La Chine ne souffre pas pour le moment, de l’asphyxie des investisseurs que connaît la France. En plus de l’absence totale de développement des ressources sur nos DOM-TOM, les actuels technocrates souffrent d’une vision défaillante en terme d’économie générale. Les bridés, eux, ont compris l’intérêt de se lancer à la conquête du territoire de l’homme noir.
Lu dans Militant :
La Chine joue un habile jeu de go en Afrique. Stratégiquement, Pékin place ses pions sur l’échiquier : routes, autoroutes, aéroports et chemin de fer. Un maillage serré qui quadrille l’Afrique et servira les intérêts de l’Empire du milieu. La Chine prend grand soin des routes qui servent sa boulimie de matières premières. En janvier 2015, Pékin et l’Union Africaine (UA) ont ainsi établi les grandes lignes d’un vaste programme d’infrastructures destiné à relier les capitales africaines au moyen d’autoroutes, de trains à grande vitesse et de liaisons aériennes. Voici quelques aperçus d’un sujet bien ignoré en France et pourtant d’importance géostratégique et économique.
En Tanzanie
La Chine a promis de financer un projet de réhabilitation et d’extension du chemin de fer Tanzanie-Zambie (Tazara) à quatre autres pays limitrophes. Ce plan prévoit la réhabilitation de 1860 kilomètres de voie ferrée existants (Le « Tamzan » construit dans les années 1970 avec un financement chinois) ainsi que la construction de nouveaux tronçons vers le port tanzanien de Bagamoyo, le Malawi, la République démocratique du Congo, le Rwanda et le Burundi. Le chemin de fer devrait ainsi relier à terme trois blocs économique africains : la COMESA (Common Market for Eastern and Southem Africa/ Marché commun de l’Afrique orientale et australe), la SADC (Southern African Development Community / Communauté de développement d’Afrique australe) et l’EAC (East African Community / Communauté d’Afrique de l’Est). Le plan prévoit, par ailleurs, l’attribution de la gestion et de l’exploitation de la ligne ferroviaire à une entreprise chinoise.
Au Kenya
Au Kenya, la construction d’une nouvelle ligne à écartement normal reliant Nairobi au port de Mombasa et remplaçant la ligne à voie métrique jadis construite par les Britanniques, est financée par la Chine et est menée par une entreprise chinoise. De plus, un nouveau contrat vient d’être signé, prévoyant de la prolonger jusqu’à la frontière occidentale du pays. Ce projet a créé plus de 40.000 emplois pour les locaux, dont environ la moitié ont reçu une formation technique, représentant environ 1,5% du produit intérieur brut (PIB) du Kenya, a-t-il affirmé en notant par ailleurs que 14 écoducs ont été conçus le long du tracé afin de garantir le libre mouvement de la faune locale.
En Éthiopie
En Éthiopie, la France avait construit le chemin de fer Djibouti Addis Abeba, à voie métrique, inauguré en 1917. Quais abandonné, ne fonctionnant plus que sur le trajet Djibouti Diré Dawa, le voici qui renaît, mais sous forme d’une ligne à voie normale, à double voie, électrifiée, construite par les Chinois et selon les standards de construction chinois. Les convois de voyageurs devraient rouler à 120 km/h, ceux de fret auront une vitesse de pointe de 90 km/h, entre les hauts plateaux éthiopiens et la mer Rouge. La gestion du train est confiée à une société chinoise pendant cinq ans. Le temps de former des Éthiopiens.
Il aura fallu quatre ans de travaux chinois pour réaliser cette voie ferrée. Inaugurée le 5 octobre 2016, elle doit permettre de dynamiser l’économie éthiopienne mais aussi … favoriser les échanges entre les deux pays. Cette réalisation réduit le temps de voyage à 10 heures, au lieu de plusieurs jours par une route difficile. Quelque 1500 camions y roulent chaque jour pour transporter près de 90% des importations éthiopiennes. Il s’agit d’une première étape ouvrant la voie à un vaste réseau ferroviaire. L’Éthiopie entend construire avec l’ide chinoise 5.000 km de voies ferrées d’ici à 2020. Objectif à moyen terme : connecter la nouvelle ligne avec le Soudan au Nord, le Kenya au Sud et le Soudan du Sud à l’Ouest. A terme, ce réseau pourrait constituer le point de départ d’un équipement traversant le continent d’Est en Ouest, de la mer Rouge au Golfe de Guinée.
Car au-delà du bénéfice réel pour l’économie éthiopienne, cette nouvelle ligne est aussi une vitrine de la technologie chinoise sur le continent africain. 70% des 3,4 milliards de dollars d’investissement ont été injectés par la banque chinoise Exim Bank. Et les sociétés China Railway Group et China Civil Engineering Construction Corporation l’ont construite. La Chine a flairé le potentiel de ce marché de près de 100 millions d’habitants, et investi des milliards de dollars depuis dix ans dans des projets d’infrastructures éthiopiens.
Si la croissance de l’Éthiopie pourrait tomber à 4,5% en 2016 (contre 10,2% en 2015) à cause d’une sévère sécheresse, si les troubles ethniques la secouent en ce moment, elle n’en reste pas moins une des économies les plus dynamiques du continent africain. L’absence des peuples d’Europe de cette aventure montre à quel point leur affaiblissement est grand. Incapables de financer et mettre en œuvre grands projets, ils se privent d’atouts géopolitiques majeurs pour l’avenir. Mais les démocraties d’Europe, qui nous font tant de mal, ont-elles encore un avenir ?
Nicolas OUGAROV
Militant ,n° 689, janvier 2017