Les armes juridiques des Etats-Unis contre les entreprises du vieux continent
Dans les échanges et relations commerciales, les parangons du libéralisme ont mis au point des règlements qui leur permettent d’avantager sans recours leurs banques et leurs entreprises au détriment de celles des autres pays. Et leurs volumes financiers, industriels et commerciaux sont tels qu’ils sont craints par tous leurs partenaires. Les députés français Pierre Lellouche (LR) et Karine Berger (PS) tous deux « plutôt favorables à l’Amérique », ont mené une mission d’information sur « l’Exterritorialité de la législation américaine » dont le rapport très intéressant a été publié le 5 octobre. Les media, peut-être rebutés par un titre austère, en ont peu fait état.
Qu’en est-il ? Comment l’Amérique peut-elle imposer son droit ? Un droit qui se réclame directement de la morale protestante et « qui s’impose dans le droit international sans quasiment susciter de résistance ? » (Valérie Segond). Les États-Unis, comme la France, ont depuis longtemps, étendu leur autorité au-delà de leurs frontières, pour des faits ayant des effets sur leur sol, ou commis par des nationaux à l’étranger ou portant atteinte à leur « sécurité nationale ». Ce dernier prétexte est souvent invoqué pour voter les régimes d’embargo contre les « Etats ennemis ». Depuis 2010 (Patriot Act), la notion a été copieusement élargie à tout ce qui est censé pouvoir menacer le système économique et financier mondial « dont dépendent la prospérité et la croissance ». Ce qui ressemble beaucoup à une compétence universelle. Depuis la crise des « subprimes », les Etats-Unis ont durci, à l’encontre des entreprises étrangères, des lois anciennes contre la corruption internationale et le blanchiment d’argent. Ce qui a débouché sur des poursuites visant la sincérité des comptes de sociétés telles que Alcatel-Lucent, Alstom, Total, Technip. Ou à propos de « violation d’embargo, comme BNP Paribas : cette banque accusée d’avoir financé, depuis la Suisse, des opérations commerciales avec des partenaires basés à Cuba, en Libye, au Soudan, en Iran, a dû payer des pénalités de 8,9 milliards de dollars ! Désormais les États-Unis disposent de sources innombrables de renseignements. Toutes les données numériques notamment françaises sont sur des serveurs américains. De plus, ils ont organisé une sorte de chasse aux supposés coupables. Une chasse avec des grosses primes. Selon la loi Dodd-Frank, il est reversé aux « lanceurs d’alerte » qui dénoncent telle ou telle société étrangère, entre 10 et 30 % des sanctions !
On comprend le zèle mis dans ces enquêtes si morales. Le rapport Lellouche-Berger explique clairement que, pour monter ces dossiers, tous les moyens sont bons. Les agences de renseignement, des institutions monétaires, commerciales et autres doivent participer : la Réserve fédérale, la SEC (Securities and Exchange Commission), l’OFAC, les services financiers de New York. Mais aussi la CIA et la NSA ! Plus d’autres officines publiques ou privées. Comme l’ont écrit les auteurs du rapport : « Les différentes administrations judiciaires américaines sont devenues de véritables chasseurs de primes ». Le département de la justice a « proposé » (euphémisme) aux entreprises visées de coopérer. Pour continuer à travailler aux Etats-Unis, elles doivent « s’engager à faire réaliser à leurs frais une enquête interne approfondie sur les faits présumés, en communiquer les résultats aux autorités, à s’acquitter d’une amende » négociée » et accepter la nomination d’un contrôleur interne ». Comparées à ces fort coûteuses exigences de repentance collaboratrice, les procédures soviétiques paraissent bien plus simples.
Elles rapportent énormément au département de la justice. En milliards de dollars. Les auteurs du rapport soulignent que par ces procédures, les administrations judiciaires américaines… « cherchent à se financer sur les résultats de leurs poursuites… » en visant les concurrents des entreprises américaines. Depuis 2008, les entreprises européennes ont versé 6 milliards de dollars (5,4 milliards d’euros) aux États-Unis pour violation de la loi anticorruption. Depuis 2009, les banques européennes se sont acquittées de 16 milliards de pénalités pour non-respect des sanctions économiques imposées par Washington. Actuellement, seule la Chine, qui ambitionne de prendre la première place et protège ses entreprises, refuse de faire appliquer les jugements américains.