Justice : réforme ou révolution ?

Délicat sujet que la justice. Notre ami François Foucart revient sur le problème de la prescription qui est attaquée de tous bords par nos ministres successifs. Il illustre ses propos par la chasse aux nazis et les problèmes de pédophilie chez certains hommes d’« Église ».

Lu dans Reconquête :

Justice : VERS LA POURSUITE SANS FIN ET SANS FREIN ?

La justice pénale repose sur deux piliers, dont l’un au moins, la prescription, est de plus en plus ébréché.

La prescription ? Dans sa sagesse et pour mettre un terme, un jour, à des poursuites devenues obsolètes, la loi pénale a décidé qu’au bout d’un certain temps le délit ou le crime sont effacés, on ferme le dossier. La prescription est de 3 ans pour les contraventions, 5 ans pour les délits et 10 ans pour les crimes, et on a rajouté récemment 10 ans pour les crimes de pédophilie soit 20 ans à compter de la majorité de la victime.

Il existe aussi une prescription de la condamnation non purgée, par contumace : c’est ainsi par exemple, que Klaus Barbie, condamné à mort en 1954, pouvait reparaî­tre libre en 1974 ; c’est comme s’il avait été fusillé, mais l’affaire n’existe plus.

Un détail cependant : la prescription peut être prolongée tant qu’il y a de nouveaux actes de procédure, commis­sions rogatoires, étendue de la saisine d’un juge.

PRESCRIPTION ET NON-RÉTROACTIVITÉ

Ajoutons que l’autre pilier du pénal est la non-rétroac­tivité de la loi, c’est à dire qu’un délit ou un crime qui n’était pas prévu et codifié au moment de sa commission n’existe pas. Inventez un délit qui n’est pas dans le code, vous ne pouvez pas être poursuivi !

Tout cela est intéressant, mais la notion de prescription est chancelante depuis le procès de Nuremberg où l’on a surtout piétiné la notion de non-rétroactivité : les crimes nazis étaient considérés comme tels que l’on avait décidé de passer au-dessus des lois habituelles.

L’ennui, c’est que ces coups de ciseau dans le Code se sont accompagnés chez nous d’une vraie rupture avec le principe constitutionnel de séparation des pouvoirs. Exem­ple, le procès Papon qui fut un procès politique avec un parquet aux ordres du gouvernement, et le constat de l’im­possibilité de poursuivre un procès honnête 60 ans après les faits, avec des vérifications impossibles et des témoins absents ou gâteux.

JUGER DES VIEILLARDS 70 ANS APRÈS

Eh bien, on n’a tiré aucune leçon de tout cela, et l’Alle­magne morte de trouille, ployant sous le repentir, l’Al­lemagne qui fut criminelle sans doute, féroce, s’en prend aujourd’hui à des vieillards de 94 ou 96 ans pour leur rôle supposé dans la guerre. Et ces vieillards sont traînés de­vant des tribunaux pour enfants, puisqu’ils étaient mineurs au moment des faits…

Depuis des années d’ailleurs la chasse aux nazis, com­préhensible en 1945, se poursuit avec des autorités fréné­tiques, affolées qu’on les soupçonne, 70 ans après, de ne pas suffisamment dénoncer Adolf.

Voilà pourquoi on continue à poursuivre certains grands vieillards… quand leur état le permet. La plupart nient, ne comprennent pas ce qui leur arrive, ou bien répondent à côté. Il arrive que certains fassent repentance comme un certain Oskar Gröning, mais d’autres affirment qu’il y a erreur complète comme un certain John Demjanjuk que l’on avait pris pour un autre. Procès inutiles, ridicules, sans objet puisque nous savons tout sur le nazisme.

L’AFFAIRE PREYNAT

Jouer à la prescription devient aussi chez nous un sport très à la mode depuis les affaires de pédophilie dans l’Église. À cet égard, si le cas du P. Preynat à Lyon est, hélas, sans équivoque, l’attitude du cardinal Barbarin est bien décevante : craignant l’opinion et la suivant à l’image du pape François, sans courage, il aurait pu se contenter de prendre acte en redisant (ce que tout le monde reconnaît) que des actes de pédophilie ac­tive commis par un prêtre sont scandaleux et punissables. Pu­nissables dans les limites du droit, ou alors c’est n’importe quoi, la justice au faciès, la chasse à l’homme. D’autant que, dans cette offensive, l’Église s’est lancée (avec le concours de la Conférence des évêques) dans une opération bavarde et sou­mise avec une « déléguée de la Conférence pour la lutte contre la pédophilie », une « Cellule permanente de lutte contre la pédophilie » (CPLP) présidée par Mgr Luc Crépy, des « ex­perts » (?), des psychologues, des psychiatres, des théolo­giens, et même une certaine Karlijn Demasure, « direc­trice du centre pour la protection des mineurs de l’Université pontificale grégorienne », et cette théolo­gienne belge est titulaire d’un « doctorat en abus sexuels » !!! Tout cela va tourner à la parlotte et aux poly­copiés, mais il y a, d’abord, une réalité.

En principe, les graves fautes du P. Preynat sont pres­crites puisque nous sommes 26 ans après les faits et que la prescription intervient si le plaignant (ex mineur) a atteint 38 ans (18 ans de majorité+20). On ne comprend pas bien alors comment le P. Preynat a pu être mis en examen d’au­tant que :

l’affaire est suspens devant la Cour européenne des droits de l’homme et surtout, l’aggravation de 10 ans (20 au total) de la prescription serait totalement contraire au principe de la non-rétroactivité des lois.

On ne peut pas juger avec une loi de 2017 par exemple des faits prescrits au bout de 10 ans et commis dans les années 1980. Certains excités comme Bertrand Virieux ou Flavie Rament voudraient rendre le crime de pédophilie imprescriptible, à vie, mais la tentation de jouer les justi­ciers est telle que l’on ne s’en tiendra pas là, on en viendra très vite à supprimer la prescription pour des délits suppo­sés de racisme, de xénophobie, voire d’islamophobie ! Une fois encore, il n’est pas question d’excuser des faits graves de pédophilie mais de ne pas déraper vers une so­ciété de soupçon et de délation.

LE CARDINAL BARBARIN EN RAJOUTE

À CET ÉGARD, et une fois l’affaire Preynat justement dénoncée, on aurait pu, dans l’intérêt de tous et après tant d’années, calmer le jeu. Eh bien non, Mgr Barbarin a voulu relancer la clameur publique et, alors qu’on ne lui demandait plus rien, demandé et obtenu que l’on aille au delà de la prescription canonique qui, en l’occurrence, est également de 20 ans. Il a demandé au pape François qui, bien entendu, a donné son accord, de lever la prescription canonique.

Voilà pourquoi, et en dehors d’une action en justice, le P. Preynat sera jugé canoniquement et sans doute réduit à l’état laïc : condamnation en principe confidentielle mais qui sera rendue publique, ce qui relancera donc le scan­dale devant les médias.

Tout cela est d’une rare inintelligence politique : com­battre la pédophilie oui, mais relancer sans fin un débat douloureux et piétiner ainsi l’Église est d’une rare mala­dresse.

D’autant qu’il est facile de s’en prendre indéfini­ment à un malheureux prêtre dévoyé, mais plus difficile pour une justice pénale totalement dépassée (les bandes sauvages de Juvisy auront droit à un « rappel à la loi » !) et une justice d’ « Église » d’examiner les faits sans peur, mais aussi sereinement et loyalement.

La sagesse précisément avait imaginé la prescription comme lieu de paix pour la justice, de miséricorde pour l’Église. Où est la sagesse ?

François Foucart

Reconquête , n°335, février 2017

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