Tricentenaire de la franc-maçonnerie 1717-2017

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L’hebdomadaire Voix du Jura a publié le 6 avril 2017 une déclaration du Grand Orient, à l’occasion du tricentenaire de la franc-maçonnerie et d’une conférence organisée, Samedi Saint, par la loge de Lons-le-Saunier : « Exigeants sur les méthodes, ambitieux sur les objectifs, vigilants sur les fondements et résolument laïques sur les principes, les francs-maçons sont des hommes et des femmes engagés dans la vie citoyenne […] voulant être libres dans leurs pensées et ne plus être soumis aux royautés et aux religions. » Ce qui nous amène à quelques réflexions.

Lu pour vous dans La Gazette Royale.

L’origine de la maçonnerie se perd dans la nuit de la gnose, de la Réforme et de la révolution anglaise. La date du 24 juin 1717 (Saint-Jean-Baptiste) comme date de fondation est une date en trompe-l’œil. Ce jour-là, quatre loges anglaises s’agrégèrent pour mettre de l’ordre dans les nombreuses sociétés existantes et écarter les loges catholiques, après que la maison de Hanovre fut montée sur le trône.

En France, de la première Grande Loge du duc d’Antin, héritière des loges introduites par les anglicans au tout début du règne de Louis XV, ont fait scission un certain nombre d’entre elles, pour former une Grande Loge nationale qui devient en 1773 Grand Orient sous la direction du duc de Chartres, futur duc d’Orléans.

D’après l’abbé Barruel, quatre chambres appelées d’Administration, de Paris, des Provinces et des Grades tentaient désormais de contrôler les loges provinciales. Le Grand Orient oblige en effet les loges affiliées à modifier leurs constitutions sous deux ans, et à les lui soumettre en même temps que la liste de leurs recrues.

LES LOGES MILITAIRES

Le roi anglais Jacques II, en exil à Saint-Germain-en-Laye, aurait importé en France, déjà en 1688, une loge militaire, la « Parfaite Égalité », qui avait été fondée en 1661 au régiment Royal-Irlandais. La première loge militaire strictement française est peut-être la « Parfaite Union » fondée en 1759 au régiment Vivarais Infanterie.

L’abbé Augustin Barruel, dans ses Mémoires pour servir à l’histoire du jacobinisme (Éditions de Chiré), ne s’est pas intéressé aux loges militaires dans la diffusion de la maçonnerie. Pourtant, à la veille de la Révolution, la loge militaire des « Amis de la gloire » recrutait 40 % des officiers de la Maison du roi. Les loges militaires ont été actives dans l’est de la France et en particulier en Franche-Comté (province annexée en 1674). La maçonnerie s’est développée en province dans les années 1760 malgré les oppositions de Louis XV et du cardinal de Fleury, malgré les condamnations des papes Clément XII et Benoît XIV.

Les premières loges en Franche-Comté sont apparues, également dans les années 1760: «L’Égalité» à Lons-le-Saunier, « L’Amitié » à Poligny, fondées par l’aristocratie locale, « La Sin-cérité » fondée à Besançon par Charles-André de Lacoré, intendant de la province. À cette date, la maçonnerie française connaît une certaine anarchie. Les loges franc-comtoises vont se rapprocher du Grand Orient sous la houlette de la « Sincérité » de Besançon (dirigée alors par un conseiller au parlement, Bouligney).

CHODERLOS DE LACLOS À BESANÇON

Besançon compte dans les années 1770 cinq à sept mille hommes en garnison. On y trouve la loge « Les Amis réunis » au régiment Reine-Dragons et « L’Union », devenue « Henri IV », au régiment Toul-Artillerie. À ce régiment appartient Pierre Ambroise François Choderlos de Laclos, officier artilleur âgé de 36 ans. Il est missionné en 1777 par le Grand Orient pour mettre de l’ordre dans les loges bisontines. Initié au grade Rose-Croix, il est affilié à la loge militaire « Henri IV » qui ouvrira à son tour la loge « Guillaume Tell » au régiment suisse de Sonnenberg. Laclos réactiva les loges civiles de Besançon : la « Sincérité » était alors peu active ; la « Parfaite Égalité », loge parlementaire, était tombée en sommeil lorsque le roi avait supprimé le parlement en 1771.

UNE LOGE FÉMININE

Pour le nouvel agrément de la loge « L’Union parfaite » de Salins, autre ville de garnison, et dont le vénérable est Vernier d’Usiers de Byans (membre également de la « Sincérité » et ami de Bouligney), Choderlos de Laclos arriva à Salins le 15 mars 1777. La loge « L’Union parfaite » comprenait déjà un certain nombre d’officiers du régiment Conti-Dragons. Ce régiment, arrivé à Salins en 1773, s’est agrégé à la loge existante. Il partira à Landau en 1775 , où il fondera sa propre loge, « La Parfaite Amitié »

Choderlos de Laclos, en complément à sa mission, installe à Salins une loge féminine, une de ces loges dites d’adoption que le Grand Orient acceptait, à condition qu’elles fussent composées exclusivement des membres de la famille de ces messieurs des loges masculines que celles-ci chaperonnent. La « Sincérité », à Besançon, possédait sa loge d’adoption dont la vénérable était l’épouse de Lacoré, intendant de Franche-Comté. Au niveau national, la grande maîtresse des loges d’adoption était la duchesse de Bourbon, épouse du duc de Chartres.

À Salins, lors du rite d’installation, Choderlos de Laclos entama un discours sur l’égalité hommes-femmes en contestant le récit de la Genèse et le dogme du péché originel. Prétendant que l’être humain naît bon, les femmes comme les hommes ont droit aux mêmes prérogatives de liberté et de développement personnel. Pourtant, le conte licencieux qu’il publiera en 1782, Les Liaisons dangereuses, les bien nommées, ne brille pas par le respect de la femme.

Il montre au contraire que le libertin peut — et peut-être même doit — corrompre la jeune fille innocente qui a été élevée au couvent, ou la veuve dévote, afin de montrer que la religion n’est qu’un vernis que l’on peut détruire avec un peu de persévérance et beaucoup de mensonges. On voit aujourd’hui dans ce roman épistolaire un tableau de la corruption de la société d’Ancien Régime, ce qui n’était pas l’intention de l’auteur, à nos yeux, cette corruption, d’ailleurs, ayant été exagérée par l’historiographie républicaine.

Ces dames de la loge d’adoption, outre agrémenter les banquets des « frères », se consacraient aux œuvres de charité afin de combattre l’hostilité du clergé local. Parmi les grandes manœuvres de contrôle engagées par le Grand Orient, il fut demandé à la «Sincérité» de Besançon d’en-quêter sur la loge « Le Secret inviolable» à Dole, loge qui s’estimait être la plus ancienne de la province.

Choderlos de Laclos savait-il que, dans cette ancienne capitale comtoise, Corneille Agrippa, en 1529, initié à la kabbale et à l’occultisme, avait publié un discours sur la « Noblesse et excellence du sexe féminin » à l’attention de Marguerite d’Autriche dont il réussit à devenir conseiller ? L’égalité des sexes est une vieille rengaine gnostique.

LE MARTINISME S’INVITE

Les efforts du Grand Orient entrepris dans les provinces de l’Est avaient pour but également de contrer les tentatives d’infiltration de la maçonnerie allemande en la personne du baron Von Hund, initié à Paris en 1754 et se disant descendant des Templiers. Les loges comtoises, après moult disputes, avaient adhéré à sa « Stricte Observance » en 1774 et adopteront le « Régime écossais rectifié » en 1780.

À Lyon, Jean-Baptiste Willermoz, né à Saint-Claude en 1730, adepte de Martines de Pasqually, adopta le « Régime écossais rectifié » avant que Cagliostro, venu de Strasbourg, ne vînt semer la pagaïe dans la capitale des Gaules avec son nouvel « Ordre égyptien ». Cagliostro devra abandonner sa création, la loge lyonnaise « La Sagesse triomphante », embastillé qu’il sera dans l’affaire du Collier.

LES OUVRIERS DE LA CONTRE-RÉVOLUTION

Entre Strasbourg et le malheureux cardinal de Rohan, et Lyon où les frères Willermoz répandent l’occultisme, se trouve Genève où Voltaire imprime ses écrits séditieux. Protégé du duc de Choiseul et de Mme de Pompadour, il mit en œuvre un chapitre de son programme «Détruisez l’infâme» en menant une guerre d’usure contre l’abbaye bénédictine de Saint-Claude, terre de mainmorte et frontière irréductible aux ambitions du seigneur de Ferney. Le philosophe trouva sur sa route deux apologistes comtois de grand renom, l’abbé Nicolas-Sylvestre Bergier et le père jésuite Nonnotte.

L’abbé Bergier, confesseur de Mesdames, tantes de Louis XVI, réfuta article par article le Dictionnaire philosophique de Voltaire ; il en fut félicité par deux brefs de Clément XIII et Clément XIV. Quant au père Claude-François Nonnotte, ses Erreurs de Voltaire (1762), son Dictionnaire philosophique de la religion (1772) et ses Philosophes des trois premiers siècles de l’Église (1789) en ont fait l’adversaire le plus redoutable de Voltaire. Contre la subversion des salons littéraires, des clubs et des loges, se levaient dans nos campagnes les défenseurs de l’Église et du roi.

Fort de son expérience, Laclos œuvrera sous la Révolution avec Barnave, Rochambeau et Collot d’Herbois au Comité de correspondance chargé de la liaison avec les « sociétés des amis de la Révolution » que l’on répand dans les provinces, à la place des loges défuntes dont les membres ci-devant aristocrates se terrent dans leurs domaines ou rejoignent l’armée de Condé.

Ce fut le cas d’Ignace François Sarret de Grozon, capitaine de dragons, qui fréquenta la loge de Salins. Il rejoignit, avec ses deux frères officiers, les armées du prince. Lorsqu’il revint au pays en 1802, son épouse s’était remariée, le croyant mort. L’un de ses frères, Just Anne Ignace, a été fusillé à Quiberon le 29 juillet 1795, et l’autre frère, Louis Ignace, sera nommé par Louis XVIII maire d’Arbois jusqu’en 1830.

Marie-Paule Renaud

 La Gazette Royale n°151, avril-mai-juin 2017

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