Le constant écart entre les missions et les moyens

La Plateforme des écoutes entreprise en 2009 par Thales a connu plusieurs « dérapages » (en coûts et délais) dénoncés par la Cour des comptes.

Cette rengaine, reprise depuis une vingtaine d’années, a été renforcée à partir des attentats terroristes de l’État islamique. Il faut, pour assurer une meilleure sécurité des Français, plus de matériel et plus d’hommes… en dépit des dettes et déficits énormes que connaît notre pays. Si les retards dans les réalisations peuvent parfois être rattrapés, ce n’est pas le cas des suppressions répétées d’effectifs et de matériels. Nous avons deux preuves récentes. Celui de la « Plateforme nationale des interceptions judiciaires » (PNIJ) qui devait être le système centralisé d’écoutes téléphoniques le 1er janvier dernier. Et, bien plus grave, l’épuisement matériel et humain de notre armée.

Enquêtes et écoutes

La Plateforme des écoutes entreprise en 2009 par Thales a connu plusieurs « dérapages » (en coûts et délais) dénoncés par la Cour des comptes. Ce qui a contraint la Direction générale de la police nationale (DGPN) à recommander à ses fonctionnaires de faire appel, pour les interceptions et géolocalisations, à des « prestataires privés » ! En revanche, pour ce que l’administration nomme les « prestations annexes » (les données sur les numéros de téléphone en contact avec la personne surveillée), il fallait passer par la PNIJ. Elle permet d’obtenir ces « fadettes » en quelques minutes alors qu’il fallait auparavant attendre « plusieurs semaines par fax ». Trois raisons ont été données par l’État pour ces changements : faire des économies ; renforcer la sécurité et la confidentialité des données récoltées ; améliorer la fiabilité du système. Les factures des prestataires privés montaient en effet rapidement : 25 millions d’euros en 2006, 55 millions en 2015.

Connaissant la voracité budgétaire des gouvernements, sans rêver, nous verrons bien à quel niveau se situeront les économies promises. Pour la confidentialité, si préférer un système d’État paraît sensé, pourquoi, a remarqué la Cour des comptes, avoir fait héberger cette Plateforme chez un prestataire privé (Thales) ? Pour la troisième raison (la fiabilité technique et l’efficacité), en remplaçant six prestataires par un système centralisé, le résultat présenté comme le bon choix s’est révélé lamentable : la plupart des syndicats de police et de magistrats ont dénoncé par courrier à Thales, un « véritable fiasco » : « bugs », coupures, pertes de données, failles… incompatibles avec le bon déroulement des enquêtes. Il semblerait, selon le ministère de la Justice, que seul un tiers des demandes d’interceptions judiciaires soit adressé à la PNIJ ; Thales a répondu comme excuses : des demandes en forte hausse, l’augmentation des volumes à traiter (avec la 4G)… La renégociation par l’État du contrat pluriannuel (2017- 2020), pourrait aiguillonner Thales

Le sort de l’armée

Il se situe dans un tout autre ordre de grandeur. Nos lecteurs en sont conscients. On peut résumer la situation en disant : trop d’opérations militaires, pas assez de moyens. Ces dernières années, les gouvernements ont été contraints de faire des promesses : 162 milliards d’euros prévus de 2015 à 2019. Mais beaucoup de généraux annoncent déjà une « panne », un « décrochage ». L’alerte a été répétée le 21 décembre par le chef d’état-major des armées, Pierre de Villiers dans le quotidien économique Les Échos. Il a rappelé la nécessité urgente de faire passer l’effort de guerre de 1,7 % du PIB à 2% avant la fin du nouveau quinquennat. Selon de bonnes sources, la « facture des renoncements subis depuis dix ans arrive ». Le décrochage devrait se situer entre 2020 et 2023. Ce qui fait penser à ce qui est arrivé au Royaume-Uni qui, pour l’instant, ne s’en remet pas.

Pour la France, dans chaque armée, les épuisements sont connus : pour tenir le niveau opérationnel actuel, il manque environ 17 milliards. Citons quelques points noirs : alors que l’armée française est la plus engagée des armées européennes, elle est la moins encadrée, il manque actuellement 600 officiers. Les stocks de munitions sont insuffisants, notamment ceux des missiles conventionnels ; à partir de 2020, la marine – 40% de ses navires ont plus de trente ans – ne va plus disposer que de cinq sous-marins d’attaque SNA (au lieu de six), les avisos ne pourront plus servir… Déjà elle n’est plus capable d’effectuer les patrouilles nécessaires de notre zone économique exclusive, la 2e au monde. Pour l’Armée de l’air, en Jordanie, les six Mirage, selon la Cour des comptes, ont consommé le potentiel de 29 avions d’entraînement ; faute de pilotes qualifiés, les Rafale ne sortent plus. L’opération Barkhane au Sahel a donné quelques résultats grâce à la valeur des soldats sur le terrain, grâce aussi… aux 65 millions d’euros d’aide logistique des Américains. Selon un rapport parlementaire, seuls 38% des hélicoptères de l’Alat, volent.

Dans l’Armée de terre, en mobilisant les soldats pour l’opération « Sentinelle » (jugée inutile par beaucoup), on a dû limiter l’entraînement. Une grande partie de ces misères vient de l’absence de projection politique. Le gouvernement Sarkozy réduisit les effectifs de 34 000 hommes. Pour 2009-2014, un budget avait été « arrêté ». Mais la programmation financière de celui de 2014-2019 connut une baisse de 30 milliards d’euros par rapport au précédent, avec un « gel » de trois ans. Seuls les attentats ont fait comprendre aux « responsables » politiques qu’il fallait des militaires. Les crédits augmentèrent. Seulement, nous ne le savons que trop, les retards pris dans les armements stratégiques coûtent le double en quelques années. Pour le général de Villiers, il faudra sans faute dépenser, pour les opérations des trois prochaines années du quinquennat nouveau, 36 milliards d’euros en 2018, 38 milliards en 2019, 40 milliards en 2020. Mais déjà des parlementaires refusent le modeste niveau des 2% du PIB.

Dans les promesses de leur campagne qui ouvrait un champ illimité et sans risques, d’anciens ministres socialistes ont fait leur mea culpa. Valls et Peillon ont proposé de porter le budget de la Défense à 2% et de créer 5 000 postes de gendarmes et de policiers ! Hamon et Montebourg n’en sont pas tout à fait là mais veulent reprendre les projets de Jospin. Les promesses ne coûtent rien. D’autres considèrent les 3% proposés par Marine Le Pen comme « impossibles ». Dans le fond, eux aussi pensent secrètement que la « soumission », fût-ce comme dhimmi, serait plus simple et peut-être moins coûteuse. Mais nos concitoyens y perdront non seulement leur argent, leur indépendance mais surtout leur honneur.

Jacques DE KREMER

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