Le Brexit est voté, mais concrètement, « wait and see ». On sait par expérience que cela n’a rien d’éternel. Albion est joueuse, et ne s’engage jamais dans un procédé duquel elle est incertaine quant à ses intérêts. Officiellement, elle refuse le DIKTAT de Maastricht et veut conserver sa souveraineté. Mais on oublie trop souvent que c’est une île. Elle est commercialement fragile et dépendante par nature. Si elle a décidé de partir, c’est qu’elle en a les moyens. Est-ce notre cas ? Il y a fort à parier que nous devrons payer bien plus cher une décision équivalente chez nous, au vu des conséquences économiques de la longue habitude prise par nos gouvernants et acteurs économiques, de suivre tête baissée et soumise, les orientations d’une entité qui doit aujourd’hui faire face à une TRÈS potentielle mutinerie, néanmoins souverainement légitime.
Lu dans Présent :
Après des prévisions qui alternativement, et jusqu’à la dernière minute du 23 juin, envisageaient, sondages et paris à l’appui, la victoire de chacun des deux camps, il semble qu’au fond, personne n’ait sérieusement envisagé les conséquences de la victoire du « leave ». À vrai dire, même l’hypothèse inverse eût entraîné d’autres complications, notamment en raison des accords particuliers par lesquels, depuis 43 ans, la Grande Bretagne s était assurée, habilement, un statut à part : au sein du marché commun, d’abord, auquel elle avait adhéré du bout des lèvres entre 1971 et 1973, puis à partir de 1991, date de la négociation oubliée de Maastricht, à laquelle elle avait participé pour fonder l’Union européenne.
Après un solstice de juin où, pour la première fois depuis 70 ans, la pleine lune coïncidait avec l’apogée du soleil dans l’hémisphère nord, la grande affaire se focalise donc désormais sur le choix qui était proposé par leur gouvernement aux Anglais, aux Écossais, aux Gallois, aux Irlandais du nord, du moins ceux d’entre eux qui résident dans le Royaume-Uni, entre le maintien dans l’Union européenne et le retrait.
L’Angleterre a choisi de quitter non seulement l’Union, mais probablement aussi de manière irrémédiable, de récuser un processus dit de construction européenne, à quoi elle n’a sans doute jamais cru. Tout avait été dit, tout avait été entendu, en France, depuis des semaines, à propos des deux hypothèses. Et, une fois de plus, a été invoqué comme un mantra, le souvenir, très abusivement enjolivé, de celui qui se montra, pendant quelque trente ans, le plus grand commun diviseur du peuple français. Sa mémoire, dûment ravalée par la légende, est désormais présentée comme unificatrice. Et de nous rappeler, opportunément, son opposition à l’entrée de la Grande-Bretagne dans ce qui ne se présentait alors que comme un marché commun.
Tout cela appelle, bien sûr, de nombreuses rectifications.
Difficulté du retrait
D’abord parce que, dans un ensemble comme l’Union européenne qui prit, avec le contreseing britannique en 1991, la succession du Marché commun, l’entrée et la sortie ne se présentent pas comme deux opérations symétriques. A priori, même l’idée d’un retrait contrariait la philosophie des traités qui envisageait, depuis le préambule du traité de Rome de 1957, une « union sans cesse plus étroite entre les peuples européens », ce dont les Britanniques ne veulent pas. MM. Cameron et Osborne qui ont fait, en ce printemps 2016, campagne pour le maintien, avaient ainsi affirmé à l’automne 2015, de façon très explicite, leur opposition à cette formule. Est-ce donc à dire que, s’ils l’avaient emporté le 23 juin, ils se seraient ralliés à ce qu’ils rejetaient auparavant ?
Rappelons que, pour le moment, si, du point de vue politique, la victoire des brexiteurs est tombée sans appel, du point de vue juridique, diplomatique et même institutionnel interne au Royaume-Uni, il ne s’est encore rien passé. Même la démission, annoncée dès ce 24 juin, par le Premier ministre en compagnie de son épouse devant le 10 Downing Street ne demeure encore que virtuelle. Il se réserve la marge, très large d’un calendrier dépendant d’un congrès conservateur qu on se garde bien de convoquer en urgence. On pourrait donc bien prendre le temps de faire évoluer la situation.
Et on le prendra d’autant plus que tout reste à faire, qu’il s’agisse des 55 accords commerciaux, financiers, consulaires etc., à renégocier, ou des points aussi épineux que les statuts futurs de l’Écosse ou de l’Irlande, ceci pour ne rien dire des bases extraterritoriales que Londres possède encore à Chypre ou du séculaire contentieux anglo-espagnol à Gibraltar.
Est-ce à dire aussi que ceux qui, sur le continent, reprochent à l’Angleterre et à ses dirigeants la pratique du double langage sont décidés pour leur part à avancer, sans elle, dans le sens d’une Europe confédérale ? Nous n’en sommes aucunement assurés. À entendre les propos des hommes politiques français, des éditorialistes des gros journaux ou des radioteurs de toutes couleurs, à voir les déchaînements des chauvinismes sportifs, on retire plutôt l’impression inverse.
Au lendemain de ce vote, il conviendra pourtant, sur le Continent, de se parler enfin franchement.
Autour de Merkel
Nos dirigeants auront-ils le courage et la force de repenser l’union en la situant sur les terrains militaire, monétaire, diplomatique, et plus seulement commerciaux ? Auront-ils même le désir de ne demander désormais à personne, et par conséquent ni aux Américains ni aux Russes, pour parler clair, de nous protéger ou d’arbitrer nos querelles de voisinage ? Auront-ils le cran de refuser la dissolution de l’identité européenne ?
Il y a sans aucun doute lieu de s’interroger, dans cette perspective, sur la politique de Mme Merkel, car tout tourne autour d’elle. Son secret espoir était de s’accorder avec David Cameron, substituant un condominium anglo-allemand, plus efficace, au couple franco-allemand que Hollande a démonétisé. Pour se sentir moins seule on remarquera que, tout de suite, c’est une réunion à trois, avec l’Italien Renzi, qu’elle convoque. Un point faible paralysera la chancelière dans sa relation avec plusieurs pays du continent. Il résulte hélas de ses propres allers et retours, assez consternants, au cours de l’année 2015 sur la question migratoire. Tout au long de leur campagne, cette affaire aura été brandie par les brexiteurs plus inquiets, semble-t-il, de la libre circulation des Polonais que de l’implantation des Pakistanais.
Oui, par conséquent, tout reste à faire, et surtout, pour ce qui est de la France, à balayer devant sa porte.
Jean-Gilles Malliarakis sur L’insolant
Présent, n° 8638, 28 juin 2016, P. 4.