Hier encore, mère des batailles politiques entre droite et gauche, la question scolaire ne paraît pas s’inscrire dans la perspective de la double campagne électorale de 2022. On ne voit guère en effet reprendre ce flambeau, ni par les candidats à la présidence ni par les futurs députés. Rappelons pourtant que, pour la première fois depuis bien longtemps, ceux-ci pourraient bien reprendre une partie de ce pouvoir législatif que la Cinquième République a tant abaissé.
On peut sans doute regretter ce désintérêt, car l’avenir du pays en dépend largement. Certains discours tendent à réduire les problèmes de l’école à la lutte contre l’islamisation radicale. De ce fait, si bien intentionnés qu’ils puissent paraître, ils font, eux aussi, plus de mal que de bien : ils entraînent en effet la négation de la liberté fondamentale des familles françaises, à peine considérées comme de simples pourvoyeuses de la démographie…
On pourrait donc commencer par un énoncé de droit naturel. Il se retrouve même, une fois n’est pas coutume, dans la Déclaration universelle des droits de l’homme. L’article 26.3 de cette charte mondialiste le reconnaît : « Les parents ont, par priorité, le droit de choisir le genre d’éducation à donner à leurs enfants ».
Peut-on compter, à cet égard, sur les candidats à l’élection présidentielle, puis à ceux des législatives du printemps, pour le rappeler et pour défendre ce droit fondamental et inaliénable de tous les parents ? On peut en douter.
Constats d’un effondrement
Il s’éloigne le temps où la République croyait pouvoir s’enorgueillir d’un illusoire développement de ce qu’on appelait l’instruction publique.
Aujourd’hui, les signaux d’alerte de toute nature ne manquent pas. Ainsi, les lecteurs des comparatifs internationaux ne peuvent que constater un recul de la France dans les classements de l’OCDE, du système PISA, ou dans des domaines où jadis elle excella comme les mathématiques.
En 2005, un Jean-Paul Brighelli, normalien, agrégé de lettres, publiait un livre, La Fabrique du crétin où il dénonçait la mort programmée de l’école. Classé au départ à gauche, il récidivait en 2017 publiant C’est le français qu’on assassine [1].
Ayant enseigné à tous les échelons, du collège à l’université, il y critique de l’intérieur le système scolaire français. Il déplore ainsi :
« Nos enfants ne savent plus lire, ni compter, ni penser. Le constat est terrible, et ses causes moins obscures qu’on ne veut bien le dire. »
Et il dénonce : « Un enchaînement de bonnes intentions mal maîtrisées et de calculs intéressés ».
René Chiche, de son côté, est professeur agrégé de philosophie. Il enseigne au lycée, en classe terminale, depuis une trentaine d’années. Dirigeant d’un syndicat, il fait partie du Conseil supérieur de l’Éducation. En 2019, il a publié le livre La Désinstruction nationale [2] considérant que
« la Désinstruction n’est pas seulement une calamité nationale qui fragilise les fondements de la République ; elle est d’abord, littéralement, un crime contre l’humanité et une faute majeure envers nos enfants. »
En effet, voilà ce qu’il constate désormais :
« Je viens de lire une trentaine de copies : pas une n’est écrite en français. Pas une ! En classe de terminale ! Et cela n’a rien à voir avec l’immigration. La Désinstruction est le vrai sujet, je persiste. Et il n’intéresse personne. En dix ans, j’ai vu les horaires d’enseignement fondre comme neige au soleil, le nombre d’élèves souffrant de dysorthographie, dyspraxie, etc. exploser, l’illettrisme s’installer, le taux de réussite au baccalauréat frôler les 100 %, les professeurs raser les murs. On continue ? »
Destinées de la loi Falloux de 1850
Pour comprendre ce qui s’est passé, on doit dépasser la litanie des considérations de plat bon sens sur le déclin de l’éducation républicaine. On doit aussi retenir la supériorité intrinsèque de la liberté et de la concurrence sur le monopole égalitariste. Et c’est ce dernier tropisme qui caractérise l’administration tentaculaire appelée Éducation nationale.
Or, depuis le début du XXe siècle, où elle entreprit d’expulser les congrégations enseignantes et de persécuter les catholiques, la république laïciste n’a cessé de renforcer son monopole scolaire. Ce faisant elle a éliminé progressivement le foisonnement concurrentiel et l’émulation féconde qui, autrefois, caractérisaient précisément les ordres religieux éducatifs, jésuites, oratoriens, frères des écoles chrétiennes, maristes, depuis Port-Royal au XVIIe siècle jusqu’à la communauté Saint-François-Xavier de Madeleine Daniélou au XXe siècle.
C’est dans cette optique qu’il convient de rappeler historiquement le rôle d’Alfred de Falloux (1811-1886). C’est à lui, à son travail persévérant, que l’on doit la loi fondatrice de 1850 de la liberté d’enseignement. Élu député légitimiste dès 1846, sous le règne de Louis-Philippe, il fait partie de la majorité conservatrice de la Constituante élue au lendemain de la révolution de février 1848. On doit à cet égard déplorer l’oubli dans lequel est tombée cette époque. Notre cher Jacques Ploncard d’Assac le soulignait déjà en 1965, dans un article prémonitoire consacré à ceux qu’il appelle les « bancocrates », ancêtres de nos actuels macroniens [3].
Depuis la loi Falloux de 1850, la liberté scolaire, principalement revendiquée au XIXe siècle par les catholiques, était en effet supposée conquête intangible du pays. Elle résultait pourtant d’une conjoncture politique presque accidentelle. En effet, démissionnaire du gouvernement du Prince Président en 1849, pour raison de santé, le royaliste Falloux avait réussi, sous cette éphémère seconde république, à faire voter, dans un contexte européen dominé par ce qu’on appelait la question romaine, sa fameuse loi de liberté de l’enseignement, dont l’effet concret abolissait le monopole de l’éducation étatique imposé par Napoléon Ier.
Certes, plus grand monde ne lit sans doute aujourd’hui les Mémoires de Falloux. C’est positivement dommage. On ne peut guère se procurer le livre qu’au hasard des flâneries chez les bouquinistes, ou à défaut chez tel spécialiste des fac-similés… en Inde [4].
Il s’agit pourtant d’un éclairage inégalable sur la genèse de la vraie droite française au XIXe siècle. Son auteur l’avait achevé vers 1880, peu de temps avant sa mort en 1886. Sa publication est expliquée en exergue de l’édition 1888 [5]. L’auteur les avait appelés Mémoires d’un Royaliste, et c’est sous ce titre qu’on peut aujourd’hui encore les retrouver. Or, les amis de l’auteur qui ont travaillé à cette publication soulignent que toute sa vie, son action fut consacrée au bout du compte, « à la cause de l’Église et de la liberté. » N’en déplaise aux tenants des idéologies qu’on appelle aujourd’hui libertaires, l’ensemble de ce combat doit être tenu pour indissociable.
Par exemple, dans le premier volume de son Histoire de la Vendée militaire [6], Crétineau-Joly parlant de ses compatriotes vendéens concluait ainsi à propos des héros de la Grande Guerre de 1793 : ils sont « morts en répétant le vieux cri de leurs pères : Dieu, le roi et la liberté ! Gloire à eux ! ».
Et, contrairement à la légende noire de l’anticléricalisme et aux idées reçues de notre époque, c’est bien à juste titre qu’Émile Flourens pouvait consacrer son petit livre contre le laïcisme persécuteur de 1905 à la lutte « pour la liberté de l’esprit humain » [7].
De 1850 à 1980, au hasard des républiques
Depuis son adoption, l’héritage de la loi Falloux n’a que rarement été attaqué sur le terrain des principes. En revanche les vagues politiques de gauche sont perpétuellement intervenues pour en rogner les conséquences pratiques.
La victoire de l’union des gauches en 1902 permit, à cet égard, un recul décisif des libertés scolaires au profit d’un étatisme laïciste. Depuis 20 ans existait une école réputée « laïque », mot détourné devenu synonyme d’anticlérical. On allait parallèlement renforcer sa domination par l’expulsion des congrégations enseignantes, et d’abord celle des Pères Jésuites bêtes noires des francs-maçons. Tout cela caractérisa la IIIe République jusqu’à sa disparition en 1940.
La guerre, puis l’immédiate après-guerre instituant le vote des femmes, constamment refusé jusque-là par les radicaux-socialistes, et le tripartisme, conduisirent à une redistribution des cartes. En 1951 fut ainsi votée par la IVe République, la loi Barangé « instituant un compte spécial du trésor destiné à la mise à la disposition de tout chef de famille, ayant des enfants recevant l’enseignement du premier degré, une allocation… » En dépit des hurlements de la gauche, la France adoptait alors le principe de ce qu’on appelle ordinairement le chèque scolaire. Un historien de la IVe République tel que Jacques Fauvet fait remarquer qu’à partir de cette date le régime devint ingouvernable.
En décembre 1959, le premier gouvernement de la Ve République, dirigé par Michel Debré, s’efforça de trancher. Il fit adopter la loi fondatrice du système actuel, en instaurant des contrats entre l’État et les écoles privées qui acceptaient, en contrepartie d’une aide financière, de devenir des sous-traitantes de l’Éducation nationale. Pour les écoles d’origine catholique, par exemple, le catéchisme devenait facultatif.
Le sursaut saboté de 1984
Or, ladite Ve République connut un tournant en 1981 par l’élection, pour la première fois, en la personne de Mitterrand, d’un président porté par la gauche. Le projet de loi Savary tendit alors à briser l’École libre. Or, il allait donner l’occasion de démontrer la profondeur de l’attachement aux libertés scolaires.
Le 24 juin 1984 aurait pu marquer, par la mobilisation des familles françaises contre la volonté socialiste, une avancée définitive de la société française. Il n’en fut hélas rien en raison de l’attitude capitularde des responsables de l’École privée que l’ampleur de la vague de fond dérangeait.
Certes, en 1984, les centaines de milliers de manifestants partisans de l’École libre étaient parvenues à faire reculer de façon symbolique le projet Savary. Mais la tentation de rejouer le match s’est à l’évidence imposée chez les laïcistes. Et en 1993, leur levée de boucliers, bien qu’infiniment moins nombreuse que la mobilisation précédente, eut facilement raison de la lâcheté pseudo-réformatrice du gouvernement Balladur.
Il revenait donc au déshonneur la Macronie, de revenir, en 2018, de manière rampante, au projet socialiste de 1981 d’un « grand service public unifié et laïque de l’éducation nationale »
Les démons ne renoncent jamais.
Quelques voix s’élèvent
La crise sanitaire a permis l’affirmation des tendances liberticides au sommet de l’État. Elle a cependant engendré d’intéressantes réactions contraires, y compris dans notre domaine.
Au sein de la droite classique, on entend s’élever des voix se préoccupant de réparer l’école. Ainsi, François-Xavier Bellamy, chef de file de son groupe au Parlement européen, professeur de philosophie, dresse un bilan terrible du recul éducatif français. « Je ne crains pas, dit-il très joliment, le choc des cultures, mais le choc des incultures ». Il a récemment partagé un texte en 30 propositions tendant à « sauver l’Éducation nationale ».
Un Michel Barnier, dans les quatre points qu’il affirme essentiels de sa précampagne présidentielle, soulignait (point 4) le même besoin de « réparer » l’école. La dégradation, considère-t-il, atteint une proportion catastrophique dans la mesure où « un jeune Français sur cinq est illettré ».
Mais pourquoi ignorer que le monopole scolaire étatisé se révèle précisément le premier ennemi de tout redressement. Il faut ainsi saluer le combat du mouvement Créer son école, relayé par la Fondation Kairos, elle-même soutenue par l’Institut de France. Ce 30 août, sa présidente, Anne Coffinier dénonçait ainsi, dans une conférence de presse, les atteintes à la liberté scolaire : loi Blanquer de 2018, puis nouvelle loi en 2021.
Or, ce dossier n’a pas ému ceux qui prétendent «sauver» l’institution scolaire.
Certes un Jacques Garello parmi d’autres, peu nombreux, rappellera le droit essentiel des familles [8].
Mais les gros média ne font guère écho à ces protestations.
Attention aux faux programmes
Le 12 octobre, dans le Figaro, une Valérie Pécresse, postulante à la candidature présentait son programme pour l’école. Or, dès l’annonce de sa future campagne, elle avait insisté sur l’importance que son projet entend accorder à l’éducation [9].
D’emblée, elle décline sa doctrine :
« La crise que traverse l’éducation impose un sursaut national, ce que j’appelle le projet de “nation éducative”. L’école, c’est la fabrique de la France, à travers la transmission de nos savoirs, de notre histoire. »
Que veut dire « nation éducative » ? Quel rôle pour les familles ?
Le mot n’est prononcé que d’un point de vue punitif. À la question « Faut-il aller vers une sanction des parents d’enfants perturbateurs ? », la présidente de la région Île-de-France répond :
« Absolument. La situation serait examinée dans les conseils des droits et devoirs des familles, présidés par les maires (…) L’école ne peut pas seule élever des enfants, les parents en sont les premiers responsables. »
Le droit au libre choix des familles n’est nulle part considéré.
Le constat concerne d’abord le primaire, car la journaliste du Figaro rappelle que beaucoup d’enfants finissent l’école primaire sans savoir ni lire ni compter. Comment prévient-on dès lors le décrochage scolaire ? Réponse :
« J’instaurerai un examen avant la 6e, non pas pour bloquer leur entrée au collège, mais pour créer des classes de 6e de consolidation. »
Elle entend ainsi
« casser la spirale du décrochage scolaire (…) source d’échec mais aussi d’indiscipline et de délinquance. L’enfant qui n’a pas les fondamentaux commence sa vie avec un lourd handicap. »
Si on lui objecte qu’on manque de professeurs pour créer de nouvelles classes, elle répond : « Je créerai une réserve éducative nationale, composée de professeurs retraités rémunérés… »
Tout le reste à l’avenant.
Une telle vision bonapartiste, quasi militaire, de l’instruction publique peut sans doute convenir à une campagne électorale et à cette frange de l’opinion française qui aspire à une remise en ordre sans trop s’interroger sur les raisons profondes du désordre.
Or, si même la droite classique accepte de démissionner dans la cause de défense de la famille éducatrice et de la liberté scolaire, on ne peut que constater l’urgence de réponses et de propositions moins conformistes.
Renouveau de la question
Les revendications se placent sur plusieurs terrains différents mais convergents : liberté de créer des écoles, liberté d’instruire en famille, liberté à la même aide en faveur des enfants scolarisés dans les écoles hors contrat.
La nuance peut évidemment être posée d’emblée. Mais les trois questions sont liées.
Certes, la solution de l’école à la maison peut sembler la plus radicale. En date du [vendredi] 13 août 2021, une décision du Conseil constitutionnel légitime, dans la loi « confortant le respect des principes de la République », les dispositions qui réduisent très fortement l’accès à « l’école à la maison ».
Venant après la loi Blanquer de 2018, ces textes aboutissent désormais à réduire le libre choix en faveur de l’instruction familiale, pourtant reconnu en 1882 par Jules Ferry quand il rendait l’instruction obligatoire – et non l’école – laissant alors libres les parents qui assurent « consciencieusement l’école à la maison ». À vrai dire, malgré les textes répressifs adoptés sous Macron, le nombre des enfants officiellement scolarisés en famille, quoique minime, s’est fortement multiplié en 10 ans, passant de 18 000 enfants en 2011 à 62 000 en 2021 [10].
La préoccupation de l’État est double :
1° On craint l’insuffisance de cette éducation choisie. Mais le contrôle des connaissances par la Direction générale de l’enseignement scolaire (DGESCO) reste positif à 98 % [11].
2° On tire argument de l’existence du danger terroriste. Mais la même DGESCO évalue en l’occurrence comme très faible les familles islamistes choisissant cette option.
Le ministre de l’Éducation nationale énonce le postulat : « l’école [laquelle ?] c’est bon pour les enfants ».
Hélas l’administration évalue elle-même, par exemple, à 700 000 le nombre des victimes de harcèlement. On déplore aussi 8,2 % d’abandon scolaire [12], on recense officiellement chaque année 95 000 jeunes qui sortent sans qualification, n’ayant aucune perspective d’emploi ou de formation. On doit aussi rappeler l’inadaptation de l’école égalitaire au cas de la plupart des enfants précoces. La France, seul pays du monde à inscrire le mot Égalité dans sa devise nationale, en paye les conséquences en termes de recul scientifique.
La liberté scolaire a toujours été dans le viseur républicain, laïc et obligatoire. Elle mérite de redevenir une préoccupation de la droite. Les parents sont les premiers éducateurs de leurs enfants : aucune loi, même constitutionnelle, ne saurait théoriser le contraire.
Jean-Gilles MALLIARAKIS
[1] – Éditions Hugo et Cie.
[2] – Éditions Ovadia.
[3] – Cf. Lectures Françaises n° 101-102 (août-septembre 1965).
[4] – Facsimile publisher, 12 Pragati Market, Ashok Visher, Ph-2, Delhi-11052, India, courriel : books@facsimilepublisher.com, site : www.facsimilepublisher.com.
[5] – Éd. Librairie Académique Perrin.
[6] – La Grande Guerre de 1793 (Éd. du Trident, 2013, page 428).
[7] – Cf. Le Laïcisme contre la liberté (Éd. du Trident, 2013).
[8] – Cf. l’éditorial de son excellente Nouvelle Lettre no 1443 du 24 septembre.
[9] – Cf. Propos recueillis par Marion Mourgue dans Le Figaro du 12 septembre 2021.
[10] – Cf. Chiffres cités par Louis Marceau dans Présent en date du 18 août.
[11] – Cf. entretien avec Jean-Baptiste et Marie Maillard, auteurs de L’École à la maison, une liberté fondamentale (Éd. Artège).
[12] – Cf. statistiques publiées par son ministère : https://www.education.gouv.fr/reperes-et-references- statistiques-2020-1316