Voter ? Piège. Sondage ? Symptôme

Vous aller voter ? Voici une réflexion sur le vote : sa préparation, ses implications préalables ainsi que le public auquel il s’adresse. Les sondages se trompent seulement ? C’est oublier qu’ils ont une autre compétence : orienter…

Lu dans Politique Magazine :

PETITE APOLOGIE DES SONDAGES

L’opinion publique est devenue tellement versatile qu’il arrive que les sondages se trompent. Mais un peu seulement…

Il est de bon ton, lors des apéros, de se gausser des erreurs de la météo alors qu’à l’époque des satellites, la météo ne se trompe plus beaucoup et indique même sou­vent, au degré près, la température qu’on aura le lendemain et le surlendemain, et tout autant de bon ton de se moquer des sondages. Les sondages se trompent un peu, mais pas tellement. Ils se trompent certes, et dans de larges proportions, à trois semaines de l’élec­tion, mais à trois jours, leurs prévisions sont assez justes.

Les erreurs à trois semaines proviennent de ce que l’électorat est devenu très versatile, instable, mouvant. Naguère ou jadis, 8o% des gens votaient par tradition familiale ; on était, chez nous, de droite ou de gauche, on n’en démordait pas. Les fluctuations dues aux belles paroles des candidats n’affectaient que peu de gens. Mais maintenant règne l’indivi­dualisme. « Ce n’est pas parce que mon papa vote comme ça que je devrais faire pareil », dit le jeune ignorant tout fier d’avoir fait des études plus longues que son père.

Dans ses études, grâce au « pédagogisme », on lui a demandé de « forger » lui-même son savoir, d’avoir tout de suite un esprit critique à exer­cer sur rien, puisque d’abord il ne sait rien ; on ne lui a pas appris le sens des mots, on ne lui a pas appris l’histoire dans un ordre qui met les choses en perspective, on ne lui a pas appris à replacer les choses dans leur contexte, on ne lui a pas appris la rigueur et la subtilité, on l’a fait tout de suite déblatérer ; on l’a bourré de bons sentiments ; on a sacralisé son instinct.

Du coup, le pauvre, il est ballotté, il ne sait pas quoi penser ou il le sait trop vite. Il écoute l’un et croit penser ce qu’il répète ; il écoute l’autre et croit encore penser ce qu’il répète. Il passe du noir au blanc et du blanc au noir. Toutes sortes d’engins qu’il pianote avi­dement, sur lesquels il « surfe » et zappe dans une fièvre hagarde le bombardent et le pilon­nent d’informations contradictoires qui se bousculent dans sa pauvre tête ; il oublie celles qu’on lui a données hier au profit de celles qu’on lui donne aujourd’hui, qu’il aura oubliées demain.

Un type qui a déjà beaucoup servi lui paraît tout neuf : il va voter pour lui avec enthousiasme, jusqu’à ce qu’un autre, tout aussi usé ou totalement conforme quoi­qu’ apparemment neuf, apparaisse… et ainsi de suite. La tête lui tourne, c’est une girouette.

BERNARD LECONTE

Politique Magazine, n°160, mars 2017

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