Remue-ménage dans la haute administration de l’audiovisuel

Coup sur coup ce printemps, ont éclaté des accusations visant des cadres fraîchement nommés à des postes de responsabilités dans les administrations de la télévision comme de l’audiovisuel en général. Certes les radios d’Etat connurent alors une grève d’un mois mais sans qu’il y ait un rapport, le gouvernement socialiste toujours très attentif à désigner des gens « sûrs » aux postes de décision, procéda à des nominations qui furent accompagnées d’éclats médiatiques : notamment celle de Mathieu Gallet dont la promotion à la tête de l’INA, en 2010, grâce à l’appui ostensible de Frédéric Mitterrand ainsi que sa gestion très orientée et jugée dispendieuse, ces nominations avaient entraîné des polémiques internes et externes. L’an dernier, il fut nommé à l’étonnement des milieux de radios, président de Radio France. Les syndicats et la presse firent des gorges chaudes devant le montant des frais entraînés par la rénovation de son bureau. Finalement une enquête le disculpa mais un climat délétère s’est installé dans ces milieux où les différentes coteries politiques, mondaines, sexuelles interviennent régulièrement. Survinrent à nouveau, toujours en avril-mai, des critiques très vives sur d’autres personnalités, deux femmes : la patronne de l’INA et celle de France Télévisions.

Agnès Saal

Agnès Saal

Agnès Saal avait été, en avril 2014, nommée à la tête de l’Institut national de l’audiovisuel où elle remplaça M. Gallet dont elle avait critiqué la gestion. En arrivant, elle avait fait des promesses de rigueur budgétaire, toujours très risquées dans les cercles cultureux : « J’ai prévenu les équipes, avait-t-elle annoncé, que je suis janséniste et que les séminaires dans les châteaux, les grands restaurants… ne sont pas mon truc » (Le Monde, 30/04/2015). Décidément l’on parle toujours trop. Même les énarques du ministère de la Culture. Elle devrait savoir que l’intendance ne suit pas toujours et qu’il vaut mieux tirer les leçons après le bilan du tiroir-caisse.

Agnès Saal est née en 1957 en Tunisie dans une famille de la bourgeoisie juive qui y était installée depuis longtemps. Elle fit ses études secondaires et supérieures en France et montra ses aptitudes et ses ambitions : IEP-Paris, ENA.

A sa sortie, elle choisit la culture. Sa route était tracée, elle obtint régulièrement des promotions : elle fut durant sept ans, directrice administrative du Centre de la cinématographie et ses choix politiques lui facilitèrent les choses. Elle participa, sous les gouvernements de Lionel Jospin, à plusieurs cabinets de la Culture et obtint le prestigieux poste de directrice à la Bibliothèque nationale de France, puis dirigea le Centre Pompidou. Evidemment militante socialiste, proche d’Aurélie Filippetti, elle participa à la campagne présidentielle de M. Hollande en 2012. Elle espérait une place de directrice dans un cabinet ministériel, elle dut se contenter de la présidence de la Commission d’aide du Centre national du cinéma et del’image animée. En avril 2014, elle se retrouva à l’un des postes les plus enviés : la présidence de l’Institut national de l’audiovisuel (INA) ; elle prenait donc la suite de Mathieu Gallet.

En avril 2015, la bombe éclata.

En avril 2015, la bombe éclata. Une lettre anonyme, de quelqu’un très bien renseigné, parvint aux administrateurs de l’INA. Elle fut reprise par les gazettes (Le Point, Le Figaro, Le Canard enchaîné…) et révélait que Mme Saal serait suspectée d’un éventuel détournement de biens publics. Et ce, au vu de ses notes de taxi : soit 40 000 euros (en un an). Cela s’explique un peu : elle ne sait pas conduire et travaille beaucoup, se déplace sans cesse en Ile-de-France. Elle dispose bien d’un chauffeur mais il s’en tient à ses horaires réglementaires. De plus, elle avait permis à son fils de bénéficier indûment de plus de 6700 euros de frais de taxi. Mise en cause, elle s’est engagée à rembourser ce qui relevait des déplacements privés. La « janséniste » (tenons-nous en au « synonyme d’austère et de rigoureux », dit le dictionnaire), donnait d’autant plus le flan aux critiques qu’elle s’était montrée tatillonne devant les notes de frais de ses subordonnés. L’association Anticor (contre la corruption) a menacé de saisir la justice si Mme Saal ne démissionnait pas. Ce qu’elle s’est résolue à faire à la demande instante du ministre Fleur Pellerin, le 28 avril dernier. Une enquête administrative a été diligentée.

Reconnaissons que l’affaire n’est pas le scandale du siècle.

Néanmoins des mal-pensants pourraient y voir une preuve supplémentaire de l’irresponsabilité de nos excellences à cocardes, en particulier, les socialistes. La référence pour ce penchant peu « citoyen » reste, toujours – hors concours –, l’affaire du sang contaminé : Dans les années 1980-1990, on transfusa à des malades, du sang prélevé sur des prisonniers ou des homosexuels porteurs du VIH. On parla de 6000 contaminations. Les ministres concernés, Fabius, Dufoix, Evin s’en sortirent au final par un non lieu. Mme Dufoix est passé à la postérité pour son avis laconique par lequel elle se reconnut : « Responsable mais pas coupable ». Rappelons-nous des politiciens de la Hollandie empêtrés dans des oublis, erreurs, mensonges, abus de biens sociaux… : Cahuzac, Morelle, Désir… Et, plus comparable à notre présiden­te de l’INA, n’oublions pas Thomas Thévenoud, qui dut quitter le gouvernement (en septembre 2014) pour une maladie rarissime, la « phobie administrative » qui le rendait incapable de remplir ses déclarations fiscales (Cf. L.F. n° 690).

De tels dérapages ont déjà eu lieu dans le passé, mais quand l’économie était à peu près acceptable, on n’en parlait pas.

Aujourd’hui, en période de vaches maigres, de dettes énormes, de déficit permanent, de chômage concernant 6 millions de personnes (si l’on tient compte de toutes les catégories du Pôle emploi et pas seulement la catégorie A, en France métropolitaine), les dérives même légères des amis du pouvoir sont considérées par les contribuables comme intolérables.

Mme Delphine Ernotte

Le 23 avril 2015, Delphine Ernotte est nommée  à la présidence de France Télévisions pour un mandat de cinq ans à compter du 22 août 2015.
Le 23 avril 2015, Delphine Ernotte est nommée à la présidence de France Télévisions pour un mandat de cinq ans à compter du 22 août 2015.

L’autre nomination qui a fait jaser et reste encore contestée par certains mécontents, est celle de Mme Delphine Ernotte qui a remporté la course à la présidence de France Télévisions où elle a remplacé Rémy Pflimlin.

Trois votes et une nouvelle audition improvisée avec beaucoup de tension, ont été nécessaires avant que le CSA la nommât le 23 avril, à une courte majorité : 5 voix contre 3 allant à Pascal Josèphe, président fondateur du cabinet de conseil IMCA et ancien dirigeant de France 2 et France 3.

La rumeur court selon laquelle un bloc de quatre conseillers ayant choisi Delphine Ernotte – ce qui n’est pas interdit –, ont su écarter les prétendants sérieux, dès l’établissement de la liste des sept candidats à examiner.

Dans ce groupe décidé ont été cités : le président Olivier Schrameck, Sylvie Pierre-Brossolette, Natha­lie Sonnac et Nicolas Curien (selon Le Monde, 02/05/2015). Notons qu’ils ont tous été nommés en 2013 par le gouvernement ou les présidents socialistes des assemblées.

France Télévisions est une énorme entreprise dont tout le capital est détenu par l’Etat. Son chiffre d’affaires est d’environ 2,9 milliards d’euros et ses effectifs sont de l’ordre de plus de 10 000 personnes bénéficiant de statuts avantageux et protecteurs. Pendant des années, les dépenses dépassaient les recettes venant des contribuables et de la redevance. M. Pflimlin est parvenu semble-t-il à diminuer les pertes des dernières années (plus de 100 millions) et, pour le budget 2015, l’équilibre est prévu avec environ 10 millions d’euros de pertes.

On a donc à la tête de France Télévisions, une femme de 48 ans, aux capacités reconnues en entreprise, une centralienne (elle était directrice générale adjointe –le numéro 2 – d’Orange France), bonne gestionnaire mais sans expérience de l’audiovisuel. Cette ultime compétition a souligné la présence au sein du CSA de visions opposées sur le poste et les objectifs. Là aussi, on a entendu parler des panacées actuelles : toucher des publics plus jeunes, « nouveaux usages numériques », trouver de « nouvelles ressources »… Seulement les parties prenantes ont regretté d’ignorer le projet de la dame. Cela vient de la procédure choisie qui encourage le secret pour favoriser le plus grand nombre de candidatures. Au cours de ses vingt-six ans passés chez Orange, elle a exercé toutes les fonctions essentielles (analyses financières, recherche et développement, distribution…) Ses adversaires suggèrent qu’elle doit son succès récent à son épais carnet d’adresses qui contiendrait nombre de gens du monde des affaires et de la politique… ce qui est le lot de tous les dirigeants des media.

Certains membres du CSA ont été surpris par les modalités conduisant à l’établissement de la liste des candidats. Elles ont permis à Mme Ernotte d’éviter des concurrences sérieuses : celle d’une professionnelle expérimentée, Mme Marie-Christine Sarragosse, celles d’un professionnel du secteur, Emmanuel Hoog (ex-PDG de l’AFP, ex-président de l’INA) ou d’un ancien dirigeant d’Orange France, Didier Quillot. Les syndicats ont fait remarquer que Mme Ernotte avait contribué chez Orange à une baisse sensible du personnel il y a quelques années. Ils redoutent déjà qu’elle fasse maigrir un peu le mammouth qu’est France Télévisions. Attendons-nous à de prochaines grèves sur les chaînes d’Etat dès la moindre proposition de réforme.

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