La fébrilité monétaire mondiale
Vivons-nous une crise de confiance vis-à-vis des monnaies ? Leur dépréciation inéluctable, le recours permanent à la fameuse planche à billets, les taux bas sont des sujets d’inquiétude constamment évoqués.
Qu’en est-il de l’euro ?
Très récemment (octobre 2016) M. Otmar Issing, 80 ans, premier économiste en chef de la BCE et acteur central lors de l’élaboration de la monnaie unique confiait au Central Banking Journal :
« Un jour ou l’autre, ce château de cartes va s’effondrer ».
« D’un point de vue objectif, c’est un exemple de système chaotique, titubant d’une crise à une autre ; il est difficile de prévoir combien de temps cela va encore durer, mais cela ne peut pas être éternel ».
Suivait de sa part une sévère critique de la politique de la Commission européenne et de la BCE :
« Le Pacte de croissance et de stabilité a plus ou moins échoué. La discipline de marché a disparu avec les interventions de la BCE. Il n’existe pas de mécanisme de contrôle fiscal pour les marchés et les gouvernements. Autant d’éléments qui préparent l’effondrement de l’union monétaire. » « … la BCE achète à ce jour des obligations d’entreprises qui sont proches du niveau de crédibilité des obligations pourries… Le risque que font peser de telles actions d’une banque centrale sur sa réputation aurait été impensable par le passé. »
Pour lui le projet européen doit soit se poursuivre sous la forme d’une union d’États souverains, ou disparaître.
Si nous nous tournons vers le professeur Markus Kerber, avocat, professeur de finances publiques et d’économie politique à Berlin et Paris II, l’écho n’est pas plus rassurant. Le Nouvel Économiste du 9 octobre 2013 rapporte : « Le professeur… dénonce les règles de gestion des États, pronostique la coupure de la zone euro en Nord et Sud et plaide enfin pour la réforme urgente du projet de l’euro. » Et le journaliste ajoute « C’est sa thèse : tôt ou tard les fondamentaux conduiront à une cassure au cœur de la zone euro et il faudra se trouver d’un côté ou de l’autre. Veut-il accélérer ce funeste processus ? Certains le penseront puisque, en tant qu’avocat, il est parmi les premiers plaignants en Cour de Karlsruhe contre le programme OMT (Opérations monétaires sur Titres) de la BCE destiné précisément à stabiliser la zone euro. Mais, affirme-t-il, ce n’est que de la planche à billets et le peuple allemand ne l’acceptera pas. Dans ces conditions, il demande avec insistance à l’Allemagne de Merkel III de préparer activement un plan B pour éviter la catastrophe monétaire qu’il promet à la zone euro ».
Un rapport du 20 septembre 2016 est particulièrement intéressant ; c’est celui émanant de l’Institut Jacques Delors et de la Fondation Bertelsmann-Stiftung, que l’on ne saurait qualifier d’eurosceptiques. Et pourtant, analysant de manière très critique la politique monétaire de l’Union, le rapport conclut par « Dans sa forme actuelle, l’UEM n’est pas viable à long terme. La crise actuelle l’a poussée à ses limites, et la prochaine crise risque de la faire exploser ».
Autant d’avis qui ne sauraient laisser indifférents les responsables en poste de la BCE ou du FMI qui chercheront par des propos rassurants à clamer leur confiance en la monnaie unique. En fait leur inquiétude ne date pas d’aujourd’hui puisque conscients des risques encourus, ils édictèrent des règles qui trahirent leur pensée : le bail-in.
Cet accord, entré en vigueur le 1er janvier 2016, prévoit de solliciter, en cas d’insuffisance des capitaux propres d’un établissement de crédit qui aurait des problèmes de solvabilité suite à des pertes, en priorité les créanciers détenteurs de dettes subordonnées, puis les créanciers seniors, puis les dépôts non garantis des grandes entreprises, puis ceux des PME et enfin ceux des particuliers au delà de 100 000 euros.
Un tel dispositif ne se justifie que par la crainte née de la crise de 2007-2009 où les gouvernements durent, à coup de milliards, renflouer les banques du monde occidental ; si elle se renouvelait aujourd’hui les États n’auraient plus les moyens de renouveler ces opérations de sauvetage d’où le bail-in.
Ce « bail-in » est un cauchemar pour les citoyens, notamment les petits épargnants, les autres sauront le plus souvent se mettre à l’abri. Qu’on ne vienne pas leur dire que ce dispositif est une précaution « inutile » ou « exagérée » il a déjà été mis en œuvre en Autriche en avril 2016 suite à la faillite de la banque Hypo Alpe Adria. Antérieurement à la promulgation du bail-in le système fut pratiqué en mars 2013 à Chypre (pays d’ 1 200 000 habitants) où 47,5 % des dépôts au-dessus de 100 000 € ont été confisqués, du jour au lendemain, pour un total de 4 milliards d’euros !
Ne quittons pas l’Europe monétaire sans parler de la France.
La France qui ne cesse de s’endetter (sa dette représentait 20 % du PIB fin 1978, elle est aujourd’hui voisine des 100 %) devait au 31 décembre dernier 2147,2 milliards d’euros soit une dette d’environ 37 000 € par personne pratiquement équivalente à ce que gagne en moyenne un foyer français par an ! Situation des plus inquiétantes dans un pays qui, à la merci du moindre séisme économique, peut provoquer l’écroulement de tout l’édifice monétaire auquel il est lié. La France fait peur. Car la France n’a pas affiché une seule année budgétaire positive depuis… 1975 ! Voilà donc 42 années consécutives que la dette publique française file de record en record. Tout comme l’Italie ou le Portugal, la France pourra-t-elle faire face au poids de sa dette sous le coût de la hausse des intérêts lorsque la BCE cessera de racheter ses titres ? La France trouvera-t-elle encore des prêteurs pour assurer ses fins de mois ?
L’Institut Jacques Delors souhaite une mutualisation des dettes publiques, mais cette proposition est, bien entendu, refusée par le bloc Allemagne-Finlande-Pays-Bas-Autriche. Ces trois pays nous obligeront-ils à sortir de l’euro afin de ne pas le mettre en péril ? Ce serait la cassure de la zone euro que pronostique le professeur Kerber.
Une cassure de la zone euro n’est pas utopique car à l’heure où nous rédigeons cet article (10 avril 2017) se tient à Madrid le sommet MED 7 qui réunit pour la troisième fois depuis septembre 2016 l’Espagne, la France, l’Italie, le Portugal, la Grèce, Chypre et Malte qui semblent très tentés par la création d’un front uni des pays de la zone sud ; l’euro n’est pas le seul sujet de cette réunion, les participants réaffirment une Union européenne plus soudée, signe d’inquiétude ?
Un mot sur l’Allemagne.
Depuis plusieurs années on chuchote et la rumeur enfle, que l’Allemagne se préparerait à réintroduire le mark ! Cela reste à vérifier mais le propos revient ponctuellement ; une chose est cependant certaine : les Allemands ne sont pas « europhiles ». On estime qu’environ 13 milliards de Deutsche Marks sont encore en circulation malgré la proposition toujours valable de la Bundesbank de les échanger en euros. Quelle nostalgie !
Qu’en est-il du dollar en tant que monnaie des États-Unis ?
Avant d’observer le dollar sous le critère de monnaie internationale, prenons connaissance de ce qui se déroule à l’intérieur des États-Unis. Alan Greenspan, l’ancien président de la Réserve fédérale américaine, avouait le plus simplement du monde en août 2011 : « Les États-Unis peuvent rembourser n’importe quelle dette parce qu’ils peuvent toujours imprimer de la monnaie pour le faire ». Mais que devient la confiance, notion essentielle à la monnaie « fiduciaire », si les États créent de la monnaie à leur gré ? Conséquence normale : aux États-Unis cette confiance s’altère chaque jour davantage.
Réinformation TV du 20 mai 2016 nous apprenait le résultat du vote de la résolution 516 prise à l’unanimité par les parlementaires du Tennessee, résolution autorisant la « constitution d’une réserve d’or d’État pour échapper à la mainmise fédérale et tenir les métaux précieux à portée de la main, première étape d’un retour à une monnaie saine, et précaution nécessaire lorsque la crise monétaire redoutée arrivera. »
Toujours dans le même journal, mais en date du 7 mars 2017 on peut lire :
« … l’or reste une valeur actuelle, si l’on en juge par la campagne menée par Ron Paul, ancien représentant du Texas, républicain de tendance libertarienne, foncièrement opposé à la mainmise du fédéral sur les libertés locales. Il soutient ce 8 mars, devant la commission des finances du Sénat d’Arizona, une loi qui restaure une monnaie forte à l’intérieur des frontières de cet État. La mesure, numérotée HB2014, « exempte de taxes l’échange d’une monnaie à une autre » et redéfinit la monnaie légale de façon à ce qu’elle puisse comporter une « valeur intrinsèque », en un mot, des « pièces contenant des métaux précieux ». Cette mesure va permettre aux Arizoniens d’acheter et de vendre de l’or et de l’argent sur le territoire de leur État sans que la transaction soit considérée comme un échange de capitaux, limitant ainsi de facto les compétences de la Réserve fédérale, la banque centrale américaine qui émet le dollar, par le rétablissement d’une monnaie métallique à valeur propre. ».
À notre connaissance ce texte a été adopté le 9 mars.
La décision du Tennessee et celle de l’Arizona ont inspiré d’autres États. La Chambre de la Caroline du Sud a adopté un premier texte qui devrait bientôt être présenté devant le Sénat pour vote. Dans d’autres États, également, l’idée fait son chemin. C’est le cas de la Géorgie, du Colorado, de l’Iowa et du Minnesota.
Il semble que de nombreux élus souhaitent l’abolition de la Réserve fédérale (Fed) institution non élue démocratiquement.
Si ces décisions ne sont pas à considérer comme une révolte elles sont pour le moins la traduction d’une inquiétude qu’on ne saurait sous-estimer. (Lire la suite dans notre numéro)
Jacques DARBOIS