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Lanceurs d’alerte ou incendiaires ?

ByClaude Vignon

Juin 13, 2016
En général, les révélations dénoncent au monde entier, des régimes, des responsables financiers et industriels, des épargnants, des personnalités politiques. Donc presque toujours des paradis fiscaux.

Lanceurs d’alerte ou incendiaires ?

La question s’est posée à plusieurs reprises depuis déjà deux lustres. En général un intermédiaire bien placé – dans une banque, une grande entreprise, une puissante administration – se décide à révéler des pratiques, des marchés, des décisions, des noms de clients ou d’intermédiaires qui lui paraissent fautifs. Nous ne nous arrêterons pas sur les motivations personnelles – recherche d’un geste héroïque, intérêt, basse vengeance, idéologie… – mais, en général, les révélations dénoncent au monde entier, des régimes, des responsables financiers et industriels, des épargnants, des personnalités politiques. Donc presque toujours des paradis fiscaux. Le lanceur d’alertes entend allumer une bombe médiatique. Sans scandale ni campagne médiatique, le geste semblerait vraisemblablement sans intérêt pour les auteurs. Il faut, comme preuves, des documents précis copiés sur les archives et diffusés avec la complicité des media internationaux. D’autant plus aisément que se sont organisés des groupes de journalistes enquêteurs spécialisés dans la délation bancaire. On ne parle pas de vols mais de fuites (leaks en anglais). Pour les dernières années, on peut résumer les plus importantes.

Dix années de piratages et de relais médiatiques

Lanceurs d’alerte
Julian Assange, fondateur de WikiLeaks.

WikiLeaks. En 2006, Julian Assange, un informaticien australien, fonde cette structure utilisant Internet et des relais dans le monde entier, pour diffuser des documents dénonçant les pratiques et décisions de certains gouvernements. En 2010 il est relayé par des « grands » quotidiens en Europe et en Amérique, tous situés à gauche ou au centre gauche : New York Times, The Guardian, Le Monde, El Pais, Der Spiegel… Suite à un blocus financier, il s’est arrêté de publier en 2011 puis reprit ses diffusions indiscrètes et compromettantes, l’année suivante. Les documents détournés et en partie diffusés se comptent par millions.

Scandale de l’UBS en 2008. Le coup contre la banque suisse part des Etats-Unis. La justice de ce pays accuse l’UBS d’avoir entre 2000 et 2007, démarché des dizaines de milliers de riches Américains pour attirer dans ses caisses quelque 20 milliards de dollars. La banque les a aidés pour contourner les règles. Elle fut mise au pied du mur : l’UBS dut accepter de payer une grosse amende de 780 millions de dollars et fut contrainte de communiquer les noms de 4 450 clients américains pour éviter une inculpation. La justice française se saisit de l’affaire en 2012 et mit l’UBS en examen pour avoir démarché des clients dans l’hexagone, en vue de les doter de comptes non déclarés. Pour montrer son zèle dans la lutte morale, la justice allemande transmit au fisc français une liste de 38 330 comptes de clients français.

Scandale des « OffshoreLeaks », 2013. A l’origine nous trouvons le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) et trois douzaines de media internationaux. La « fuite » fut déjà énorme : 2,5 millions de documents provenant de 122 000 sociétés « offshore » gérées par des firmes dites de « domiciliation », enregistrées à Singapour et dans les Îles Vierges britanniques. Les enquêteurs autoproclamés purent comprendre (et se les firent expliquer) les mécanismes complexes de ces gestions ainsi que le rôle de certaines banques dont BNP Paribas et le Crédit agricole. Parmi des entrepreneurs et des notables, on trouva le trésorier de campagne de François Hollande, Jean-Jacques Augier. Cela entraîna des démissions ainsi que la découverte d’autres données dans les pays anglo-saxons.

Scandale « ChinaLeaks », 2014. En réalité, c’était la face chinoise du précédent scandale et il fut exploité, après de longues traductions, par l’ICIJ dont le quotidien Le Monde. On apprit sans grande surprise que quelque 20 000 riches Chinois dont des sympathisants du Parti Communiste, avaient eu affaire avec les sociétés « offshore ». A la différence des réactions gouvernementales précédentes, les responsables chinois firent censurer les informations.

Scandale « LuxLeaks », 2014. Il concerne le Luxembourg, alors sanctuaire de « l’optimisation fiscale ». Des « lanceurs d’alerte » – un employé d’un cabinet d’audit et un journaliste – qui s’étaient procuré 28 000 pages (sic) d’accords fiscaux conclus entre 2002 et 2010 entre le fisc luxembourgeois et 340 trusts interna­tionaux dont Apple, Ikea, Pepsi… les confièrent à l’ICIJ. Les accords permettaient aux sociétés de déroger au droit commun. L’an dernier, les Etats européens se sont contentés d’adopter une directive sur la transmission automatique entre les administrations. Pour beaucoup, le Luxembourg faisait figure de paradis fiscal mais ses élus et responsables ne furent pas inquiétés pour autant. Comme preuve, M. Jean-Claude Juncker, ancien Premier ministre du Luxembourg (durant 18 ans), ancien président de l’Euro-groupe et actuel président de la commission européenne, n’a jamais été mis en cause.

Lanceurs d’alerte
Hervé Falciani

Les « SwissLeaks », 2015. Les media français en ont parlé un peu. Un ancien informaticien de la banque HSBC, Hervé Falciani a dérobé des documents qui ont été « récupérés » par la France. Dans cette affaire Le Monde et l’ICIJ ont joué un rôle notable. Il s’agissait de listes établies par la justice ou le fisc d’environ 3 000 Français ayant eu des comptes dans la banque en 2005-2006. Pour les autres pays, les listes totalisaient plus de 100 000 noms de clients et de 20 000 sociétés « offshore ». Le Monde (06/04/2016) estime que plus de 5,7 milliards d’euros auraient été cachés en pays helvète. La HSBC a été mise en examen en France pour complicité de blanchiment aggravé de fraude fiscale et de démarchage illégal.

On ne peut que constater les capacités inquisitoriales de la presse et des journalistes regroupés en « cartels » bien pensants, cornaqués par des « vedettes » de l’investigation devant qui tous les puissants doivent plier. Ils donnent le ton, désignent les méchants. Les media seraient donc bien le premier pouvoir ? Un pouvoir impartial ? Sauf s’ils dépendent de la haute finance. Ce que nous allons voir avec le dernier scandale, celui des « Panama Papers ».

Les « Panama Papers »

Cette fuite de données est la plus massive de l’histoire du journalisme et une des plus spectaculaires car visant la finance extraterritoriale (« offshore » en anglais). Une source anonyme les a communiquées à un journal lui aussi de gauche, Die Süddendeutsche Zeitung qui, nous a-t-on expliqué, a fait appel à l’ICIJ présentée comme spécialiste des « fuites ». Il est vrai que la masse de données et leurs objets – 11,5 millions de documents sur les avoirs cachés, dans des paradis fiscaux par de grands chefs d’État, ministres, députés, des rentiers, de sportifs, des industriels, des réseaux criminels… – une telle masse ne pouvait être exploitée que par des équipes nombreuses.

C’est ainsi que les documents provenant des archives du cabinet juridique panaméen Mossack Fonseca, ont été répartis entre 107 rédactions – 370 journalistes – dans 76 pays. Pendant une semaine, début avril, les journaux impliqués dans ce travail ont publié, dans leurs colonnes, des échantillons et quelques informations, la plupart vérifiées.

Mossack Fonseca est considéré comme un spécialiste mondial de la domiciliation de sociétés « offshore ». Depuis 1977, il en a créé plus de 214 000 dans 21 paradis fiscaux. Certes ces sociétés facilitaient des investissements dans certains pays mais la majorité d’entre elles sont utilisées comme sociétés-écrans : afin bien évidemment de dissimuler des avoirs et échapper aux impôts. Parmi elles se sont glissées des organisations terroristes (Hezbollah libanais) des « barons » de la drogue (ceux du Mexique, du Guatemala, de l’Europe de l’Est), des trafiquants d’armes « classiques » (Afrique du Sud) ou des pays ayant eu ou ayant toujours en chantiers, des industries d’armes atomiques (Corée du Nord, Iran…).

Il y a également douze chefs d’Etat et de gouvernement, dont six en activité, 128 responsables politiques mondiaux et hauts fonctionnaires, seulement, peut-on dire, 29 personnalités du classement Forbes des 500 personnes les plus riches de la planète ; un petit millier de Français dont de nombreux anonymes, des commerçants, des producteurs, des cadres, tous las de payer toujours plus d’impôts. N’oublions pas des banques françaises : le Crédit agricole (pour plus de 1 100 clients), la Société générale (pour plus de mille clients), BNP Paribas (468 clients), tous ont eu recours à des sociétés écrans enregistrées chez Mossack Fonseca.

Mais la présentation des « grands » journaux, puis des autres qui les copièrent, tourna vite à la désignation publique des « méchants » par les « gentils ». Il fallait des têtes. En « une », on placarda les photos de Bachar el-Assad, de Poutine, du roi du Maroc, de Balkany, et Cahuzac… et les articles reprirent les mêmes détails déjà connus. Il fallut lire de près pour comprendre que la plupart du temps, il s’agissait de « proches », de « connaissances » de tel chef d’État ou de parti. Les images, les noms, déjà imprimés dans les cerveaux, faisaient leurs œuvres. Ainsi, pour Poutine dont le nom n’apparaît pas dans les documents mais qui a des amis anciens dont le violoncelliste et homme d’affaires Sergueï Rodoulguine. Celui-ci aurait emprunté des fonds à une société cypriote pour s’acheter, entre autres, des instruments historiques dont un Stradivarius… La logique enjambe un peu vite les liens : puisque son nom a été cité, son ami est forcément impliqué (« Si ce n’est toi, c’est donc ton frère »). Ce Poutine est décidément capable de tout (…)

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