on si les femmes n’ont pas été forcées à galvauder leur vie sexuelle ? » Bien sûr que non et arrivées à l’âge mûr, elles « comprennent soudain que la supposée libération de la femme a surtout ouvert les vannes d’une totale impunité pour l’homme ».
Tout ceci, explique et dénonce Gabrielle Cluzel, est le résultat de ce qu’elle appelle le «traitement» de la fécondité et l’usage sans prudence de la pilule contraceptive, dont la «prise au long cours ne peut pas être sans conséquences» et pour l’illustrer, elle donne l’exemple suivant : « À l’heure du bio, quel boucher voudrait encore d’une vache nourrie aux hormones pendant seulement dix ans ? Ce que l’on ne souhaite pas à son bifteck, est-il bien raisonnable de le faire subir aux femmes ? ». […]
Jérôme SEGUIN