Mohammed ben Salmane Al Saoud, « le prince qui peut tout changer », faisait récemment la une du Point qui consacrait plus de vingt pages à ce jeunot de 31 ans.
Lu pour vous dans Présent.
Mais le fils du roi Salmane, prince héritier depuis juin dernier d’Arabie saoudite en remplacement de son oncle Mohammed ben Nayef brutalement destitué alors qu’était, sous prétexte de lutte contre la corruption, lancée une gigantesque purge, est-il un révolutionnaire authentique ou à l’inverse un conservateur bien décidé «à tout changer pour ne rien changer» ? Certes, sous son influence, les Saoudiennes vont pouvoir conduire une voiture et en ces temps difficiles où le prix de l’or noir, unique richesse du pays, a chuté de 60 %, on lui prête l’intention de mettre fin au très onéreux Etat-providence bénéficiant à ses vingt millions de compatriotes — dont un nombre record de fonctionnaires. Mais on ne voit pas qu’au Moyen-Orient, la soudaine élévation de celui qui est aussi vice-Premier ministre et ministre de la Défense ainsi que de l’Economie en sa qualité de président du Conseil des affaires économiques et du développement, ait favorisé la détente. Au contraire, elle a coïncidé avec la rupture avec le Qatar, soupçonné de liens trop étroits avec l’Iran en raison de sa forte minorité chiite, et avec une aggravation des opérations au Yémen, noyé sous les bombes de Ryad et victime d’un blocus féroce entraînant une famine qui a déjà fait 10 000 morts et risque à terme, selon le secrétaire général adjoint de l’ONU Jan Egeland, de concerner les deux-tiers des vingt-sept millions de Yéménites.
Et l’on n’a pas l’impression que « MBS », s’il s’affiche très pieux et n’a pas, au contraire de ses frères aînés, étudié dans ces antres de corruption que seraient les universités américaines selon les prédicateurs wahhabites, soit enclin à mener une vie d’ascète. On a appris en effet coup sur coup que, via un fonds d’investissement saoudo-émirati, il était l’acquéreur du Salvator Mundi, représentation du Christ attribuée à Léonard de Vinci et enlevée à New York pour le prix pharaonique de 450 millions de dollars (voir Présent du 24 novembre) et de la « demeure la plus chère du monde » : le château Louis XIV à Louveciennes, édifice grandiose entouré de douves agrémentées de jets d’eau et construit entre 2008 et 2011 mais selon des plans, les techniques et avec les matériaux du XVIIe siècle, par des artisans travaillant tous pour les Monuments historiques, au sein d’un immense parc à la française avec sculptures et perspectives classiques. Cette humble datcha étant proche du (beaucoup plus modeste) manoir du Coeur-volant qui eut l’honneur d’abriter le prétendant Henri d’Orléans et sa famille de 1953 à 1972 et s’élevant sur 7 000 m2 construits dont plus de 5 000 m2 habitables, rien d’étonnant si elle avait aussi atteint une somme record pour une demeure particulière : 275 millions d’euros.
La vente eut lieu en 2015. Bien avant, donc, que Mohammed ben Salmane ne soit choisi pour hériter du trône. Est-ce parce qu’il avait lu son destin dans le marc de café ou parce qu’il avait déjà programmé son accession au pouvoir, au détriment de ses oncles et frères apparemment mieux placés, qu’il s’était alors offert ce château royal ? Seuls les naïfs qui n’ont pas lu Benoist-Méchin peuvent s’imaginer que les Saoud sont des Bédouins ignares et simplets, ayant tout à apprendre de Machiavel.
Lady Heather Stanhope
Présent n°9017 du 28 décembre 2017