Chaque chose belle en son temps…, par le père Jean-François Thomas, s.j.

Chaque chose belle en son temps…, par le père Jean-François Thomas, s.j.

Professeur de philosophie, missionnaire aux Philippines près des enfants de la rue, le père Jean-François Thomas, s.j., ne craint pas d’utiliser le roman afin d’éveiller les consciences actuelles, pour beaucoup imperméables aux écrits spirituels et théologiques. Servi par une plume très riche et une grande culture, son propos fait mouche. En témoigne son dernier roman, Chaque chose belle en son temps…, qui en dit mieux sur la souffrance et la vie que maints discours ou raisonnements bien étayés.

Le malheur s’est invité très tôt dans la vie de son héros, Lucien. Appartenant à une riche famille bourgeoise parisienne aux mœurs frelatées, il est le mal aimé de sa mère. Il est en outre privé d’un père militaire qui s’en est allé, car il n’a pas supporté la méchanceté de sa femme. Aussi, s’est-il réfugié très tôt dans les beautés de la nature et de la religion goûtées dans un château du Périgord près de ses grands-parents paternels, issus quant à eux d’une très antique noblesse.

Cette trame romanesque permet au père Thomas d’analyser les angoisses et interrogations qui traversent notre société. Avec ses grands-parents paternels, Lucien apprend que les lois de la nature sont les lois qui font vivre et qu’il faut se laisser façonner par elles. Le vieux curé de la campagne périgourdine le sauve de l’enseignement chrétien tiède auquel il a été soumis et de l’esprit mondain des salons parisiens. Nous assistons, désolés, à l’écroulement d’un monde qui, surtout depuis l’Occupation et les guerres coloniales, revendiquait pourtant le progrès. Parallèlement, son père Jérôme, présenté par sa mère comme celui qui a abandonné sa famille, poursuit une brillante carrière militaire.

Au contact de ses grands-parents du Périgord, Lucien va petit à petit s’enraciner. Il comprend qu’il est téméraire de juger sa mère et qu’il a besoin d’elle pour retrouver son père dont l’absence est la grande souffrance de sa vie. Les paysans « qui ne se lassaient pas d’aimer la France », participent à cet enracinement. De son côté, son père est lui aussi invité à se réapproprier ses racines en revenant auprès de son propre père victime d’un accident cardiaque.

Un grand foisonnement d’actions et d’images permet au père Thomas de retracer la montée de nos deux héros, jusqu’à la racine de leur être profond c’est à dire, à leur origine. Tout est grâce à saisir dans ces vies souvent chaotiques. Ainsi, « l’eau qui coule d’une source possède un abandon, une obéissance que l’homme a bien du mal à imiter ». Lucien comprend que ses démons veulent l’empêcher d’acquiescer à ce qu’il est réellement, pour se croire autre. Trompé de la sorte, il ne peut retrouver son équilibre qu’à « condition de s’abandonner » et d’ « embrasser l’enfant qu’il fut afin de pouvoir donner à l’adulte qu’il était devenu une source de bonheur et de joie ». Le combat pour retrouver la fidélité de l’enfance est donc essentiel. Son vieux curé du Périgord lui apprendra que ce combat se gagne par la prière. Il faut demander à Dieu la nourriture qui nous guérit, la mâcher et la remâcher « au jour le jour ».

De son côté, Jérôme s’en veut d’avoir abandonné ses soldats en Algérie et de ne pouvoir retourner en arrière. Après la mort de ses parents, il veut garder le château familial. Il sait qu’il a un trésor en main, « l’étoffe de la France » qu’il faut continuer à faire vivre. Cette étoffe a tenu, mais elle est menacée par l’évolution des mœurs. Les valeurs traditionnelles étant remises en cause, surtout depuis 1981, le pays se replie. Jérôme a alors peur de montrer ses convictions et commence ainsi à participer au mensonge général. Cette lâcheté rejaillit sur sa vie spirituelle, si bien qu’il se trouve très violemment tenté par la mort. La grâce lui est à nouveau donnée qui lui permet de résister et de rejoindre la piétaille des « pauvres » de l’Église. Il découvre alors une nature harmonieuse, offerte comme la source qui coule, ouverte sur l’éternel. Avec un art incomparable, le père Thomas nous livre le grand secret de la terre travaillée par l’homme, auquel notre monde prête si peu d’attention. Chaque chose y « trouve sa juste place », sa beauté surpasse celle de toutes les œuvres d’art et elle est la même au long des générations. Il ne faut pas la regarder comme venant de rien pour monter toujours plus haut, mais à partir de ses racines. La preuve de l’existence de Dieu est là. Elle se manifeste dans la fidélité « présente dans les choses et dans les êtres, fidélité à leur origine ».

Nous ne sortons pas indemne de cette lecture. Lavée, essorée, lissée, notre âme – comme celle de Lucien qui rejoint enfin son père en vérité –  comprend que son salut passe par un nécessaire retour à l’origine des choses. Les blessures et souffrances de notre passé ne sont pas des irrémédiables ; il ne convient pas de s’y attarder. Notre bonheur est devant nous, dans « les sources cachées » du monde créé par Dieu.

Éditions DMM, 2021, 432 p., 23 €

Marie-Pauline DESWARTE

La lecture de cet article extrait du numéro 781 (mai 2022) de Lectures Françaises vous est offerte en intégralité. Pour découvrir le  sommaire du numéro et le commander, c’est ICI !

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