Le drame qui se joue actuellement en Ukraine a des origines très lointaines et complètement ignorées du grand public. Il faut les connaître pour comprendre le véritable sens de la guerre actuelle.
Cette dernière est l’épisode final d’un long combat entre l’Angleterre et la Russie, combat dont l’enjeu originel était Constantinople.
L’histoire des plus anciennes relations de l’Angleterre avec la Moscovie appartient à l’âge héroïque de la navigation et du commerce européens. […] C’est le temps où, envieux des découvertes de Colomb, de Cortez et de Gama, jaloux de s’ouvrir une route vers la richesse des Indes, les marins anglais se répandent d’un pôle à l’autre, à la recherche de nouveaux passages, où les Cabot vont reconnaître le Labrador, Walter Raleigh découvrir la Louisiane, Drake renouveler, après Magellan, le miracle du tour du monde, où Jean Dawis et Frobisher s’enfoncent dans les passes glaciales de l’Amérique du Nord. Parmi toutes ces témérités auxquelles s’essayait la marine naissante de l’Angleterre, on reconnaît bientôt un vaste plan d’ensemble dicté par Giovanni Cabotto ou John Cabot, ce Vénitien qui fonda la gloire maritime de la Grande-Bretagne, et poursuivi par son fils Sébastien. Sous eux, la marine anglaise, trouvant trop étroit pour elle ce monde que se partageaient les Espagnols et les Portugais, veut se frayer une issue pour s’en échapper et découvrir à son tour des mers vierges et des océans inexplorés. [1]
L’Angleterre cherche une route vers la Chine
En 1551, Sébastien Cabot, Richard Chancellor, et Hugh Willoughby fondèrent à Londres une « Compagnie des Marchands Aventuriers pour la Découverte des Régions, Dominions, Îles et Lieux inconnus » dont l’intention était d’explorer le passage du Nord-Est vers la Chine.
En effet la prise de Constantinople par les Turcs en 1453 avait coupé l’accès de l’Europe à la route de la soie, cet ensemble de pistes caravanières qui reliaient, depuis presque 2 000 ans, Xi’an en Chine à Antioche de Syrie et à Constantinople, interrompant ainsi un commerce très lucratif. Il y avait bien de nouvelles voies océaniques vers la Chine et l’Inde, mais elles étaient sous le contrôle des Portugais et des Espagnols. La route maritime par la mer du Nord et la Baltique était contrôlée par le Danemark qui prélevait de lourdes taxes, c’est pourquoi il était plus rentable de contourner la Scandinavie par le nord et de passer par l’océan Arctique et la mer Blanche pour accéder à l’Asie.
Une flotte de trois bateaux partit donc de Londres le 10 mai 1553. Un seul d’entre eux réussit à atteindre les côtes septentrionales russes et son capitaine, Richard Chancellor, parvint jusqu’à Moscou où il fut très bien accueilli par le tsar Ivan IV, dit Ivan le Terrible.
Allaient s’ensuivre des relations diplomatiques et commerciales russo-anglaises : ouverture d’une ambassade anglaise à Moscou, création à Londres d’une Compagnie de Moscovie qui eut le monopole du commerce avec la Russie jusqu’à ce que, en 1565, des marchands hollandais viennent prendre leur part du gâteau. Et le gâteau était savoureux : les Anglais vendaient des tissus, de la poudre à canon, des armes, et importaient des bois, des cuirs et des fourrures. De plus la Russie ne possédant pas de flotte commerciale, les navires anglais assuraient seuls au début le commerce maritime du pays.
Pour le faciliter, le tsar ordonna en 1584 la fondation d’une ville qui allait devenir Arkhangelsk, à l’embouchure de la Dvina septentrionale, à environ 25 km de la mer Blanche. (LIRE LA SUITE DANS NOTRE NUMÉRO)
Christian LAGRAVE
[1] – Alfred Rambaud, « Ivan le Terrible et les Anglais en Russie d’après de nouvelles publications », Revue des Deux Mondes, 3e période, tome 13, 1876, p. 833 (le passage mis en italique l’a été par nous).
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